Du Perche à Montpellier, le Schumann Quartett amène un vent de fraîcheur sur la musique à cordes
Quand ils sont arrivés, un peu retardés par quelques intempéries et un train vagabond, la petite chapelle de Maison-Maugis bruissait paisiblement d’heureux bavardages. Précédés de leurs boites à instruments, les garçons bruns et la jolie blonde sont passés discrètement entre les travées et se sont glissés dans la sacristie, derrière le retable baroque. Quelques instants encore, le temps pour Jean-Claude et Micheline Leconte de revenir les présenter. Tout le restant de l’année, les attentionnés mécènes du Pont des Arts (*) écument les concours à la recherche des jeunes talents qu’ils invitent l’été à partager une soirée avec la meilleure compagnie percheronne.
Les quatre musiciens attaquent les premières notes du quatuor en ré Majeur op 76, n°5 de Joseph Haydn. Un petit mise en oreille délicate où l’autorité du premier violon, Erik Schumann s’affirme. A 32 ans, l’aîné des trois frères a déjà joué dans les plus grands orchestres d’Europe, à Salzbourg ou Lucerne, aux côtés de Gidon Kremer, Christophe Eschenbach ou Daniel Hope. Il mène Ken, 28 ans, comme lui violoniste, Mark, 25 ans au violoncelle et, à l’alto, l’estonienne Liisa Randalu. Incroyable quadrige que ces trois frères, élevés avec attention et exigence par Robert, le père, violoniste, et leur mère, japonaise et pianiste. A quatre ans, chacun manipulait déjà son petit instrument, à 12, ils accumulaient les prix et commençaient à jouer dans les orchestres. A eux quatre, ils cumulent à peine plus de cent bougies et déjà des milliers de concerts au sein des plus prestigieuses formations.
Formés par Günter Pichler du Quatuor Alban Berg, fondé en 2007 à Cologne, révélations de la dernière édition du Concours international de quatuors à cordes de Bordeaux en 2013, mais aussi vainqueurs en 2012 du concours « Schubert et la musique moderne » en Autriche, du concours Paolo Borciani, en Italie et 2e prix au prestigieux Concours international de musique de chambre d’Osaka, au Japon. Cet impressionnant pedigree ne se lit pas sur ces visages lisses et souriants qui se jouent des traits les plus périlleux sous les regards admiratifs du public.
Quand ils sont entrés, on s’attendrissait sans les connaître encore : « comme ils paraissent jeunes… ». Quand ils enchaînent sur le périlleux quatuor op 40, n°1 en la mineur de leur homonyme Schumann, on s’ébaubit, on s’extasie. Technique et virtuosité ne cèdent jamais à la fluidité et à la circulation entre les pupitres. C’est un jeu délicieux que de naviguer de la touche à l’archet tout en captant les échanges de regard entre ces partenaires. Esprit de famille, travail d’équipe, synchronisation parfaite, ces quatre là semblent respirer ensemble. Et si le casque d’or de la jolie Lisa contraste avec les chevelures de jais de ses compagnons, tous trois n’en redoublent pas moins d’attention pour laisser à sa touchante sonorité d’alto la place qu’elle mérite.
Après un entracte bucolique, égréné à pas lents entre la chapelle, le château et le potager de Maison-Maugis, les musiciens se lancent dans le fameux et terrible quatuor op 80 en fa mineur de Felix Mendelsohn. Œuvre sublime, pétrie de souffrance et de révolte, marquée par la mort de Fanny, sa soeur, et pétrie de son tragique destin. Avec la fougue de leurs vingt ans, les Schumann emportent la nef illuminée dans les tempêtes de cette œuvre romantique et désespérée. Là, les graves du beau violoncelle Testore (1710) joué par Mark, lebenjamin, élève d’Heinrich Schiff et Frans Helmerson, s’affirment avec révolte, puis sérénité.
Le public, bouleversé, s’apaisera avec le bis, tendre zakouski du quatuor en ut mineur D. 703 de Franz Schubert.Il reste juste sous les fûtaies complices de Maison-Maugis le temps pour les artistes d’être congratulés par le sénateur de l’Orne, Jean-Claude Lenoir et d’échanger avec quelques musiciens venus à leur rencontre, comme Philippe Chérond, violoncelle solo à l’Opéra de Paris et élève de Paul Tortelier. Déjà, les voici repartis vers de nouvelles salles et un nouveau public : au festival Radio-France de Montpellier jusqu’au 22 juillet, puis retour en Allemagne, au festival de Schleswig-Holstein, puis au Concertgebouw Amsterdam, à Davos, en Suiss, avant le retour, le 20 septembre, au septembre musical de l’Orne, pour un programme Mozart-Winkelmann-Schumann. Nous serons fidèles au rendez-vous.
