A quoi bon “batônner” les dépêches d’agence? Disponibles partout en même temps, elles ne sont pas toujours bien référencées et ne susciteraient que peu de partage sur les réseaux sociaux (MISE A JOUR: parmi les dix contenus les plus partagés du Monde.fr ce jeudi matin, figurent quatre contenus réalisés à partir de dépêches d’agence, AFP ou Reuters).
Pourtant, les publications ont du mal à y renoncer, craignant de se mettre sur la touche si elles ne donnent pas l’essentiel de l’actualité au moment où l’internaute se connecte et de passer à côté de l’audience générée par les moteurs de recherche.
Comment résoudre l’équation? La première solution consiste à ne pas proposer le flux des dépêches (Slate.fr, Rue89, Médiapart, etc.) et assumer éditorialement cette position. Une autre réponse est expérimentée par la rédaction de RTL. “C’est l’AFP qui bâtonne elle-même ses dépêches pour les publier sur RTL.fr”, me raconte Antoine Daccord, le rédacteur en chef. Un service opéré par l’AFP services, une filiale de l’AFP, qui propose ce service depuis le printemps 2013. Cela n’a rien à voir avec le journal de l’AFP, que les rédactions connaissent bien, et qui est le même flux pour tout le monde. Ici, c’est une sorte de service à la demande, une façon d’enrichir – ou bâtonner – les dépêches selon les exigences du client. De la titraille à l’iconographie en passant par les liens, tout est réécrit “à la demande”.
Libérés des contraintes du temps réel de l’info
Les journalistes de l’AFP services – qui ne sont pas des agenciers de la maison mère – sont donc “mis à disposition” de RTL.fr, accèdent à son CMS et s’occupent de l’enrichissement (changer les titres, insérer des photos et des liens pertinents) des dépêches écrites par leurs confrères ainsi que de l’agrégation d’informations publiées sur d’autres médias. Et ce, sept jours sur sept, 21h/24 – ce système devrait s’élargir à 24h/24. En tout, près de 90 dépêches sont traitées en moyenne par jour, et entre 5 à 10 contenus agrégés.
C’est une nouvelle activité pour l’AFP qui, alors que le modèle des agences de presse est en pleine redéfinition, tente de trouver là une autre offre à proposer à ses clients, et donc, à terme, une nouvelle source de revenus. C’est aussi une façon intelligente de faire du service après-vente sur sa production maison via une filiale qui, autrefois, ne se chargeait que des clients “corporate” et institutionnels comme la Commission européenne.
Retour à l’envoyeur
Si le système est nouveau et encore expérimental, il n’est bien sûr pas gratuit. Tarif du service: sur devis. Tout dépend du nombre de contenus désirés et de journalistes employés, et de l’amplitude horaire. En ce qui concerne le contrat avec RTL, tout au plus apprend-t-on que la tarification revient sans doute plus chère que le nombre de personnes devant être employées, en interne, pour le faire. Soit près de cinq postes de journalistes à temps plein.“Nous n’avons pas choisi de le faire par économie, mais pour une amélioration du service (rapidité et couverture horaire)”, reprend Antoine Daccord.
Pour lui, l’essai est concluant et s’apparente à “une extension de notre rédaction à l’AFP”. De fait, cette expérience libère la rédaction du traitement des dépêches, un travail à la fois chronophage et ingrat, comme l’a rappelé le consultant Benoît Raphaël. Celle-ci, qui compte une dizaine de personnes pour la partie numérique, peut ainsi davantage se concentrer sur la production de contenus originaux. Conséquence ou non, RTL.fr a vu son audience monter, passant à 3 millions de visiteurs uniques en septembre, selon Médiamétrie.
Alice Antheaume
lire le billet«Comment voyez-vous le futur du journalisme?» C’est par cette question, posée par Jessica Chekroun, journaliste pour l’Atelier des médias, qu’a commencé ma journée au Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne), vendredi 22 octobre. Journée de débats, ateliers (1), et de «réseautage» organisée à la Maison des métallos, à Paris, par le syndicat professionnel des pure players, la première du genre depuis leur naissance, il y a un an, en octobre 2009. Ambiance sur place résumée en trois questions.
