Politico, un site sachant imprimer

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Jeudi 10 février 2011, 11h. Dans les locaux de Politico, à Washington D.C., la rédaction paraît calme. En fait, ses journalistes cravatés sont à la fois au four et au moulin. Les uns couvrent simultanément sur le site, sur les réseaux sociaux, et via une newsletter, un «breaking news» annonçant que le sénateur de l’Arizona, John Kyl, ne se représentera pas pour un prochain mandat, ouvrant la voie aux spéculations sur le nom de son successeur.

Les autres lancent ce jour-même un site annexe, Pro Politico, «notre première expérience de payant» sur «les politiques de santé, de technologie, et d’énergie», annonce Bill Nichols, le directeur de la rédaction. Pour alimenter ce site, 40 personnes ont été recrutées. Cible visée: un public «habitué à payer des informations spécifiques», comme les juristes et les lobbyistes, présents en nombre à Capitol Hill, le quartier résidentiel près du Capitole.

«Notre ambition est de sortir du marasme qui bouleverse le journalisme pour devenir la seule publication faisant autorité sur la façon dont Washington et le gouvernement américain dirigent les Etats-Unis», lance Jim VandeHei, qui dirige Pro Politico.

Une ligne éditoriale adaptée aux quartiers

C’est là le double génie de Politico, lancé en janvier 2007:

1. s’être installé dans une ville, Washington D.C., siège de toutes les décisions et polémiques fédérales.
2. s’être fixé une ligne éditoriale adaptée à sa localisation: «en un mot, nous couvrons ce qui a de l’impact sur la vie politique américaine. C’est-à-dire les lobbyistes, les chambres haute et basse, le Congrès et la Maison Blanche», résume Bill Nichols.

En France, l’équivalent n’existe pas. Et si un Politico à la française devait se lancer, il lui faudrait s’installer dans une zone délimitée par la place Beauvau/l’Elysée, l’Assemblée nationale, le Sénat et la rue de Grenelle.

Si le site est connu, récoltant entre 500.000 et 700.000 visiteurs uniques par jour, son support imprimé l’est moins, voire pas, du moins en France. Gratuit, ce journal est distribué à 60.000 exemplaires, et porté directement dans les institutions gouvernementales de Washington D.C., dont le Congrès américain, la Maison Blanche, le Sénat. Et ce, 5 jours par semaine, les jours ouvrés. De quoi construire son aire d’influence. Et rafler une grande partie du marché publicitaire, qui «à Washington D.C., est très en demande de supports imprimés», confirme le directeur de la rédaction, assurant que «Washington D.C. est une ville faite pour les journaux», socle du modèle économique de Politico. Politico n’est pas un pure player. «Politico, c’est un site qui a un journal, pas l’inverse», dit Bill Nichols.

Sur Politico.com, ce jour-là, point de développement en temps réel de la situation en Egypte, mais «toutes les déclarations des hommes politiques américains sur les événements au Caire, et l’analyse des enjeux». Parmi les contenus disponibles, cette vidéo de Robert Gibbs, le porte-parole de Barack Obama, évitant non sans humour toute question sur l’Egypte.

MISE A JOUR: vendredi, jour de la démission officielle d’Hosni Moubarak, Politico s’est centré sur les déclarations de Barack Obama, assurant que le départ de l’ex-président égyptien «n’était pas la fin de la transition, mais le début».

La politique, coeur de l’info

Couvrir la politique, seulement la politique, c’est palpitant, mais parfois frustrant. Bill Nichols, qui a travaillé comme journaliste pendant 20 ans pour USA Today, un quotidien généraliste et un des rares quotidiens nationaux, se souvient du jour de la mort de Michael Jackson, le 25 juin 2009. «USA Today en a fait sa une, évidemment, mais pour Politico, c’était impossible. Nous n’avons rien écrit, j’en étais retourné. Jusqu’à ce qu’un journaliste de Politico réalise un diaporama de Michael Jackson posant avec d’anciens présidents américains, sans doute pour calmer mes nerfs.» A Politico, ce seul critère est roi: est-ce que l’info concerne ou impacte la vie politique américaine? Si oui, c’est un sujet pour Politico. Si non, passe ton chemin.

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Une rédaction, des lecteurs fanatiques

Au lancement de Politico, «nous étions une petite cinquantaine dans la rédaction, maintenant nous sommes près de 200», ajoute Bill Nichols. «Dès le début, nous avons fait attention à ne pas installer deux rédactions, l’une qui travaillerait pour le Web, et l’autre pour le print. Avoir deux catégories de personnel, c’est une idée désormais obsolète aux Etats-Unis, car ce n’est économiquement pas viable». Au final, l’équipe de Politico est mixte, composée à la fois de «créatures issues du du Web» et de journalistes politiques «old school», s’amuse le directeur de la rédaction. Sans oublier ceux qui s’occupent des réseaux sociaux, et du SEO. Part du trafic apporté par les réseaux sociaux sur Politico? Entre 10 et 15%. «Nos lecteurs sont des fanatiques, sourit Bill Nichols, conscient de son avantage. Ils viennent entre 5 et 12 fois par jour sur la page d’accueil pour y chercher du nouveau.»