(*) Dans le cadre de leur saison, ils recevront le trio Atanassof, le 15 août à Maison-Maugis
Crédit photo Schumann Quartet ©DR
lire le billetLe Couronnement de Poppée, production de Bob Wilson à l’Opéra de Paris divinise le baroque.
Les dieux sont cruels. Des frasques de Zeus aux drames des Atrides, les petites aventures conjugales mythologiques ne suffisent pas à distraire leur ennui olympien. Encore faut-il qu’ils s’amusent à manipuler les humains, pantins désarticulés à l’aube d’un effroyable abîme. Les ombres d’Hector, d’Achille, d’Ulysse et de Pénélope flottaient encore dans les méandres de l’Hadès que déjà une nouvelle génération de candidats à l’héroïsme se profilaient vers Rome. De chair et de sang, Caligula, Néron et les siens font bonne figure sur le petit théâtre tragi-comique des divinités spectatrices. Après l’Orfeo et le retour d’Ulysse, le metteur en scène Bob Wilson s’est emparé, lui aussi, du dernier opéra de Monterverdi, « l’Incoronnazione di Poppea » dans une scénographie dont le raffinement ciselé met d’autant mieux en lumière ces êtres qui se sont surpassés dans la cruauté et l’ignominie. Lumière justement, c’est ainsi que le fondateur du Watermill Center signe ses œuvres. Ici, le tyran et les créatures torturées qui l’entourent sont corsetées dans un halo implacable et divin. Leur déplacement, leurs gestes semblent intégralement codifiés comme s’ils étaient – et ils le sont- entièrement prisonniers de leur destin.
Le couronnement de Poppée, c’est l’histoire survenue en 55 après Jésus Christ, d’une passion prête à tout ravager pour hisser sur le trône l’objet tant désiré. Fureur, violence, sang et sensualité se mêlent autour des amours funestes de l’empereur et de son ambitieuse maîtresse, prête à tout pour faire tomber sa rivale, Ottavia. En maître de la scène, Bob Wilson s’empare des personnages et les plie dans un carcan plus tyrannique que celui imaginé par les dieux mêmes. Hératiques, ils évoluent sur scène comme des statues animées dans les décors et les lumières, dont la nudité sublime cisèle cette perle baroque d’opéra.
Sur le plateau vide, baigné dans des lumières dont Wilson cultive le mystère, voyagent quelques décors métaphysiques. On sent que l’artiste a lu les vers du philosophe Sénèque : « Délices de l’intelligence qui s’applique à considérer les images célestes derrière leur vile forme terrestre »…
Arches, colonnes, roches brutes, cyprès déracinés et flottants dans les airs, massifs de buis formant labyrinthe, chapiteaux de temples déchus, étoiles. Telles les pièces mouvantes et disjointes d’un tableau de Magritte ou de Chirico, ils soulignent l’irréelle beauté du livret de Busenello, chef d’œuvre musical à lui seul autant par ses jeux de consonnes et de voyelles que par la profondeur de ses propos. Mention spéciale à Ottavia de Monica Baccelli, qui doit jongler entre les consonnes articulées du premier air « Disprezzata Regina » et les périlleuses voyelles de l’air final « Addio Roma… mais aussi aux Nourrices pétries de Commedia dell’arte, Manuel Nunez Camelino et Giuseppe di Vittorio, dont les travestissements font osciller dangereusement cet univers trop divin. Dans leur ventre trop large, elles portent, mieux que Sénèque, la sagesse du monde. Comme Arnalta qui achève sa grande aria « Oggi sara Poppea di Roma Imperatrice (Aujourd’hui Poppée sera Impératrice de Rome) par ces mots pétris de bon sens :
« Devais-je être réincarnée, je voudrais naître maîtresse et mourir servante. Celle qui quitte la grandeur va à la mort en pleurant, mais celle qui reste servante jouit d’un sort plus heureux car la mort met un terme à sa misère… »
Même bon sens partagé avec Valetto (le Page aux allures chérubinesques), qui tient ses propos : « Apprends-moi vite afin que si l’orgueil me montait à la tête, je sache moi-même me corriger… »
