Chiffres sur les médias en ligne et les applications mobiles, formats éditoriaux innovants, bons liens, citations des acteurs du journalisme, coulisses de conférences… Ce qu’il ne fallait pas rater ces derniers jours se trouve dans “le débriefing numérique”, un nouveau rendez-vous à retrouver sur WIP, deux fois par mois.
Après Barack Obama chez les YouTubeurs, voici Barack Obama au pays des pure-players. Le président américain a accepté de se faire interviewer par Vox Média et Buzzfeed en février 2015, et ce, pour la première fois. Une étape importante dans l’histoire des ces jeunes organisations journalistiques américaines, qui leur fait franchir un cap dans la construction de leur crédibilité. “Vox et Buzzfeed sont maintenant considérés comme des rédactions sérieuses”, écrit le New York Times, jouant au grand frère.
Côté communication politique, cette initiative montre que le président américain cherche à toucher la cible de “millennials”, ces jeunes de 18 à 35 ans. Banco, puisque la vidéo où Barack Obama fait l’acteur devant la caméra de Buzzfeed a déjà atteint 3,7 millions de vues à l’heure où j’écris ces lignes. Sur Vox, le format a tapé dans l’oeil des commentateurs, mixant textes, infographies et vidéos dans un même ensemble.
En France, François Hollande avait accordé une interview à Slate.fr, deux jours avant d’être élu le 6 mai 2012 – interview qu’il avait relue et amendée le jour de l’élection “alors qu’il savait qu’il était élu”.
Dimanche 8 février 2015, Le Monde dégaine les résultats d’une enquête internationale sur les bénéficiaires du système d’évasion fiscale de la banque HSBC. Le fruit d’un travail de presque un an sur un tentaculaire tableur regroupant 60.000 fichiers, et qui a donné lieu à une série de papiers, publiés pour la partie française par Le Monde, et pour les autres pays par d’autres médias, le tout coordonné par l’ICIJ, le consortium international des journalistes d’investigation.
“En avril 2014, Gérard Davet et Fabrice Lhomme ont reçu une clé USB qui contenait tous les noms des clients de la filiale suisse d’HSBC”, raconte Alexandre Léchenet, journaliste du Monde.fr qui a participé à l’opération sur le plateau de “La politique c’est Net” sur Public Sénat. “Ils ont essayé d’imprimer tout ce qu’ils avaient récupéré, mais ils ont cassé l’imprimante et se sont rendu compte qu’ils ne pourraient pas travailler seuls sur les fichiers”.
C’est alors que Le Monde a décidé de “partager” son futur scoop en recourant à l’ICIJ, basé à Washington, une sorte de “hub”, selon les mots d’Alexandre Léchenet. Avant l’été dernier, les journalistes français sont donc allés aux Etats-Unis pour remettre en mains propres – car c’est encore le moyen le plus sûr – les fichiers à l’ICIJ, avec qui ils avaient déjà travaillé en avril 2013 pour une autre enquête, baptisée “Offshore Leaks”.
Travailler avec l’ICIJ, c’est démultiplier les ressources – rédactionnelles et techniques. En effet, ce consortium sait avec quel journaliste travailler dans tel ou tel pays, et a déjà mis en place des outils pour que tous les enquêteurs – 154 journalistes issus d’une cinquantaine de médias dans le cas de Swiss Leaks – puissent collaborer, dont une plate-forme de conversation chiffrée et sécurisée. C’est l’étape supérieure de la rédaction secrète que j’avais décrite dans ce WIP.
Comme Le Monde était “apporteur de l’affaire”, ils ont négocié avec l’ICIJ que le nom de leur journal soit systématiquement cité à chaque fois qu’il était question de Swiss Leaks.
La politique c’est net par publicsenat
Surprise, BFM TV et iTélé ont annoncé une offre de publicité commune, jeudi 12 février 2015, lors d’une conférence à Sciences Po. “Les marques pourront acheter une campagne hebdomadaire de 120 ou 140 spots, qui seront diffusés simultanément sur les deux chaînes (…), vendu(s) 75.000 euros les trente secondes d’images”, explique Les Echos. Quant aux revenus, ils “seront partagés entre les deux régies au prorata de l’audience”.
L’initiative est suffisamment rare pour être soulignée. Si les régies des médias en ligne peuvent offrir des “packs” publicitaires couplés (par exemple sur lemonde.fr, le Huffington Post et nouvelobs.com, qui ont les mêmes actionnaires), c’est très rare lorsque ces médias sont des télévisions – imaginez que TF1 et France 2 s’allient – et encore plus rare lorsque ces médias n’appartiennent pas au même groupe – iTélé appartient au groupe Canal+, BFM TV au groupe NextRadioTV).
Cette conférence a aussi été l’occasion d’un débriefing sur la couverture éditoriale des deux chaînes d’information continues françaises après les attentats de janvier 2015. Pour Céline Pigalle, directrice de l’information de Canal+, il y a un “avant” et un “après” ces événements. “Avant nous brassions des informations produites par les autres, désormais nous sommes aux avant-postes (…) Même les JT des 20 heures ont repris les codes des chaînes d’information en continu”.
En cause: la cascade infernale d’informations, de théories du complot, en ligne, pendant les attentats. “Nous avons tous été très troublés par cette immédiateté. Le digital nous emporte. Alors que n’importe qui peut distribuer des informations, il faut plus que jamais de la responsabilité et du professionnalisme dans le tamis des journalistes”, a continué Céline Pigalle.
Pour son homologue Hervé Béroud, de BFM TV, ces journées de janvier ont été une “sortie de crash test, inédit en termes de gravité et d’ampleur. Avec 70h de direct en continu, nos rédactions ont été mises à l’épreuve comme jamais”.
Quelle tristesse que d’apprendre que David Carr est mort à 58 ans à la rédaction du New York Times jeudi 12 février 2015. Ce journaliste spécialiste des médias, aux allure du professeur Tournesol, a été le héros du film A la une du New York Times. Revenu de loin après des années d’addiction à la cocaïne, il avait confié vivre “aujourd’hui une vie que je n’ai pas méritée. Mais nous passons tous sur cette terre avec le sentiment que nous sommes des imposteurs.”
Pour ma part, je l’avais rencontré lors de plusieurs conférences aux Etats-Unis où il animait de façon à la fois désinvolte et hilarante des discussions sur la “curation” ou sur les algorithmes, qu’il surnommait “ces bêtes-là”, laissant ses interlocuteurs totalement perplexes.
Une diplômée de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, Léa Khayata, a eu le chance de l’interviewer en vidéo pour lui demander ce qu’il portait dans son sac à dos. “Il y a plus de matériel dans ce sac que dans toute une rédaction”, commence-t-il, avant de montrer son iPad, “l’ami du reporter”, ouvert sur la série Downton Abbey, une clé pour connecter son ordinateur à la 3G, des carnets de note, une grande feuille de papier, des stylos – “on n’a jamais assez de stylos”, confie-t-il -, un dictaphone, un téléphone sur lequel est écrit son nom, un portefeuille pour recueillir les cartes professionnelles, un livre qu’il ne lira jamais et un roman pour montrer qu’il n’est pas un “nerd”, des lunettes, une casquette pour ne pas avoir froid et un parapluie.
Si vous avez des bons liens, des informations sur le journalisme numérique qui pourraient figurer dans le prochain débriefing numérique, n’hésitez pas à m’interpeller sur Twitter…
Alice Antheaume
lire le billetRegardez ce contenu sur la préparation physique des danseuses du corps de ballet de New York publié sur le site du New York Times. Ce “reportage”, dont le format ressemble à s’y méprendre à celui de Snowfall, faisant la part belle à l’écriture, aux photos, dessins et aux vidéos, n’est pas une commande de la rédaction du New York Times, mais d’une marque de chaussures, Cole Hann. Même chose pour ce long format sur l’incarcération des femmes dans les prisons, avec des témoignages d’anciennes détenues en vidéo, des chiffres mis en scène dans des graphiques: il a été payé par Netflix pour la série “Orange is the new black”.
