W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Jean-François Fogel, consultant et Professeur associé à Sciences Po, en charge de l’enseignement du numérique à l’école de journalisme.
Le réseau social Facebook revendique un demi milliard d’inscrits alors que paraît sa première histoire (semi) officielle. Une success-story simple, presque simplette…
Comment fait-on pour passer d’un petit logiciel développé entre copains, sur le campus de l’université d’Harvard, à un site revendiquant un demi milliard d’inscrits? Le journaliste David Kirkpatrick répond à cette question dans un livre, The Facebook effect (éd. Simon & Schuster), empilé à profusion sur les tables des librairies américaines. L’auteur a eu accès à tous les responsables présents et passés de Facebook (FB). Il a partagé de nombreux moments avec Marc Zuckerberg, son inventeur et président. Il faut lire son ouvrage à la fois comme un travail indépendant et approuvé par une entreprise n’ayant en apparence qu’un message à diffuser: cliquez, il n’y a rien à voir.
David Kirkpatrick est reporter à “Fortune”, il donne donc une importance considérable à l’histoire capitalistique de FB. Son récit se répète dans une succession d’épisodes où Zuckerberg refuse de vendre sa création dont l’évaluation ne cesse de monter (ses employés vendent actuellement des actions en fonction d’une valorisation globale de l’entreprise à 15 milliards de dollars). Viacom, The Washington Post, Microsoft, MySpace, Google, etc.: la liste des prétendants est interminable et la ténacité de Zuckerberg ne l’est pas moins. Il a aujourd’hui verrouillé sa position de patron avec un dispositif juridique qui lui garantit un pouvoir de contrôle bien au-delà des 24% du capital dont il est propriétaire. Sauf accident financier ou crise personnelle (semblable à celle d’un rocker trop tôt touché par le succès), il pilotera durablement une entreprise dont les chiffres d’audience et de trafic sont si élevés qu’ils en génèrent, de bonne foi, l’incrédulité.
Crédit: Flickr/CC/Boetter
FB repose sur une idée. Mais une idée si forte qu’il n’y en a qu’une dans son histoire: aider internautes et organisations à former des réseaux sociaux et rendre leur activité visible par une infinité de petits outils et d’applications. La faiblesse d’un livre consacré à l’histoire de FB est d’ailleurs là: il n’y a pas vraiment d’histoire à raconter, rien que l’irrésistible croissance d’un système de connexions amorcé entre quelques étudiants d’Harvard, le 4 février 2004, et qui s’étend peu à peu à d’autres universités américaines, aux collèges et enfin à des pays entiers. C’est simple comme la croissance des bactéries dans un fromage. Le processus va de soi, à condition de savoir le déclencher et l’entretenir. Là où Google connaît des échecs répétés, FB a, pour le moment, réussi avec une recette en cinq points.
1. Le leader
En dépit d’un récit plutôt hagiographique, il est difficile d’éprouver un véritable intérêt pour ce codeur introverti de Zuckerberg. Kirkpatrick le présente comme une personnalité de premier plan, mais il paraît porteur d’une idée plutôt que d’une vision globale, ce qui, au fond, fait sa force. Il n’a qu’une conviction et il ne mène qu’une seule action. Tempérament travailleur, pas de fort désir de s’enrichir, une vraie capacité d’écoute, un bon sens stratégique pour accélérer les inscriptions d’internautes: le leader de FB ne fait qu’une seule chose, la même, depuis le début. Sa réussite, c’est d’avoir su mener l’affaire tout en s’auto-administrant sa formation de PDG au gré des rencontres. Conscient de ses limites, il n’a jamais refusé une rencontre avec un patron, avec ce que cela suppose de malentendu: le plus souvent, son interlocuteur vient pour lui proposer d’acheter FB, alors que lui veut seulement écouter un leader parler de son métier.
