Ils sont 8 heureux élus. Le Monde, L’Equipe, Tastemade, Cosmopolitan, Vice, Paris Match, Melty et Konbini sont les premiers médias non anglophones à figurer sur Snapchat Discover, la section dédiée aux informations de Snapchat créée en janvier 2015 et qui, jusque là, n’accueillait que des contenus en anglais. Top départ? Ce jeudi 15 septembre à 6h du matin, heure française.
Pourquoi Snapchat Discover s’installe-t-il en France?
Parce qu’il y a un bassin important d’utilisateurs français de Snapchat. Parmi les 150 millions d’utilisateurs quotidiens de Snapchat dans le monde, la France en compte 8 millions. “C’est énorme, c’est sans doute le deuxième réseau social utilisé en France”, s’enthousiasme Michael Szadkowski, du Monde. Une “communauté” que l’équipe de Snapchat, venue à Paris pour l’occasion, juge prometteuse. D’autant que les agences de publicité et les annonceurs dans l’hexagone se sont dits prêts à investir sur ce réseau – on recense déjà les publicités de Schweppes, Sephora, Louis Vuitton en ce premier jour d’éditions françaises.
Pourquoi maintenant? L’imminence de la campagne présidentielle française a-t-elle quelque chose à voir avec ce lancement?
Officiellement non. Même si, bien sûr, les porte-paroles de Snapchat espèrent que les informations publiées sur Snapchat Discover permettront à des jeunes, dont certains voteront sans doute pour la première fois au printemps 2017, de s’intéresser à la politique.
Qui verra les contenus des éditeurs français?
Ceux qui se connectent à Snapchat depuis la France. Pour l’instant, les lecteurs même francophones de Suisse ou d’Afrique de l’Ouest n’y ont pas accès.
Comment Snapchat choisit ces partenaires médias pour Discover?
N’importe quel média ne peut pas avoir sa chaîne sur Snapchat Discover. Pour être sélectionné, il faut d’abord produire des éditions pilote pendant plusieurs semaines (2 semaines et 60 contenus tests pour Paris Match, 4 semaines et près de 330 contenus tests pour Le Monde), que Snapchat regarde ensuite, avant de donner son accord.
Contrairement aux Facebook, YouTube, Twitter et Pinterest, qui hébergent les contenus de tous les volontaires, Snapchat a une logique d’éditeur. Le réseau social a non seulement pris soin de mixer des titres traditionnels à des médias plus récents dans son offre française mais a aussi choisi des éditeurs dont les contenus ne sont pas redondants : informations généralistes pour Le Monde, sport pour L’Equipe, recettes de cuisine pour Tastemade, féminin pour Cosmopolitan, etc.
Pourquoi Le Figaro n’est pas sur Snapchat Discover France?
Parce que Le Monde y est. De même, si BFM y figurait, ni LCI ni iTélé ne pourraient compter parmi les éditeurs partenaires de Snapchat.
Pourquoi de nombreux médias aspirent-ils à apparaître dans Snapchat Discover?
Parce qu’ils espèrent toucher une audience jeune qui s’est détournée des sources d’informations traditionnelles ou, pire, n’en a jamais entendu parler. “La plupart des utilisateurs de Snapchat sont sur une tranche d’âge 18-34 ans, soit un public qui connaîtra sans doute, via Snapchat, ses premières expériences de lecture du Monde”, confirme Michael Szadkowski. Néanmoins, “personne ne nous demande d’avoir 14 ans et de nous transformer en faux jeune!”, m’explique Marion Mertens, rédactrice en chef numérique à Paris Match.
Quels sont les contenus qui cartonnent sur Snapchat?
Difficile à dire. Une chose est sûre, “il n’est pas envisageable de se contenter de recycler des contenus déjà publiés sur le site ou dans le magazine”, continue Marion Mertens, pour Paris Match.
Place aux contenus visuels forts, verticaux, avec grands renforts d’animations et d’effets graphiques : des flashs sur un défilé de photos de stars enceintes, comme sur un tapis rouge ; un photomontage avec Elisabeth II au volant d’une grosse voiture, accompagnée de Kate Middleton ; un labyrinthe avec lequel jouer pour faire arriver un joueur de foot jusqu’au but ; une vue à donner le vertige au dessus d’une falaise filmée avec une Gopro ; des infographies animées pour donner à voir la cartographie de l’espace ; des titres émaillés d’émoticônes.
Chaque jour, du lundi au dimanche, entre 10 et 15 contenus sont publiés sur chaque chaîne, pour une durée de 24h. On y entre via une image carrée qui introduit le sujet – quand, avant l’été, l’entrée se faisait via les logos des médias, sous la forme d’un cercle. Une refonte du design de Snapchat Discover qui devrait augmenter l’engagement des lecteurs sur les contenus.
D’après les expériences des médias anglo-saxons sur Snapchat Discover, les éditions thématiques (CNN avec une série sur le cannabis) donnent de très bons résultats, parfois meilleurs que les éditions présentant 10 informations différentes. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, puisque Le Monde a prévu de publier des éditions thématiques le week-end.
Comment se répartissent les revenus entre les médias et Snapchat?
Top secret. Chaque média partenaire a signé un accord de confidentialité qui l’empêche de dévoiler la répartition des revenus publicitaires.
Et si, finalement, le résultat était décevant?
C’est un risque que les médias acceptent de prendre, après avoir mis en place des équipes de plus de 5 personnes (et jusqu’à 7 au Monde) pour produire chaque jour autant de contenus calibrés pour Snapchat. Il faut donc avoir les reins solides.
Mais ces efforts ont aussi des vertus en interne. Au Monde, “le fait de devoir publier tous les jours des informations sur Discover, avec des formats visuels et mobiles, assez différents de ce qu’on fait d’habitude, va nous donner de nouvelles compétences et de nouveaux réflexes de publication”, souligne Michael Szadkowski. Même topo chez Paris Match où Marion Mertens espère expérimenter un ton “un peu plus fou” que d’habitude. Des laboratoires bienvenus lorsqu’il faut imaginer des “formats innovants, 100% graphiques et mobiles”.
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Alice Antheaume
lire le billet3… 2… 1… Top ! Jeudi 1er septembre, à 20h, la nouvelle franceinfo est officiellement lancée sur le canal 27 de la TNT – ou 77 sur la Freebox. Depuis l’immeuble de NextRadioTV, dans le Sud de Paris, la rédaction de BFM regarde sa concurrente faire ses premiers pas. «On ne voit pas bien les titres blancs sur le fond gris», commente l’un. «Bizarre, ce plan de profil avec la table à mi-cuisses», continue une autre. «Oui, mais bon, si on revoyait le lancement de BFM, en 2005, on aurait sans doute beaucoup à dire aussi. Ils vont ajuster au fur et à mesure», défend un historique de la chaîne.
Synergies de groupe
Après plusieurs heures de visionnage, une chose est claire : il y a, dans l’offre de franceinfo, la volonté de mettre les codes du Web à la télé. Et ce n’est pas une mince affaire quand il s’agit de réunir les forces de plusieurs entités qui, si elles ont en commun d’incarner le service public, n’en ont pas moins des façons de travailler très différentes :
Radio France connaît par cœur la hiérarchie des informations et la puissance de la voix mais est néophyte en mise en images ;
France TV est maître en puissance de l’image et en rythmique entre plateaux et illustrations mais ne sait pas encore articuler des informations en continu ;
France TV Info sait calibrer des contenus pour le petit écran des mobiles mais n’a pas encore l’habitude de travailler dans un dispositif si complexe ;
France 24 est volontiers tournée vers les standards anglo-saxons pour faire de la télévision, standards qui n’ont pas encore infusé dans la société française ;
et l’INA met en valeur le patrimoine médiatique français mais n’a pas encore la connaissance de la gestion d’un flux en continu.
Au centre du dispositif, figure un totem, sur lequel est visible le «live» permanent de feu France TV Info, l’application mobile lancée en novembre 2011, qui pousse le temps réel de l’information à son paroxysme et utilise les interactions avec l’audience comme des transitions narratives. Les présentateurs de franceinfo, installés dans la newsroom de France TV, y reviennent souvent, et montrent par là que les temporalités du Web sont devenues les leurs.
Pushs, rappels de titres, reportages
Si la maison de la radio se charge des rappels de titre toutes les dix minutes, l’équipe de France TV Info se charge, elle, d’envoyer sous forme de notifications sur les téléphones les dernières informations urgentes survenues. Elle a d’ailleurs eu droit à sa première expérience de push dans ce grand dispositif dès mardi dernier, lors de la démission d’Emmanuel Macron de son poste de ministre de l’Economie.
Deux points engagez-vous
Quant aux discussions avec les internautes, elles sont, elles aussi, mises en majesté. Le nouvel habillage le martèle, avec ces fameux deux points sur lesquels on a beaucoup glosé, moi la première, mais qui sont un appel à l’interaction, à «liker, tweetez, commenter, partager».
Ces deux points, rondouillards, rappellent les petites boules qui s’affichent lorsque l’on discute par SMS ou messagerie instantanée et que l’on attend la réponse de son interlocuteur, en restant scotché à son écran, dans l’attente de la suite. Pour un peu, on n’est pas si loin du journalisme de conversation dont j’ai déjà parlé ici, à l’occasion du «chat» mobile de Quartz, inauguré en février 2016 et basé sur des outils de messagerie, un usage alors inédit pour le journalisme.
