ONA 2013: Terminus, on descend…

Crédit: Flickr/CC/thecloudguy

Le format article serait sur le point de devenir obsolète. Les vidéos, idem. Les commentaires n’apportent ni valeur ajoutée ni trafic aux sites d’informations. Les modèles économiques actuels ne fonctionnent pas. Les journalistes sont sous surveillance. Et les rédactions numériques peinent à trouver des chefs compétents. Telles sont les (sombres) leçons tirées du grand raout organisé par l’ONA (Online News Association) à Atlanta, les 17, 18 et 19 octobre 2013. La fin d’un cycle?

La fin de l’article

«Oups, on a cassé la machine à articles». L’intitulé de l’un des ateliers de l’ONA, considérant l’article comme un «vestige de la presse du 19ème siècle», est éloquent. N’exagérons pas, l’article n’est pas tout à fait mort aujourd’hui, mais l’idée de l’abandonner au profit d’autres formats va avec une autre tendance: la disparition des écrans, déjà évoquée lors du festival South by South West à Austin. La preuve, montres, lunettes (les Google Glass ou les lunettes DoCoMo qui traduisent en instantané les panneaux écrits en japonais) voire mains (LeapMotion) servent déjà d’interfaces entre machines et utilisateurs.

Conséquence pour les journalistes: il faut sortir des schémas de publications traditionnels et, notamment, de l’article, suranné sans écran pour le lire.

Stop aux vidéos sans personnalisation!

«En 2014, tout le monde va se rendre compte qu’il y a trop de vidéos dans tous les sens», a prévenu Amy Webb, la rock star des journalistes geeks, une entrepreneuse qui fait partie des «femmes qui changent le monde» selon Forbes et qui a exposé les dix technologies qui vont révolutionner le journalisme en 2014.

NB: Amy Webb interviendra le 3 décembre lors de la conférence annuelle sur les nouvelles pratiques de l’Ecole de journalisme de Sciences Po.

Crédit:AA

De fait, rien que sur YouTube, 100 heures de vidéos sont mises en ligne chaque minute. Inutile pour les rédactions d’alimenter ce déluge. La solution pour se distinguer? Personnaliser l’expérience du spectateur.

Twitter et Comcast – qui détient la chaîne NBC, sur laquelle est diffusée le programme «The Voice» – viennent de signer un accord en ce sens: lorsque la chaîne évoque ses programmes sur Twitter, un bouton «see it» est automatiquement intégré aux tweets pour que l’internaute puisse les voir. «Twitter devient la télécommande», a repris Amy Webb. Dans un autre genre, le site gui.de transforme le texte en vidéo. Un post de blog, un article partagé sur Facebook, sont alors lus par un avatar face caméra. Et ce, en temps réel. Un format pensé pour ceux qui font autre chose en même temps qu’ils s’informent. Enfin, Treehouse Interlude chapitre des vidéos pour permettre aux internautes de choisir la partie qui les intéresse et leur permet même de décider du dénouement d’un film. Des exemples qui témoignent des différentes expérimentations mises en place pour accompagner le visionnage de vidéos.

Plaidoyer pour des commentaires, autrement

Parler des commentaires et des trolls est un sujet inépuisable – et les lecteurs de WIP le savent bien, voir ici, ici et . «Modérer les conversations coûte des tonnes d’argent aux rédactions, et pour quel bénéfice? Zéro information et des insultes», a soupiré un éditeur américain à l’ONA. Le penser est une chose, mais le clamer en public est une autre paire de manches. Que dirait-on d’un média qui ne veut plus accueillir les réactions de ses lecteurs? Qu’il refuse les interactions avec son audience et se drape dans son magistère. C’est ce qu’il s’est passé lorsque le site Popular Science a annoncé fin septembre qu’il n’accueillerait plus de commentaires sur son site, arguant que les messages déplacés «polarisent les opinions des lecteurs et vont jusqu’à changer la compréhension de l’information elle-même».

Sur ce thème, Amy Webb a mis les deux pieds dans le plat: «il est temps de réinventer le système! Ces commentaires stupides n’apportent pas de trafic supplémentaire sur votre site, ils font fuir tout le monde». Après qu’elle a écrit sur Slate.com un papier pour expliquer pourquoi elle se refuse à publier quoique ce soit sur sa fille en ligne, elle a reçu des messages comme celui-ci: «votre fille va se tuer un jour et ce sera à cause de vous». «Comment voulez-vous répondre à cela?», a-t-elle grogné. «En ligne, c’est comme dans une soirée, je veux parler à ceux que je connais déjà ou bien à des gens dont les idées peuvent m’intéresser, mais certainement pas passer ma soirée à serrer des mains pendant deux secondes avec des personnes que je ne reverrai jamais».