Crédit: Satellifax
1. Y a-t-il un esprit Web?
Contents, les organisateurs du Spiil, de voir les «450 inscrits» discuter comme s’ils étaient les membres d’une même famille. Ici, la majorité des présents sont des producteurs de contenus en ligne. Point de contingence du papier donc – les pure players étant des sites Web d’infos sans déclinaison imprimée, comme Slate.fr, Bakchich, Arrêts sur images, Médiapart, le Bondy Blog, etc.
«Je suis journaliste Web», apostrophe un participant dans la salle, n’oubliant pas d’accoler le mot Web à sa fonction. «L’esprit Web n’est pas si éloigné de l’esprit rock, pense Antonio Casilli, auteur de «Les Liaisons numériques» (éd. du Seuil) (MISE A JOUR LUNDI 14h30). Il a aussi ses valeurs et ses codes esthétiques». Des valeurs «libertaires et solidaires», détaille à ce sujet Owni, qui ont permis de se mettre d’accord sur des normes universelles, pour fonder par exemple les licences Creative Commons.
Des valeurs qui – pour les avoir évoquées dans un W.I.P. sur la «rédaction secrète du Web français» et un autre sur les usages des «forçats du Web» – se concrétisent, dans le monde des producteurs d’infos en ligne, par le partage de centaines de liens quotidiens, par l’entraide, l’intérêt pour l’expérimentation, et cette vie faite de chats, de réseaux sociaux, de photos taguées à tous les étages. Et d’interaction avec l’audience. «Puisque l’audience apporte de la valeur ajoutée aux sites d’informations, il faut réfléchir à des moyens de partager nos revenus avec elle, s’enthousiasme Benoît Raphaël, ancien rédacteur en chef du Post.fr, avant de se raviser: «le problème, c’est que l’on n’a pas beaucoup de revenus à partager.»
Quant aux codes esthétiques, s’ils existent, ils concernent moins la mise vestimentaire du producteur de contenu en ligne que ses outils de travail. Iphone, iPad, Android, ordinateurs portables, mais aussi plug in, navigateurs et applications mobiles.
2. Comment couvrir les retraites autrement qu’en faisant du «live»?
Dans les coulisses du Spiil, c’était, actualité oblige, l’une des préoccupations les plus pressantes des journalistes harassés par des semaines de couverture en temps réel des mouvements contre la réforme des retraites. Comment trouver, chaque jour, un angle différent sur ce sujet qui dure? Et mieux, un format différent?
Outre les «lives», très pratiqués par lemonde.fr et 20minutes.fr, rejoints par leparisien.fr et Rue89, il y a eu aussi des cartes interactives, pas toujours très complètes d’ailleurs, mais problème: comment faire pour ne pas lasser les internautes quand ce format revient chaque jour et comment «faire des retours sur ce qu’il s’est passé il y a 24h, voire 48h, qui n’est déjà plus dans l’actu», s’interroge Yann Guégan, gestionnaire de communautés sur Rue89, interviewé à ce sujet dans l’émission d’Arrêts sur images. D’autant que, ajoute-t-il, «c’est fatiguant, de tenir un “live” du matin au soir, lorsqu’on est une petite équipe». Pour le site Regards sur le numérique, tout se résume en une question: l’article est-il mort?
3. Quelle campagne en ligne en 2012?
Outre la question des modèles gratuit/payant, des aides à la presse en ligne – celles de l’Etat comme celles que pourront peut-être apporter un site comme jaimelinfo.com, qui proposera aux internautes de faire des dons pour subventionner le reportage de leur choix -, le sujet débattu au cours de la dernière séance plénière de la journée du Spiil a concerné la future campagne de 2012. A quoi celle-ci va-t-elle ressembler? Plus exactement, la prochaine élection présidentielle va-t-elle encore reposer sur l’image (télévisuelle, ndlr) et la personnalité des candidats, demande Dominique Cardon, sociologue et auteur de «La Démocratie Internet» (éd. du Seuil), ou mettre – enfin – le programme des candidats en débat via le Web?
