Les Fâcheux de Molière, au Théâtre de l’Epée de Bois, mise en scène Jean Denis Monory (la Fabrique à Théâtre)
Allumez les bougies, lentement, une à une, pendant que l’on s’assied, un peu bruyamment, installer simplement, le calme, le silence, aider chacun à faire la lumière en lui. Voici le décor, trois rideaux noirs, de part et d’autre, comme des toiles attendant d’être peintes, une large trompe l’œil en fonds de scène, où trois topiaires, de part et d’autres, dessinent la perspective imaginaire qui poursuit le triangle où se joue la pièce. La scène, c’est là où l’on voit et où l’on est vu. Tout autour, ce n’est que rumeur et pénombre.
Silence dans la salle, pleine et chaude. On est venu de loin pour voir au Théâtre de l’épée de bois, à la Cartoucherie de Vincennes, la dernière des Fâcheux, de Molière. On ne la voit pas si souvent cette pièce un peu oubliée, donnée le 17 août 1661 à Vaux, lors de la funeste fête qui déclencha l’ire du Roi contre son Surintendant des Finances, Nicolas Fouquet. Etrange méli-mélo de rencontres et de genre. Composée en quinze jours par Molière, associé à Lully et Beauchamp, les compositeurs du rois et à Paul Pellisson, le secrétaire particulier de Fouquet. Belle liberté sur scène que ce métissage de théâtre, de danse et de musique, à mi-chemin entre commedia dell’arte, entre musique et opéra. Argument léger, presque faible : Eraste, le marquis amoureux, est empêché de retrouver son Orphise, de toutes manières et par toutes sortes de fâcheux, jusqu’à ce qu’un happy end lui gagne malgré tout la main de sa dulcinée.
Amoureux du baroque et de la fantaisie, Jean-Denis Monory donne sens et mouvement à cette satire de la société mondaine. Joueur de carte, militaire, coquettes, aventuriers, mauraudeurs, quémandeurs et philosophes bavards, enrhumés et autres catarrheux, en tous genre voltigent devant les bougies, comme autant de lucioles trouble-fête. Bastien Ossart ouvre le bal, valet de pied trop empressé, à la fois comédien et danseur ou danseur et comédien, comme tous en cette ère baroque et comme la plupart sur scène ce soir, de Camille Metzger à Gudrun Skamletz et Alex Sander dos Santos. D’autre sont plus musiciens que danseurs, mais tout autant comédiens. Il y a Manuel de Grange à la guitare baroque, Vojtech Semera au violon, toujours baroque et Jennifer Vera, flûtiste et tambourinaïre. Malo de La Tullaye (Eraste) est harcelé par tout ce monde, comme par autant de moustiques. Le pire est sans conteste Jean-Denis Monory qui reprend le, ou plutôt les, rôles de Molière, incarnant tour à tout, un passant, un chanteur, un militaire, un joueur, unchasseur, une blonde, un philosophe et le vieux tuteur.
Dans la salle, le public se régale à ouïr le vieux « françois » avec ses consonnes sonores et ses voyelles chantantes. Puis s’enchante devant les ballets et les cascades réglées comme du papier à musique. On joue, on danse, on chante, on pouffe, on rit, on applaudit, on est heureux. La dernière était hier… Et l’on rêve déjà de l’entendre à nouveau en plein air, comme messieurs Molière et Lully l’avaient imaginé en leur temps…