Les “Adblock”, ces bloqueurs de publicités disponibles gratuitement sur n’importe quel navigateur (Chrome, Firefox, etc.), qui empêchent les campagnes publicitaires (display, native adversiting) de s’afficher, sont les nouveaux fléaux des éditeurs.
Selon une étude réalisée par SecretMedia, une société qui vend une solution pour contrer les “Adblock”, l’impact est colossal sur la consommation de vidéos, et notamment en Europe. Revue de chiffres.
Marché saturé
“L’Allemagne est un bon exemple de ce que peut devenir un marché saturé par les bloqueurs de publicité”, peut-on lire dans cette étude. Il faut dire aussi que c’est dans ce pays qu’est né le plus connu de ces logiciels, Adblock Plus, édité par la start-up allemande Eyeo, dont l’activité est légale selon le jugement rendu par le tribunal de Munich en mai dernier.
Si SecretMedia a analysé l’impact des “Adblock” sur les vidéos, c’est bien sûr pour alerter les éditeurs sur les méfaits des “Adblock” sur leurs revenus et… en faire de futurs clients.
Razzia sur les vidéos en ligne
Tous les éditeurs ont en effet mis le cap sur les vidéos en ligne: parce qu’il y a une audience avide d’en consommer (en France, 33,6 millions d’internautes ont regardé au moins une vidéo sur leur écran d’ordinateur, en juillet 2015, selon Médiamétrie), parce que cette audience est jeune (les 18-34 ans regardent chaque jour 55 minutes de vidéos, sur leur ordinateur ou sur mobile) et “bankable” auprès des annonceurs, et parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) est plus élevé que sur des formats classiques.
“C’est là que l’argent est”, confirme Frédéric Filloux dans sa Monday Note. Résultat, les vidéos sont devenues des nids à publicités. Presque trop. “Trop de médias ont saturé leurs productions de vidéos payantes, qui se lancent automatiquement, souvent avec le volume au maximum”, reprend Frédéric Filloux. “Dans les vidéos aux sujets plus légitimes, souvent précédées de pré-roll publicitaire de 30 secondes, la plupart des éditeurs ont agi contre le sens commun et ont décidé ne pas permettre aux internautes de “passer” la pub après 5 secondes. Quand on ne peut pas échapper à ces publicités, le contenu devient juste insupportable”.
Bloquer les publicités et le nombre d’impressions sur une vidéo
D’après SecretMedia, non seulement les “Adblock” bloquent l’affichage des publicités, mais ils “font aussi disparaître un certain nombre d’éléments, comme les liens renvoyant sur d’autres vidéos, des widgets, et bien sûr les mesures d’impression”. C’est dont tout le système de mesure qui est remis en cause, et qui empêche l’audience d’être monétisée.
Alice Antheaume
lire le billet“Je ne suis pas un reporter de guerre. Je suis un reporter dans la guerre”, indique Vincent Hugeux, grand reporter à L’Express, invité de l’Ecole de journalisme de Sciences Po pour une master class le mercredi 9 septembre sur le reportage en terrain hostile. Sans évoquer les blessures psychiques ni la façon dont, peu à peu, on se “blinde” face aux images d’horreur, voici son “kit de survie” en 11 points pour les premiers pas.
Le reportage se joue en très grande partie avant de partir. “Tout se joue en amont”, insiste Vincent Hugeux, “il faut savoir ou l’on met les pieds” avant d’y mettre les pieds. Cela signifie se documenter au préalable, lire toutes les études, articles et livres possibles, solliciter des avis d’experts, des diplomates, et enfin des confrères partis sur la zone récemment. Autre nécessité: trouver un fixeur, “la meilleure des assurances vie”.
L’autre écueil est le “supposé connu”, continue le reporter. Même après des dizaines de séjours sur le même terrain, il ne faut rien tenir pour acquis. Car le chemin protégé d’hier entre un point A et un point B est apeut-être devenu un coupe-gorge aujourd’hui. De même que l’interlocuteur autrefois fiable peut avoir retourné sa veste.
Cela va avec les deux premiers points. Or c’est d’autant plus difficile aujourd’hui qu’il “n’y a plus de guerre conventionnelle” : les ressorts ethniques, communautaires, géographiques et économiques se sont complexifiés.
Avec 71 journalistes tués en 2014, “il n’y a plus de respect pour les emblèmes, que ce soit La Croix rouge, Médecins du monde ou la presse”. En clair, “vous devenez une cible en tant que journaliste et en tant qu’humanitaire”, avertit Vincent Hugeux. Conséquence, il faut veiller à utiliser les réseaux sociaux à bon escient. C’est-à-dire pas pour signaler sa position à n’importe qui en se géolocalisant, mais en y trouvant des contacts, des informations, des interlocuteurs intéressants.
“Méfiez-vous de l’effet de groupe”, harangue le journaliste de L’Express. Dès qu’il y a plusieurs reporters sur la même zone, apparaissent des comportements “bravaches et puérils” avec des journalistes, ragaillardis par la présence de leurs confrères, qui en viennent à estimer que le port du casque n’est pas nécessaire, note Vincent Hugeux. Un comportement suicidaire.