C’est la rançon de leur «excellente couverture de la politique en temps réel», analyse Stephen Engelberg, directeur de la rédaction de ProPublica, un site indépendant, basé à New York, qui ne veut produire que de l’investigation. Alors le directeur de la rédaction de Politico ne lâche rien, surtout pas le matin, un moment aussi crucial pour les sites d’infos que le «prime time» à la télévision: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

Stephen Engelberg se souvient: «A ses débuts, Politico.com était meilleur sur les informations minute par minute que sur les analyses, laissant celles-ci au Washington Post (également basé à Washington DC, et connu pour ses révélations sur le “Watergate”, ndlr) mais ils s’améliorent maintenant sur ce deuxième point». Le Washington Post (1) n’est pas un bleu en la matière: fondé en 1877, il est le 5e plus gros journal des Etats-Unis, avec une diffusion de 545.345 exemplaires en semaine, 764.666 le dimanche. Il vient en outre d’annoncer qu’il allait investir entre 5 et 10 millions de dollars pour lancer une plate-forme, gratuite, d’agrégation d’infos sur le Web.

Alice Antheaume

Aimeriez-vous voir naître un Politico version française? Dites-le dans les commentaires ci-dessous…

(1) Le Washington Post est actionnaire de Slate.com, lui même actionnaire de Slate.fr

8 commentaires pour “Politico, un site sachant imprimer”

  1. Il me semble que Profession politique, qui a disparu aujourd’hui pour laisser la place à Acteurs publics, se rapprochait de cette ligne éditoriale, toutes proportions gardées. En moins ambitieux, c’est sûr.

  2. Un Politico à la française ? Je serai grave intéressé. En tant que lecteur et même contributeur s’il fallait. 🙂

  3. Un site tel que Politico… oh yes…
    but…. la polittique américaine n’est pas la politique française.
    Est ce qu’il y a un “marché”, une audience pour un tel site en France, rien n’est moins sur.
    L’intérêt des américains pour leurs institutions est bien connu… celui des français???

  4. Un vrai journal d’information politique qui propose une veritable analyse de la vie politico-europeenne Francaise?
    Ce site deviendrai ma homepage.

  5. Un Politico à la Française serait une idée géniale – qui aurait toutes les chances de rencontrer un succès fou, vu nos amours folles pour les choses du pouvoir ! Le seul risque en fait serait de voir les espaces de commentaire servir de défouloir aux extrêmes et aux raleurs professionnels que nous sommes, même avec les articles les plus neutres possibles … Alors, si un Politico français devait voir le jour (ce que je souhaite !), espérons simplement qu’il ne soit pas rebaptisé “Catharsis” trop vite !

  6. Un Politico à la française serait top. Cela fait quelque temps d’ailleurs que ca me trotte en tête tout ça ..

    Slate à un bon coup à jouer à mon avis, car c’est pour moi un des médias de référence lorsqu’il s’agit d’analyse, ou de développement. Et surtout, Slate est globalement neutre.

    Il ne reste plus qu’à ajouter un flux d’actualité et à développer le département Politique, et c’est parti !

  7. Un Politico à la française ce serait une belle réalisation et un sacré pari !

    Ce que je trouve hyper intéressant c’est la façon dont ils développent et diffusent Politico. Avoir un site gratuit + un quotidien gratuit (pour la pub le support print reste mieux valorisé que le web et là, le public est hyper ciblé, avec des annonceurs à la hauteur et qui paient cher je présume). Sans oublier le quotidien mais payant quand on habite plus loin (bien vu !)… Et il y a encore bien des dispositifs à imaginer en partant de ce concept.

    Comme toujours, le papier d’Alice est très intéressant, on apprend bcp de choses mais pour aller encore plus loin et mieux comprendre l’organisation, j’aimerais plus d’infos “éco” sur le fonctionnemet de Politico. Budget, nbre de salariés par métiers, masse salariale (car ils ont embauché des cadors), revenus pub web/print, frais techniques, etc.

    Si qq a ses infos, à bon entendeur 😉

  8. Par contre les USA ont un avantage très net par rapport à la France pour un média comme Politico : la taille de l’audience et surtout la permanence des campagnes.
    Tous les 2 ans le Congrès est renouvelé, avec une partie des sénateurs, des gouverneurs, etc. Sans oublier les juges, les shérifs, etc.
    Bref, la profusion des campagnes électorales à tous les niveaux a porté la politique quasiment au niveau de science. 🙂

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