La réponse du panel invité , vendredi, a été réservée: «Il y a trois ans, je travaillais dans un grand ministère du côté de Bercy», raconte Xavier Moisant, qui s’est occupé de la campagne en ligne de Jacques Chirac, en 2002. «Je me demandais pourquoi personne ne répondait à mes emails. J’ai posé la question, on m’a répondu: “pour avoir une réponse, faxe nous tes emails!”»
«C’est vrai que les hommes politiques français n’ont pas souvent un ordinateur sur leur bureau, confirme Benoît Thieulin, co-fondateur de La Netscouade, qui s’est occupé de la campagne de Ségolène Royal en 2007. Or c’est dur de faire une stratégie Web si l’on n’est pas praticien du Web». Xavier Moisant s’en souvient: la seule relation que Jacques Chirac entretenait, à l’époque, avec Internet consistait en des signets qui le menaient vers les résultats des compétitions de sumo. D’après Benoît Thieulin, «notre classe politique, dans sa formation intellectuelle et dans sa carrière, qui passe souvent par de grandes administrations centrales, n’est pas formée au Web. Développer une stratégie complexe ne peut venir que de la pratique même, sinon on se limite à calquer sur le Web des stratégies préexistantes» sans vraiment les penser pour le Net.
L’avantage est, qui que soient ses futurs compétiteurs, à Nicolas Sarkozy, estime Xavier Moisant. En dépit des 7 Français sur 10 qui s’estiment mécontents de l’action du chef de l’Etat, selon un sondage Ifop/JDD publié le 24 cotobre, il a une arme que les autres n’ont pas, à savoir une page Facebook qui compte plus de 334.000 personnes. Un vivier sur lequel s’appuyer pour 2012.
(1) J’intervenais pour ma part lors d’un atelier intitulé «tout ce que les journalistes Web doivent apprendre et que leurs collègues ignorent», animé par Philippe Couve, en compagnie de Soizic Bouju, Marc Mentré et Eric Mettout.
Alice Antheaume
lire le billetBenoît Raphaël, le rédacteur en chef du Post.fr, a quitté ses fonctions. Deux ans et demi après le lancement de ce site ovni, filiale – pour l’instant – à 100% du Monde Interactif, c’est l’occasion de faire un rapport d’étape.
L’audience participe à l’élaboration des contenus, et ce, à hauteur de 40 % des articles publiés sur le site. «Jamais on n’aurait imaginé que l’audience allait produire autant», dit l’un des fondateurs du site. De fait, on dénombre sur lepost.fr environ 300 contributions d’internautes par jour, jusqu’à 600 les très bons jours. Pire (ou mieux, c’est selon), si la production des 14 journalistes de la rédaction augmente, elle est proportionnellement moins regardée par l’audience que celle des 40.000 utilisateurs inscrits – dont seulement 1.000 actifs (qui se manifestent une fois par mois) et 300 très actifs, souligne Alexandre Piquard, l’ancien rédacteur en chef adjoint qui assure par intérim la direction du site. Sans oublier qu’un tiers du trafic est assuré par des blogueurs stars comme Tian, ultra productif sur l’information régionale (17 posts sur la seule journée du 4 mars 2010, près de 9% de l’audience à lui tout seul), Bruno Roger-Petit et Guy Birenbaum, qui vient de partir du Post.
L’équipe du Post ne supporte pas qu’on lui dise qu’elle fait du journalisme citoyen, elle préfère le terme de «journalisme en réseau» façon crowdsourcing. Car certains articles (une vingtaine par jour) sont issus d’une coproduction entre les inscrits et la rédaction. «Les journalistes passent beaucoup de coups de fil pour vérifier les informations de la communauté, m’explique Alexandre Piquard. Même si c’est juste pour rajouter une phrase en fin d’article, on leur a inculqué la culture du doute, et on leur demande en permanence de “border” leurs informations». Comprendre: assurer la véracité de la publication. «Je préfère qu’on publie avec 5 minutes de retard plutôt qu’on publie une information fausse», dit encore Alexandre Piquard.
Au lancement du Post.fr, en septembre 2007, tout avait été conçu pour s’adresser à un public jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher. Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «On faisait des opérations marketing visant les spectateurs de la Star Academy et de séries télé comme Le Destin de Lisa (une télénovela diffusée sur TF1, ndlr), mais quand, quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. L’audience n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Ici, des retraités, là des internautes fans de Ségolène Royal, ou encore, un enregistreur d’émissions télé, nommé Full HD Ready. «Lepost.fr est une sorte de monstre que l’on a appris à connaître», s’amuse l’équipe.