Ceux qui disent qu’ils n’ont “peur de rien” ne sont pas de bons reporters, car “la trouille peut être une alliée” lorsqu’il s’agit de repérer les dangers. En 2010, déjà, Michael Kamber, photoreporter américain, l’avait dit aux élèves de l’Ecole de journalisme de Sciences Po: “quand on n’a plus peur, on prend trop de risques”.
Vincent Hugeux fuie comme la peste les confrères qui se vantent en disant “le journalisme est toute ma vie”. L’exaltation peut conduire au péril. “C’est parfois grisant mais il faut garder l’envie de rester entier. Et avoir le même plaisir à partir qu’à rentrer”. En outre, “on écrit de meilleurs papiers quand on veut rentrer”…
Il faut veiller à “informer de sa position et de chacun de ses mouvements” un diplomate, les services de l’ambassade, un rédacteur en chef basé à Paris.
Si, comme me l’a raconté Alfred De Montesquiou, grand reporter à Paris Match, des chartes très précises existent à Associated Press pour encadrer les déplacements des reporters de guerre, Vincent Hugeux a construit son propre système de protection en donnant son itinéraire à l’un de ses rédacteurs en chef, qui sait que, s’il n’a pas de nouvelles à telle ou telle heure, fixée à l’avance, il doit alerter les autorités françaises.
Un système difficile à établir quand le reporter est pigiste. “La précarisation du métier pousse à prendre des risques inconsidérés dans des endroits inhospitaliers” pour satisfaire “la veulerie des rédactions”, regrette Vincent Hugeux, qui connaît sa chance. “En tant que salarié, j’ai le pouvoir de dire non, je n’y vais pas. En tant que pigiste, ce n’est pas possible”. Et ce, alors même que les rédactions ne sont pas sûres de prendre le sujet du pigiste. Ils lui disent “vas-y coco, et on verra bien ce que tu nous ramènes. En fonction, on te dira si cela nous intéresse ou non”. Cela dit, “si la vie n’a pas de prix, la sécurité a un coût incompressible, qui peut “peser lourd au moment de la décision éditoriale de laisser quelqu’un partir”.
Cela coûte très cher mais c’est indispensable pour partir dans des contrées difficiles, que ce soit pour quelques jours ou pour des semaines. Reporters sans frontières en propose, selon deux formules disponibles ici.
Gilet pare-balles ou casque? “Dans mon bureau, j’ai tout un attirail composé d’un gilet de sauvetage, d’une moustiquaire, d’une tente, d’un casque et d’un gilet pare balles”, raconte Vincent Hugeux qui assure s’être servi de chacun des éléments au cours de sa carrière. Le casque à Grozny, en Tchétchénie, que les forces russes écrasaient sous les bombes, n’est pas “une coquetterie superflue”. Le gilet de sauvetage pour atteindre Misrata, en Libye, inaccessible par la route, non plus. D’autant que les militaires n’acceptent parfois de “vous emmener que si vous êtes équipé”.
Problème de cet équipement: il instaure un rapport déséquilibré voire “parasitaire” avec les interlocuteurs, lesquels ne sont, eux, pas équipés.
Plus que l’équipement, la sécurité rapprochée est une “figure de style pesante qui peut être imposée”, par exemple en Algérie, où l’on invoque “l’impératif de votre propre sécurité”, se souvient Vincent Hugeux, “alors qu’on se sent plus en sécurité seul qu’accompagné”. Là encore, la présence de ces “protecteurs”, souvent des anciens des forces spéciales, “perturbe complètement la sincérité de l’échange” avec ceux que l’on interviewe. Mais c’est une condition parfois nécessaire.
De même pour les reportages “embed” (embarqué, en VF). Si l’on a le choix entre pouvoir y aller seul ou suivre des troupes militaires, on prend la première option. Si on n’a pas le choix et que c’est la seule façon de se rendre sur une zone, on regarde, tout en sachant qu’être “embed” signifie adhérer aux règles de l’armée, à leurs sorties, leur itinéraire, etc. Pour l’Irak, en 2003, le reportage “embed” était la seule solution. Mais cela veut dire rester cloîtré dans la zone verte, un quartier fortifié où se trouvent gouvernement provisoire irakien et ambassades. “C’est comme si j’étais moi-même prisonnier de la guerre”, se souvient le photographe américain Michael Kamber. “Je ne sortais que lorsque l’armée l’a décidé, dans un véhicule blindé”. Sans liberté de mouvement. Mais pas sans liberté de penser.
Au moment de passer à l’écriture, il y a deux règles d’or à respecter.
1. Ne surtout pas devenir le sujet de son sujet. “Le reportage doit être une ascèce, et non un métier altruiste pratiqué par des égocentriques”, lâche Vincent Hugeux.
2. Faire sobre en racontant “les creux” de la guerre et non “le boum boum”. Certaines scènes sont insupportables, à vivre et à lire. Il n’est pas question de les adoucir, mais de veiller à ce que le lecteur puisse aller jusqu’au bout sans haut le coeur.
Alice Antheaume
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