Ces deux exemples sont ce que l’on appelle du “native advertising”, une publicité qui reprend les codes journalistiques du média qui l’héberge. Le New York Times, Buzzfeed, Forbes, The Guardian US – qui vient de remodeler son design pour y intégrer des “native advertisings” – mais aussi lemonde.fr, Le Huffington Post, Lexpress.fr… Aux Etats-Unis comme en France, ces médias accueillent ces publicités d’un nouveau genre. Pourquoi font-elles saliver les éditeurs de presse? Quels revenus promettent-elles? Comment brouillent-elles la frontière entre contenu éditorial et contenu publicitaire?
Critères
Les “native advertisings” sont protéiformes, si protéiformes qu’un oeil non aguerri peut avoir du mal à les discerner. Rubrique sponsorisée comme “Le Rendez-Vous IT” de la marque HP sur lexpress.fr, infographie réalisée par Suez sur la page d’accueil du Huffington Post, encart intégré dans le déroulé d’un article comme sur lemonde.fr… Plusieurs critères aident à les distinguer d’une publicité classique, détaille le rapport rédigé par l’IAB (International Advertising Bureau) en France.
1. les “native advertisings” entrent “en adéquation avec la ligne éditoriale du site”
2. elles n’occupent pas d’emplacement publicitaires traditionnels – comme la têtière ou la colonne de droite – mais s’invitent dans les pages du média
3. elles ne clament pas “achetez tel ou tel produit, vous vous sentirez mieux après” mais offrent un discours divertissant ou informatif sur des valeurs correspondant à l’univers de la marque.
Il faut croire que cela marche. Je l’avoue: non seulement j’ai passé de longues minutes à lire les “native advertisings” du New York Times, mais j’ai en plus appris des choses sur le sujet traité. Pourtant, je savais, pour avoir repéré dans l’URL la mention “paidpost.nytimes.com” et la signature de la marque mise en tête de gondole, que j’étais en train de consommer une publicité. Or c’est exactement ce que cherche une “native advertising”: à susciter l’engagement du lecteur, via un temps de consultation rallongé, ou des recommandations sur les réseaux sociaux.
Plus de qualité, plus d’engagement
L’année dernière déjà, 74% des sondés interrogés par une étude Ifop/Adyoulike estimaient qu’en ligne, une publicité doit d’abord être informative et 73% plaidaient pour que le contenu affiché soit de qualité.
“Les annonceurs veulent être associés à des contenus de qualité, parfois signés par des journalistes, pour qu’un lecteur puisse y trouver son compte”, m’explique Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express. Sacrilège pour Le Monde, qui vient de mettre à jour sa charte publicitaire pour y préciser que les journalistes permanents ne peuvent pas écrire, directement ou indirectement, sous pseudonyme ou non, pour des marques, ni même participer à la diffusion ni la mise en ligne de publicités. “Il y a déjà une immense défiance du lectorat vis-à-vis de la presse, ce n’est pas la peine d’en rajouter” en amenuisant la frontière entre information et communication, me confie Alexandre Léchenet, journaliste et président de la société des rédacteurs du Monde.fr.
Au New York Times, c’est le T Brand studio, un pôle composé de neuf personnes, journalistes, graphistes, photographes, qui produit des “native advertisings” sur mesure pour les annonceurs. Chez Buzzfeed, c’est la “creative team”, installée au même étage que la rédaction dans les bureaux new yorkais, qui s’y colle. Quant au site américain Gawker, il a aussi son studio ad hoc. Une organisation qui fait rêver Eric Mettout, lequel aimerait que son groupe se dote d’une agence de production de publicités avec des rédacteurs et non des journalistes. Pour l’instant, il reconnaît qu’il a parfois recours à des pigistes de L’Express pour ce faire.