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Parmi les sujets très bien couverts par lepost.fr, le démontage des buzz, les faits-divers, la politique (parfois trash), le people, les lolcats, les programmes télé, les vidéos, etc. «L’idée de départ, c’était d’être populaire et local, reprend Olivier Lendresse. De faire des posts sur toutes les sujets dont on parle à la machine à café». Lepost.fr, pour beaucoup, est ainsi devenu un «média de discussion». D’où les photomontages, souvent grossiers. Et le ton, très oralisé. Loin des titres déclaratifs sujet/verbe/complément de son grand frère Lemonde.fr, les titres du Post.fr sont le plus souvent interrogatifs («La fiche judiciaire d’Ali Soumaré consultée près de 40 fois par des policiers?»; «Pécresse y croit encore: oui, mais à quoi?»; «Plus Belle la Vie: Boher a-t-il souci à se faire pour son couple?»). Pour certains, c’est le premier site Web d’info à faire du LOL.
Lepost.fr a souffert d’être considéré comme «la poubelle du Web», comme l’appellent ses détracteurs. Dans les propres rangs du Monde (papier), les critiques ont été, et sont toujours, vives. Auprès des médias traditionnels, cela a été l’incompréhension. Comment le prestigieux journal Le Monde pouvait-il laisser publier des contenus certes originaux mais éditorialement limités? La rédaction du Post a appris à se blinder, et a fini par faire sa place au soleil, obtenant 2,9 millions de visiteurs uniques en janvier 2010. Un succès d’audience, sinon un succès journalistique au sens traditionnel du terme. «Au début, les internautes eux-mêmes nous lynchaient dans les commentaires, mais ils cliquaient comme des malades sur les articles», rit l’un des membres de l’équipe. Aujourd’hui, les rumeurs de rachat du Post.fr, relayées par les journaux, montrent que le site — malgré un chiffre d’affaires étrangement bas — a de la valeur.
Obsédé par l’immédiateté de l’information, lepost.fr ne rate (presque) jamais l’occasion de traquer des «breaking news» sur le réseau. Sur ce créneau, le site a un rival, 20minutes.fr. Ces deux rédactions, formées à la réactivité maximale et à l’utilisation méthodique des outils du Web, sont pour l’instant les seules en France à savoir repérer en un temps record des informations. Résultat, lepost.fr, devenu concurrent des agences sur le «chaud», s’est désabonné très vite de l’AFP. Une façon de motiver la rédaction pour aller «chercher» les infos plutôt que d’attendre que ne «tombent» les dépêches de l’agence. Même si celle-ci traque, via son outil Attributor, les contenus qui lui sont «volés» et les signale au Post.fr – et à d’autres – régulièrement. «On explique très souvent à nos inscrits comment ne pas faire de copier-coller», sourit Alexandre Piquard.
C’est l’une de ses spécificités les plus intrigantes. Encore plus que sur les autres sites d’infos, les internautes ne visitent pas Le Post via la «page d’accueil» du site, mais consultent directement les articles qui les intéressent via les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, dont Google actualités et Yahoo! News. De fait, 75% des pages vues du site sont des articles, ce qui laisse peu de place à la page d’accueil. «La navigation est horizontale, pas verticale, résume Olivier Lendresse. La page d’accueil du Post, c’est en fait une page article.»
Le Post, c’est enfin une machine bien huilée sur le SEO (optimisation du référencement sur les moteurs de recherche). «C’est un cercle vertueux, note Jean-François Fogel, l’un des fondateurs. Les internautes cliquent sur des sujets populaires qu’ils aiment, or plus ils cliquent, plus l’article remonte dans Google News, qui indexe les sujets chauds. Or plus il remonte dans Google, plus il est vu par d’autres internautes». Et voilà comment le jeu de ping-pong entre humain et machine aboutit à plus d’audience.
Et vous, que pensez-vous de l’expérience Lepost.fr? Qu’en retenez-vous? Merci pour vos commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume