Huis trop clos?

Une «Ile de la Tentation Web», peut-on lire ici. Pire, une «farce», lit-on là. L’expérience Huis clos sur le Net, lancée par les Radios francophones publiques (RFP) lundi 1er février, suscite l’incompréhension des internautes et… des journalistes Web. Qui ne les ont pas pour savoir et montrer qu’on pouvait s’informer — aussi — avec les réseaux sociaux.

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Le principe? Cinq journalistes radio, «enfermés volontaires» dans une ferme du Périgord – moins enneigée qu’un chalet en Suisse et moins cher qu’une cabane au Canada – pendant cinq jours, allaient tester ce veut dire dire s’informer uniquement sur Twitter et Facebook (1). Sans autre source d’informations. Ni journaux, ni télé, ni radio, ni accès aux dépêches d’agences.

«L’idée est née collectivement lors d’une commission des Radios Francophones Publiques (RFP), en avril 2009, où il y avait notamment les directeurs de France Inter et de France Info», me raconte Françoise Dost, secrétaire générale des RFP. «On se posait plein de questions sur l’importance grandissante de ces réseaux. Y trouve-t-on la même information que dans les médias traditionnels? Quelles informations émergent plus que d’autres? Comment se construit la perception de l’actualité par les utilisateurs de Twitter et de Facebook? Alors on s’est dit que, pour avoir des réponses, il fallait organiser une vraie expérience, grandeur nature, où les participants seraient à la fois coupés de leur monde professionnel et familial.»

Le tollé

Aussitôt Huis clos sur le Net inauguré, les membres du réseau Twitter — toujours prompts à se défouler comme dans une cour de récréation — se sont amusés à écrire que Michel Sardou était mort, pour voir si la fausse information parviendrait à être crédible auprès des cobayes. Lesquels ont repéré sans mal le piège, puisque les messages parlant du soi-disant décès du chanteur était accompagné du mot-clé #huisclosnet.

Ensuite, cela a été une succession d’incompréhensions. «Est-ce que les journalistes embrigadés dans l’expérience ont le droit de cliquer sur les liens postés sur Twitter et Facebook?» A cette question, la réponse a tardé à venir. «On peut par exemple cliquer sur un article du Monde.fr si le lien est posté sur Twitter, mais une fois sur l’article, on n’a pas le droit de naviguer sur le site du Monde.fr (ni aucun autre site d’info, le temps que dure l’expérience, ndlr)», m’a expliqué l’un des participants. Une règle qui en a surpris plus d’un. S’empêcher de cliquer sur les liens est une aberration: la toile constitue avant tout une formidable machine à «contextualiser», via des liens entre des pages, entre des sites, dans un espace connecté et interconnecté en permanence. Françoise Dost reconnaît que le projet est un «labo dont les conditions ne sont pas celles de la vie». Etrange laboratoire…

Tout dépend de qui l’on suit

L’autre limite de l’exercice, c’est que la qualité des informations recueillies sur Twitter et Facebook dépend de la communauté des cinq participants sur ces deux réseaux. Autrement dit, dépend de qui sont leurs amis sur Facebook, et leurs «followings» sur Twitter. S’ils ont par exemple des amis ou des émetteurs d’infos soucieux de donner sur ces réseaux des infos utiles et variées, qui datent de moins de 24h, ils auront un aperçu de l’actualité du jour. Anticipant cet aspect, les candidats ont «défollowé» (retiré) de leur Twitter les comptes de médias avant de débuter le programme, arguant qu’il «faut bien se donner une limite». «Sur Twitter, la perception et le décodage du monde dépendent beaucoup des membres du réseau, dit Janic Tremblay, l’un des cinq journalistes. Ceux que vous suivez influencent votre compréhension du monde. C’est comme la télé. On n’est pas informé de la même façon en regardant CNN que Fox News. C’est l’avantage et l’inconvénient de Twitter. Le choix. Infini.»

Un constat qui a dérouté les utilisateurs de longue date des réseaux, habitués à utiliser les réseaux pour deux raisons au moins: 1. pour avoir des informations avant les médias traditionnels, comme lors de la mort de Michael Jackson, en juin 2009, ou plus loin, pendant les attentats de Mumbai, en Inde, en octobre 2008. 2. Pour interagir avec les autres, en fonction de centres d’intérêts communs.

«Le but de l’expérience n’est pas de prouver que l’information que l’on trouve sur les réseaux est juste ou pas, reprend l’un des participants. Mais de juger de l’importance qui est donnée à telle ou telle info sur les réseaux sociaux. Maintenant, je sais ce que les internautes plébiscitent, quand avant, je savais seulement ce que les auditeurs plébiscitaient…»

Quant à Françoise Dost, elle assure vouloir tirer «sérieusement» les leçons – sociétales, journalistiques, etc. de cette expérience ultra médiatisée. On ne sait pas si, après cela, les journalistes des Radios Francophones Publiques seront incités à détenir des comptes Twitter et Facebook pour y faire de l’information autrement, comme c’est déjà le cas dans certaines rédactions, et bientôt à l’AFP. Mais Françoise Dost le promet: «Ce n’est qu’un début». Préparez-vous à Huis clos sur le Net 2. Avec le droit d’utiliser vraiment Internet, cette fois?

Alice Antheaume

(1) Selon une récente étude de Nielsen, le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 82% entre décembre 2008 et 2009. Rien qu’en France, les internautes consacrent en moyenne 4h04 chaque mois à surfer sur ces réseaux.

Image du studio du huis clos par David Abiker

5 commentaires pour “Huis trop clos?”

  1. L’expérience Huis Clos sur le Net pose de vrais problèmes. Lisez donc ma chronique d’abonnés sur le site du Monde.
    http://abonnes.lemonde.fr/opinions/chronique/2010/01/31/huis-clos-sur-le-net_1299222_3232.html

  2. On apprend en faisant, dit-on. Personnellement, je trouve cette initiative extrêmement rafraîchissante, innovante et instructive. Donc bravo !

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