Comment peut-on remplacer Roberto (Alagna) ?

 

 

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Dimanche 9 février, 14h30, Opéra-Bastille. Les lumières du plafonnier s’estompent, noir dans la salle. Abdellah Lasri s’assied au rang 15. Michel Plasson rejoint son pupitre de chef. Les premiers accord de Werther inondent la salle. Le rideau se lève.  Un immense portail de bois. Un mur de pierre à demi envahi par le lierre, là où murmure une fontaine. La maison du bailli est ouverte. Des chants d’enfants s’en échappent. Une ombre, une main, une silhouette hésite à franchir le seuil. Redingote bleue, gilet doré, le costume fait Werther. Et Werther, ce soir, c’est Roberto Alagna. Il n’a pas encore ouvert la bouche, mais son silence emplit la toile grise qui dessine le ciel déjà sombre du héros.

Au rang 15, Abdellah n’a d’yeux que pour lui. Un mois déjà qu’il est à Bastille, invité temporaire pour répéter avec son aîné, avec l’orchestre, avec le chef Plasson. Sur son Facebook, la copie de son badge en CDD, et les première photos des répétitions… Ténor plein de promesses, originaire de Rabat (Maroc), sacré Révélation de l’Adami en 2010, il a travaillé avec Michel Piquemal, François Leroux, Glenn Chambers au CNSM de Paris. Il y a trois mois sur la scène du Aalto MusikTheater de Essen (Allemagne), il jouait son premier Werther, à la fois charnel et fougueux, un Werther proche sans doute du héros de Goethe, âgé seulement de 23 ans. Mercredi, sur la scène de Bastille, en remplacement de Roberto, ce sera son tour.

Comment remplacer Roberto ? Comment remplacer Roberto ? Sacré challenge pour une prise de rôle. En jean bleu et baskets beige, Abdellah a trois heures pour faire le tour de la question. Roberto, ce soir, plus que les autres soirs, rayonne. Est-ce la venue de cette petite Maléna, que sa compagne Alexandra Kurzack lui a donnée il y a dix jours ? Sa voix est à la fois puissante et pleine. Il incarne un Werther, ardent, serein, amoureux de la nature, fasciné comme les enfants (et il sait ce que cela veut dire) épris plus que tout d’absolu, qui ne peut tolérer un avenir moins grand que ses rêves et marche droit dans la vie, comme vers la mort. « Ce Werther me ressemble, me disait Roberto il y a quelques jours. C’est un mélange de retenue, d’exaltation, d’exubérance.  Il est plus latin que germain, très romantique. Il est tout de suite amoureux de cette femme, il sait lui faire sa cour, et comme c’est impossible, la terre s’ouvre pour lui. »Entre Karine Deshayes, Charlotte sensuelle, et lui, il y a cette alchimie de ceux qui vibrent du même art. Tous deux emportent l’œuvre de Massenet, malgré ses quelques lourdeurs orchestrales, au galop de leur passion dans cette mise en scène retenue et terrible de Benoît Jacquot transcendée par les lumières de Charles Edwards et André Diot.

Abdellah les suit, mieux que quiconque, il connaît chaque mot par cœur. Il ne quitte pas les lèvres du chanteur. Ses mains esquissent parfois la mesure et quand Roberto lance le célèbre « Pourquoi me réveiller », il murmure avec lui, tape des deux mains sur ses genoux pendant l’ovation du public, en liesse. Il a vingt ans de moins que Roberto. Quel poids donnera-t-il à cette vie concentrée en quelques gestes : la rencontre, une soirée, un baiser, des adieux, la mort ? C’est ce que l’on découvrira le 12 février, pour sa prise de rôle à Bastille… Souhaitons-lui beaucoup de souffle et d’étoiles pour porter sa voix au firmament.

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4 commentaires pour “Comment peut-on remplacer Roberto (Alagna) ?”

  1. JE LUI SOUHAITE DE TOUT COEUR, BIEN QUE JE NE L’AI PAS ENTENDU CHANTER… MAIS IL FAUT ENCOURAGER LES JEUNES, COMME CELA A ETE FAIT PAR DES AMIS POUR ROBERTO, LORSQU’IL AVAIT LE MEME AGE !!! ALORS BEAUCOUP DE CHANCE ABDELLAH !!!

  2. Je suis aussi de tout coeur avec Abdellah, je l’ai entendu à Essen, au Théâtre Aalto, il était vraiment magnifique en Werther, et fera des merveilles ce soir à Bastille! TOI TOI TOI cher Abdellah, mais reviens-nous tout de même, on est tellement heureux d’avoir un si beau ténor à Essen!

  3. Abdellah ne remplace personne !!! Deux distributions différentes du rôle du Werther étaient prévues dès le début ! Abdellah Lasri a accepté tardivement de partager ce rôle, sans doute parce que peu de ténors étaient disponibles pour une seule représentation (celle du 12 février) mais ce n’est pas juste de dire qu’il “remplace” qui que ce soit. Il chante ce soir et c’est une expérience importante pour lui, sa première à bastille. Ce n’est pas très fair play de le présenter comme un remplaçant….

  4. Cher Robert, loin de moi l’idée de présenter Abdellah uniquement comme un remplaçant, mais bien aun contraire de mettre en lumière l’importance de cette première pour lui, ce que je raconte tout au long de l’article, et d’en saluer toute la valeur.

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