Un constat partagé. Ainsi, Quartz.com n’offre pas la possibilité de commenter sous ses articles mais propose à ses lecteurs de glisser des remarques sur un extrait préalablement sélectionné, comme on le ferait sur un Google doc. De même, Gawker, dont le combat contre les trolls est une croisade, s’est doté de la technologie de Kinja pour améliorer la tenue des conversations.

Tous surveillés?

Ecouter Janine Gibson, la rédactrice en chef du Guardian US, raconter par le menu comment Glenn Greenwald – qui vient d’annoncer son départ pour un pure player d’investigation – et d’autres journalistes de sa rédaction ont découvert et couvert le programme de surveillance de la NSA, l’Agence nationale de sécurité américaine, a été l’un des moments les plus captivants de la conférence ONA. «Rien ne pouvait s’échanger par téléphone ni par email, il fallait prendre l’avion pour aller voir Edward Snowden», a-t-elle détaillé, précisant que l’équipe avait travaillé dans deux pièces distinctes, l’une remplie d’ordinateurs et de téléphones, et la seconde vide – pour éviter les fuites.

Ce scoop, sur lequel le Guardian a travaillé pendant des mois, a été le prélude d’une prise de conscience des médias anglo-saxons. Non seulement les citoyens sont surveillés, mais les journalistes aussi.

Pour les affaires sensibles, ceux-ci vont devoir apprendre à déjouer la surveillance. Et donc à sécuriser leurs conversations, leurs documents et leurs informations. «Sans cela on lit en vous comme dans un livre ouvert», insiste Micah Lee, de l’Electronic Frontier Foundation, qui recommande de passer par le projet Thor, dont il assure que la NSA ne sait pas comment l’épier, et par la messagerie Off The Record – il y a aussi Crypto.cat.

Adieu vieux modèles

Paywalls, revenus publicitaires, applications payantes, «non profit»… «Le point commun de ces modèles, c’est qu’aucun ne fonctionne vraiment», a asséné Justin Ellis, du Nieman Lab. Pour David Spiegel, de Buzzfeed, «le modèle par abonnement n’est pas le meilleur moyen d’attirer les internautes sur des contenus». «Nous sommes dans une compétition globale en ligne, et pas qu’entre éditeurs, avec tout le monde, car les contenus sont partout», reprend-t-il. «Or il faut que les gens voient vos contenus et les partagent».

Si, pour David Spiegel, le salut figure dans le «native adversiting» – 40% des 10 milliards de dollars investis dans des publicités sur les réseaux sociaux d’ici 2017 -, pour Justin Ellis, la clé pour fonder un modèle viable, c’est de récupérer toutes les données possibles sur son audience. «Qui sont vos lecteurs? Combien de temps passent-ils avec vous? Combien dépensent-ils pour vous? Où habitent-ils? Combien gagnent-ils?» Cela signifie avoir un système d’analyse des statistiques ultra performant. «Regardez Netflix», continue Justin Ellis. «Ils savent quelle série va plaire à leur audience, car ils vous connaissent très bien. Des centaines d’ingénieurs travaillent sur l’algorithme de Netflix pour encore mieux vous cerner et savoir quel programme ils vont vous proposer – parce qu’ils sont sûrs que vous allez le regarder».

A la recherche de chefs

Comment diriger une rédaction numérique en 2013? L’enjeu a beau être de taille, la réponse à cette question est floue. Jim Brady, le rédacteur en chef de Digital Media First, et Callie Schweitzer, directrice de l’innovation à Time Magazine depuis septembre, ont débattu des compétences requises pour savoir «manager» des médias en ligne.

Le premier a commencé à travailler en 1990 comme journaliste sportif, la seconde a terminé ses études en 2011. Les deux ont une approche des ressources humaines adaptée à la culture américaine, mais certaines de leurs recommandations peuvent aussi intéresser le marché français. >> A lire sur WIP, “cherche chefs de rédaction numérique” >>

Le prochain WIP sera, promis, plus positif.

Alice Antheaume

lire le billet

La vidéo est le futur tweet en ligne


La campagne américaine de 2008 a été un moment charnière pour les réseaux sociaux. Celle de 2012 devrait être celle de la vidéo, a annoncé Emily Bell, de l’Ecole de journalisme de Columbia, à New York, le 4 septembre (1). 13 jours plus tard, l’actualité lui donne raison. Lundi 17 septembre est ainsi publiée la vidéo pirate montrant Mitt Romney, candidat républicain à la présidentielle des Etats-Unis, s’en prendre aux 47% d’Américains qui “voteront pour Obama quoiqu’il arrive” parce qu’ils “dépendent du gouvernement” et “pensent qu’ils sont des victimes”…

La vidéo, dont les rushs originaux ont été filmés en mai dernier en Floride lors d’un dîner de levée de fonds privé, a été récupérée par le site Mother Jones, qui l’a contextualisée, sous-titrée et éditée. Résultat, la vidéo figure parmi les plus vues de la semaine dernière, selon Viral Video Chart, avec plus de 3 millions de clics en 7 jours, et un taux de partage exceptionnel sur les réseaux sociaux.

“Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”

Si cette vidéo a ainsi explosé, c’est parce qu’elle est l’illustration parfaite du postulat suivant: les contenus vidéos produits par les éditeurs en ligne ne sont pas de la télévision, et doivent s’en distinguer en tout point.

La vidéo pour le Web n’est pas celle que l’on fait pour la télévision. Il faut tout désapprendre. Les règles de la télé ne fonctionnent pas sur le Web”, considère Vivian Schiller, ex du New York Times, aujourd’hui directrice des activités numériques de NBC News.

Comment expliquer que la vidéo pirate sur Mitt Romney soit le paradigme de la bonne vidéo sur le Web? En quoi se distingue-t-elle des règles télévisuelles?

  1. Sur le fond – et c’est essentiel: cette vidéo est un document. Son caractère unique lui donne toute sa force.
  2. Sur la forme, le montage n’est pas sophistiqué comme sur le petit écran: une seule caméra, un plan séquence, aucun plan de coupe (par exemple sur les mains des personnes interviewées, comme aime à le faire parfois la télévision). En outre, et on l’avait déjà écrit dans un précédent WIP, la capture d’écran qui sert d’aperçu de la vidéo a une importance majeure pour susciter le clic.
  3. Troisième critère et ce n’est pas le moindre: la diffusion. Une vidéo réussie pour le Web se suffit à elle-même, a du sens sans “lancement”, et peut donc s’exporter telle quelle sur toutes les plates-formes.
  4. Enfin, dernier critère, la vidéo doit être rattachée à l’actualité, voire montrer un moment de l’actualité qu’il faut avoir vu, bref, répondre à un besoin impérieux de cliquer.

Outre le document en vidéo, les autres formats vidéo pertinents sur le Web sont :

  • la vidéo “live” (impossible de résister à l’envie de découvrir ce qu’il va se passer après…)

Exemple: HuffPost Live, Ustream, Livestream

  • le mash-up

Exemple: “Patriot game”, cette vidéo qui montre l’affrontement de Mitt Romney et Barack Obama sous la forme d’un jeu vidéo (New York Times)

 

  • la compilation

Exemple: Compilation des vidéos d’amateurs s’exerçant au Moonwalk (Slate V)

  • l’explication (vous la regardez, et vous êtes plus intelligent après)

Exemple: la crise de l’Euro expliquée en 1 minute de vidéo

“Le but du jeu est d’aider les gens”

Sur le Web, on ne peut pas dupliquer ce qui existe déjà sur un autre média”, reprend Josh Tyrangiel, éditeur de Bloomberg Business Week, ex de Time.com. “Le but du jeu est d’aider les gens et de leur faire gagner du temps.”

Pour “leur faire gagner du temps”, donc, un bon format vidéo doit être efficace et donner l’information tout de suite, dès les premières secondes de la séquence. Mieux, et Mother Jones y a songé: la vidéo doit être compréhensible sans le son, grâce à des synthés et des sous-titres, afin que les utilisateurs puissent la visionner depuis leur bureau en open space sans casque ni haut parleur branché, un cas plus fréquent qu’on ne croit.

La vidéo constitue bien plus qu’une tendance journalistique en 2012, c’est un environnement dans lequel les consommateurs d’informations baignent. La preuve, 72h de vidéos sont téléchargées chaque minute sur YouTube. Et même le GIF animé revient dans la course, cette fois comme outil de storytelling pour le journalisme numérique.

“Parler de vidéo est devenu l’équivalent de parler de l’Internet”, glisse Amy Webb, la présidente de Webbmedia Group, évoquant les nouvelles tendances à venir à la conférence ONA12, à San Francisco.

La vidéo est le nouveau tweet

Facebook avec Facebook Stories, Tumblr avec StoryBoard, Twitter avec Twitter Stories, Google avec sa vidéo “Parisian Love”… Les mastodontes américains de la technologie se sont tous lancés dans la production de vidéos, pour mettre en scène les histoires de leurs utilisateurs et “montrer qu’il y a quelque chose de romantique à leur algorithme”, écrit The Altlantic.

Pour les journalistes, la vidéo est en train de devenir le nouveau tweet. En témoigne la technologie Tout.com, qui permet de publier des vidéos de moins de 15 secondes de façon instantanée, et avec laquelle le Wall Street Journal vient de s’allier pour lancer sa plate-forme, WorldStream.

Quelles sont les meilleures vidéos sur le Web que vous ayez vues? Partagez-les dans les commentaires ou sur Facebook et Twitter.

Alice Antheaume

(1) L’Ecole de journalisme de Sciences Po, pour laquelle je travaille, et celle de Columbia sont partenaires avec un double diplôme en journalisme.

lire le billet