Finalement, et Bob Wilson nous le fait bien entendre : plus le pouvoir approche, plus la sagesse recule ». Aussi figées dans leur ambition que parfois empruntés dans leurs rôles, Nero (Jérémy Ovenden, par trop falot), Poppea (Karine Deshayes, prisonnière du rôle-titre), Othone (Varduhi Abrahamyam, au timbre chaleureux), Drusilla (très talenetueuse Gaëlle Arquez) , tous broyés à l’avance dans leur propre démesure. Et dans ces décors épurés, les merveilleux costumes grand siècle dessinés par Yashi et Jacques Reynaud contribuent encore à empeser la démarche des héros, prisonniers de leur cuirasses, de leurs paniers et de leurs fraises. Les joutes les plus sensuelles qui abondent dans l’œuvre de Monteverdi en perdent une part de leur puissance. Ne reste plus que l’intellect chauffée à blanc, jusqu’à l’incandescence. Oui, Wilson étouffe toute vie dans cette mise en scène aussi sublime que démesurée, mais c’est justement pour mieux nous rappeler les mots de Nietzsche : « On peut mourir d’être immortel. »
Le Couronnement de Poppée, de Claudio Monteverdi. Avec Karine Deshayes, Gaëlle Arquez, Jaël Azzaretti, Amel Brahim-Djelloul, Varduhi Abrahamyan, Jeremy Ovenden, Monica Bacelli, Andrea Concetti, Robert Wilson (mise en scène et décors), Jacques Reynaud (costumes), Robert Wilson et A.J. Weissbard (lumières), Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini (direction). Palais-Garnier, Paris 9e. Jusqu’au 30 juin. Tél : 08 92 89 90 90. De 5 € à 195 €. Operadeparis.fr
lire le billetRendez-vous au Palais Garnier avec Aurélie Dupont. Le temple édifié par Charles entre 1860 et 1875 est sa maison depuis plus de trente ans. Elle est arrivée là, enfant, dans les troupes des petits rats de l’Ecole de Nanterre en 1983 jusqu’au corps de ballet en 1989. Une à une, aidée par son maître Gilbert Mayer, elle en a gravit toutes les marches, la rigide hiérarchie, jusqu’à ce 31 décembre 1998 où Hugues R. Gall l’a nommée étoile. Depuis, elle court, elle vole, elle danse, Aurélie en basket ou sur les pointes, en jean ou en tutu, ballerine idéale de Gisèle au Lac des Cygnes, émouvante et troublante dans les chorégraphies contemporaines. Avec Pina Baush qui lui a offert le rôle de l’Elue dans son Sacre du Printemps, elle a découvert les secrets de son corps, avec Jiri Kylian, elle a dansé Bella Figura seins nus, avec Sasha Waltz, elle a joué Juliette, elle forme avec Manuel Legris l’inoubliable duo du Parc d’Angelin Preljocaj… Et maintenant Chloé dans la chorégraphie qui signe l’arrivée dans les murs du nouveau directeur de l’opéra Benjamin Millepied. Elle dansait ce soir-là à Bastille, mais elle m’a reçu quelques instants.
Au deuxième étage de la Maison, comme on dit là-bas, après les ascenseurs grillagés, le parquet du couloir craque jusqu’à sa loge qui fut un temps celle de Marie-Claude Pietragalla et qui voisine aujourd’hui avec celle de Marie-Agnès Gillot. Au pied de la fenêtre, des dizaines de chaussons sagement alignés derrière quelques paires de baskets jetées en vrac. Sur le fauteuil et le divan d’un blanc immaculé des étoles de soie, des châles de laines et des bandeaux pour retenir les cheveux par dizaines. Par terre, le portrait d’une petite fille déjà sépia. Sur le miroir où la dame se fait belle, les photos de ses fils, Jacques et Georges dans les bras de leur mère, de leur père, le danseur étoile Jérémie Bélingard, ou des deux.
Chaque minute, chaque seconde compte dans son emploi du temps, alors nous avons parlé très vite. Même ses hésitations étaient langage. Parfois ses mains cherchaient une réponse entre ses paumes ou ses phalanges. Jamais désarçonnée, elle s’offrait parfois des silences, le temps de transformer en geste sa pensée, de la même manière qu’elle joue des mots pour imprimer la trace de son mouvement dans l’esprit de ceux qui la regardent. Quelques mois avant de rendre son diadème, Benjamin Millepied vient de lui confier une nouvelle mission, maître de ballet. Elle qui avait rêvé de prendre l’air s’apprête à replonger avec bonheur dans cette nouvelle aventure. En femme libre, amoureuse, elle est prête aujourd’hui à transmettre ses secrets d’étoile.