2. La méthode
Pourquoi FB est-il arrivé si haut quand les autres réseaux sociaux (Orkut, H5, Tuenti, etc.) marquent le pas? Une des réponses mérite d’être retenue: aucun site ne peut faire l’impasse sur la qualité de son service. FB a vécu dans l’obsession de ne pas répéter l’échec vécu par Friendster, parti pour tout gagner mais dont le trafic a flanché au gré des défaillance de ses serveurs. La clé du succès de FB, c’est le pilotage de la croissance de son trafic, avec ce que cela suppose de changements d’architecture et d’additions continues de nouveaux serveurs, sans crash majeur ni baisse de performance.
3. Le modèle
Le modèle de FB est le “social graph“, la mise en réseaux de personnes physiques enregistrées sous leur véritable identité. “Vous avez une identité”, affirme Zuckerberg qui écarte toute idée d’offrir aux internautes des profils doubles (privé et professionnel). Le concept de “transparence radicale” est d’ailleurs une référence courante au sein de FB moment d’évaluer de nouveaux projets. Le meilleur exemple de “social graph” reste le taggage des photos. Le chargement d’une photo n’a pas d’impact sur un réseau social, mais le taggage de cette photo avec le nom des personnes qui y figurent définit un “social graph” mettant en jeu toutes les personnes nommées ainsi que les réseaux d’amis de chacune d’elles. Le taggage des photos est ainsi l’application qui met en jeu le plus de connexions sur le site. A la fin de l’année 2009, FB hébergeait déjà trente milliards de photos.
4. L’entreprise
FB se définit comme une entreprise de technologies (par opposition à Myspace, considéré comme un média). Son histoire a été vécue et reste vécue comme une aventure de codeurs partis à l’assaut du web avec PHP, HTML et Java pour tout bagage. Le “business model” poursuivi par FB est la publicité avec l’objectif de se placer en amont dans la chaîne du désir de consommation. Là où Google destine ses publicités aux internautes qui savent déjà ce qu’ils cherchent, FB voudrait les aider à découvrir ce qu’ils pourraient chercher. Exemple tiré du livre (p. 259): Google mène vers Canon les internautes qui recherchent un appareil photo numérique; FB en revanche veut convaincre les internautes que ce serait une bonne idée d’acheter un appareil photo numérique. Mais ce projet est mis en place avec une modération délibérée. Faire prospérer la mise en relation de personnes et le recrutement des inscrits sur le site FB a, pour le moment, toujours eu la priorité sur la volonté d’accroître la rentabilité. Au slogan interne de Google, “Don’t be evil” (ne sois pas diabolique, en VF), FB oppose une autre formule, “Don’t be lame” (ne sois pas nul).
5. Le vieux débat
La protection des données personnelles n’est pas un débat au sein de FB. Les crises récurrentes sur la question de la visibilité des données personnelles n’ont en effet connu qu’une seule solution: Zuckerberg n’a jamais rien lâché en appliquant, plus de six ans durant, l’idée concoctée à Harvard. Il a surveillé ses courbes de trafic et pour autant qu’elles continuaient de monter, ce qu’elles ont toujours fait, il ne voyait pas de nécessité de changer de politique. D’ailleurs, un quart seulement des personnes inscrites sur Facebook utilisent les outils qui permettent de restreindre la confidentialité de leur profil. Rien à redire, FB est bel et bien un site dont les membres s’exposent.
J.-F.F.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Alice Antheaume, Frédéric Nguyen et F@tzi@, F@tzi@. F@tzi@ a dit: RT @alicanth: Facebook, un demi milliard d'inscrits, une croissance aussi rapide que les bactéries ds le fromage http://bit.ly/9h5EBv A lire sur W.I.P […]
[…] Apple, qui suscite en effet un engouement mystique chez certains, n’est pas le seul aux élans religieux parmi les géants de la high-tech américaine, comme en témoigne le slogan de Google: «Don’t be evil», ou «Ne faites pas le mal». Pendant ce temps, les petits jeunes de Facebook se moquent de leurs aînés, adoptant comme slogan «Don’t be lame», «Ne soyez pas nazes». […]
Zucke”R”berg. non ?
[…] via W.I.P. (Work In Progress) » Facebook, 6 ans et demi, 500 millions d’inscrits. […]
tiens ça me fait penser à : http://gaitme.fr/information-technologies/comment-facebook-va-mourir-r-i-p-670/
Bon évidemment, on y est pas encore 🙂