Outre ces deux points, il y a plusieurs lignes de synthés – les sous-titres, en quelque sorte – affichés en bas de l’écran :
Au niveau inférieur, les titres, rédigés de façon traditionnelle, avec la source de l’information mise entre parenthèses comme le fait l’AFP dans ses titres de dépêches.
Au niveau intermédiaire, le logo suivi de la dénomination de la rubrique diffusée (la chronique des sports, le journal du monde, l’eurozapping, un week-end très politique, etc.) ou du thème du reportage. Juste au-dessus peut aussi figurer l’icône de géolocalisation, reprise de celle de Google Maps, pour indiquer le lieu des événements.
Enfin, et c’est la section que l’on n’avait pas vue ailleurs, des bouts de phrase surlignés de jaune, de vert, de bleu, apparaissent ponctuellement, et affichent ici un commentaire, là une touche d’ironie, là encore une question sarcastique. Bref, c’est une ligne de «social TV» qui, contrairement aux autres niveaux qui comportent des informations factuelles, fait penser aux discussions, volontiers moqueuses, sur un programme postées sur Twitter ou de piques à propos de promesses politiques.
En outre, franceinfo s’appuie sur un découpage très «séquencé», comme on dit à la télévision. C’est-à-dire que les rubriques, les reportages, les chroniques se succèdent sans qu’il y ait de liaison entre elles. Cette mécanique répond bien sûr à la nécessité de faire travailler plusieurs entités (Radio France, France TV, France 24, l’INA) à une même offre, avec chacun sa patte – même si l’on peut voir, à des détails, qu’il y a une lutte de visibilité entre ces maisons, comme lors de l’émission «Questions politiques», dimanche à 12.30, où les bonnettes des micros sont celles de France Inter.
Des séquences autonomes
Ce séquençage est une réponse à l’injonction impérieuse qui prévaut en ligne : puisqu’on ne sait pas où, quand ni dans quel contexte les contenus sont vus, il faut que chaque séquence soit autonome et exportable sur les réseaux sociaux, sans lancement ni explications orales introductives. Car, en 2016, la nécessité de produire des contenus partageables sur les réseaux sociaux, pour«engager les lecteurs», concerne bien sûr aussi franceinfo, toute nouvelle qu’elle soit.
Des têtes du Web
Autre inspiration venue du Web, la narration qui veut abolir les frontières et s’adresser à d’autres audiences que celles qui, jusque là, regardent France 2 – où la moyenne d’âge est de plus de 58 ans. Cela se traduit notamment dans des séquences de type «no comment », ces reportages tout image sans voix off qui pullulent dans le newsfeed de Facebook, et se lancent en autoplay pendant que vous êtes dans les transports en commun ou au bureau, sans écouteurs. Et puis, il y a aussi les «Draw my news» (dessine moi des informations), une série de mini-dessins animés, au langage universel et donc facilement lisible par n’importe quelle audience, jeune ou moins jeune, française ou internationale.
Enfin, et c’est sans doute ce qui représente l’innovation la plus louable, il y a une vraie volonté de mettre le numérique au cœur des sujets abordés. Lorsqu’Emmanuel Macron est interrogé, il l’est certes d’abord par des journalistes qui ont fait leurs armes sur des médias traditionnels (Nicolas Demorand, Nathalie Saint-Cricq, Carine Bécard et Arnaud Leparmentier), mais il l’est ensuite par un journaliste spécialiste du numérique (Damien Leloup, du Monde.fr). Car oui, les enjeux de la surveillance, de la suprématie des mastodontes du Web américain, d’une mobilité et d’une éducation transformées par le numérique, sont des questions essentielles à poser à des responsables politiques.
Les gribouillis de Snapchat sur écran télé
De la même façon, pour évoquer les pro-Nicolas Sarkozy qui ont retourné leur veste, jeudi soir, ou les 82 candidats à la présidentielle, vendredi soir, c’est Bastien Hugues, passé par Lefigaro.fr puis par France TV Info, qui s’y colle, à l’antenne, en appuyant sur de gros boutons d’une tablette géante servant d’écran, afin de mettre les infographies à l’honneur à la télévision, sur lesquelles on peut gribouiller au doigt levé, comme sur Snapchat. De quoi implémenter à la télévision une autre culture visuelle – le chercheur André Gunthert parle de saloper l’image sacrée.
Là encore, il y a, avec ces nouvelles têtes venues du Web, méconnues du grand public, l’idée de dire que le numérique est un sujet comme un autre et qu’il a droit de cité sur une chaîne de télévision autrement que via cette obsession dépassée mais toujours vivace dans le monde audiovisuel qui veut croire que les jeux vidéo poussent à la violence et que c’était mieux avant le numérique.
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Alice Antheaume
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