Identifier les publicités
Sauf que le flou provient de là. Les régies et les annonceurs plaident pour de plus en plus d’intégration, pour pallier la baisse du display, tandis que les rédactions ont le poil qui se hérissent de voir leur identité éditoriale ainsi cannibalisée. Pour Alexandre Léchenet, du Monde.fr, il est crucial de :
> préciser si le contenu est écrit par la rédaction ou “conçu et proposé” par une marque
> nommer la marque plutôt que de se contenter d’écrire “contenu de marque”
> éviter que les publicités s’installent dans des formats éditoriaux clairement identifiés comme étant ceux qui ont fait la crédibilité journalistique du média – dans le cas du Monde.fr, ce sont les portfolios, les posts de blogs, les chats
> ne pas préciser de date de publication, un code qui relève de l’information, et non des publicités
> utiliser un fond de couleur différent, voire une police différente, pour une publicité de celle usitée pour les informations
Si le changement de police rassure les rédactions, il n’est sans doute pas identifiable par les lecteurs. Mais “dans la course à la publicité, il faut que les médias se différencient des monstres (Google, Facebook, etc.) donc on leur vend plus aux annonceurs un espace publicitaire, on leur vend un environnement”, continue Eric Mettout. Mieux, “on leur vend un service”, surenchérit Christine Turk, directrice commerciale de la régie mobile Ad Moove qui alimente en publicités géo-localisées les applications du Monde, du Figaro, de l’Equipe et de 20 Minutes.
Tarifs
A savoir la production de contenus, à laquelle se greffe la facturation de frais techniques ou frais de développement – en général on facture à l’annonceur jusqu’à 10 fois le prix réel de la fabrication. Les prix circulent sous le manteau et varient d’un média à l’autre, d’un annonceur à l’autre, d’un “package à l’autre”. Mais il faut compter environ 50.000 à 100.000 euros pour avoir du native advertising pendant cinq jours sur un média généraliste en ligne. Le phénomène promet de s’étendre même s’il ne représente pour l’instant qu’une partie des revenus publicitaires des médias.
“Les annonceurs deviennent des médias à leur tour et s’inquiètent d’avoir de l’audience sur leurs contenus”, dit encore Christine Turk. La distribution et la mesure de l’impact sont désormais des éléments clés du “native advertising”. Aux Etats-Unis, Quartz utilise son système de publication pour y produire des publicités et traquer les visites, les likes, les vidéos vues, et le temps passé sur chaque contenu, des données qui sont ensuite données aux annonceurs. Dans le même esprit se prépare à L’Express une plate-forme de gestion de données (data management platform) qui “permettra de qualifier notre lectorat et savoir qui va voir quoi et quand, tant sur les publicités que sur les informations, afin de mesurer l’impact de toutes les productions”, détaille Eric Mettout.
De quoi améliorer les “performances” des contenus auprès de cibles choisies par les annonceurs. Sur Elle.fr et l’application mobile de ELLE, on peut lire “A quelle tribu mode appartenez-vous?”, écrit par la rédaction de ELLE mais sponsorisé par Peugeot pour le lancement de sa voiture Peugeot 108. Même si le taux de partage de l’article est faible (6 partages sur Facebook, 10 tweets), les équipes de Peugeot, citées par le rapport de l’IAB, se disent satisfaites d’avoir obtenu 27.600 visites sur la page article en cinq jours.
La reine distribution
“Le contenu est roi, mais la distribution est reine”, rappelle Anthony Demaio, directeur associé de Slate.com.
A Buzzfeed, par exemple, les “native advertisings” ne sont pas partagées sur le compte Twitter @buzzfeed mais sur @buzzfeedpartner. L’idée, c’est que le contenu soit suffisamment bon pour être partagé par les internautes sans que la rédaction les diffuse. Au New York Times, idem, même si rien n’est encore gravé dans le marbre. “On ne dit pas qu’on ne diffusera jamais des contenus sponsorisés via les comptes du New York Times sur les réseaux sociaux”, prévient Sebastian Tomich, co-fondateur du T Brand Studio.
Ce contenu n’est pas du native advertising. N’hésitez pas à le partager sur Twitter et Facebook.
Alice Antheaume
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