Comment abordez-vous ce Daphnis et Chloé, dont Maurice Ravel dont Benjamin Millepied signe la chorégraphie pour vous ?
Comme une jeune femme amoureuse, séparée avant de vivre pleinement un amour avec Daphnis. C’est assez clair, classique dans le déroulement. On traverse souvent un peu les mêmes histoires, le même engagement sentimental dans le jeu.
Appréciez-vous la compagnie de Ravel ?
C’est un des rares compositeurs classiques que j’écoute à la maison. Ce qui est rare et précieux avec Daphnis, c’est de voir tous les corps de métier de l’opéra réunis. Pour une fois, nous sommes en rapport direct avec les chœurs. Ils sont côté jardin. Dès que je peux, je m’assieds en coulisse, et je les écoute en stéréo. Du coup, le chef d’orchestre Philippe Jordan travaillait aussi tout le temps avec nous. C’est toujours une grande fierté que de faire le spectacle ensemble. L’Opéra de paris, c’est tout cela : les musiciens, les chœurs, les chanteurs,. Cela me semble tellement logique que je me dis : pourquoi pas plus souvent ?
Chanter, cela vous manque ?
– C’est plus les mots qui me manquent que le chant, mais je les ai tout le temps dans la tête. Quand je danse, j’ai toujours mon scénario à moi qui défile C’est comme si j’étais une danseuse, évidemment muette, mais dans ma tête, il se passe en temps réel, un dialogue avec des rythmes de paroles qui correspondent à des rythmes dansés, des silences, qui correspondent à des arrêts dans ma danse…
On aimerait connaître cette histoire… Le dernier tableau de Daphnis et Chloé par exemple ?
Là, il y a les toutes les couleurs, dramatiquement, c’est moins écrit, c’est une happy end. il faut que ça explose, c’est la joie, le sourire, tout cela. C’est l’amour accompli, assumé. Mais je mets plus de mots encore dans les choses de tendresses que j’ai avec Hervé, à la fin de son solo par exemple… Chorégraphiquement, je dois remonter avec lui, faire une espèce de 4e position, c’est à dire mettre les deux pieds parallèles. Il me fait un porter, il y a un cambré. Beaucoup de douceur, de sensualité se passent à travers le regard, car c’est la première fois que nous dansons vraiment ensemble. Ce ne sont pas forcément des mots sur un rythme, ce n’est pas juste lui prendre la main vulgairement. C’est plus un habillage écrit des sentiments. Là, je me dis que je suis amoureuse, que je prends le temps de prendre sa main, que je prends le temps de le toucher, que je prends le temps de me dire que je le trouve extrêmement beau et que je vais oser lui prendre la main…
Le silence semble important, aussi…
– C’est important le silence dans la danse, c’est un moment de réflexion pour la danseuse, et aussi pour le public… Si vous envoyez du geste, du mouvement, du mouvement, du mouvement tout le temps, au bout d’un moment, le public est asphyxié. Mais dès qu’il y a des moments de pause, ce temps là, c’est un temps de réflexion très important, surtout dans la tragédie, dans les moments de déchirure, de doute.
Et comment traduire le doute par des gestes ?
Le doute, en scène, c’est extrêmement simple et difficile à la fois. Le doute, c’est ne pas bouger, pour que le public ait ce temps-là pour réaliser. C’est un peu come un humoriste quand il fait une blague… S’il enchaîne trop vite, les gens n’ont ni le temps de rire, ni d’applaudir.
Parmi les autres ballets, lesquels ont marqué votre carrière ?
Toutes les tragédies, mais celui qui m’a le plus émue – je suis étonnée de le dire, mais comme j’arrive à la fin de mon parcours, il y a des choses qui ressortent malgré moi – J’ai beaucoup, beaucoup, aimé le Roméo et Juliette de Berlioz dans la chorégraphie de Sacha Walz. Pourtant, je ne l’ai dansé que trois fois dans toute ma carrière, mais c ‘est un personnage incroyable. J’avais 33 ans, je crois, cela m’a appris justement à à jouer la comédie. Très souvent les artistes sont faits de tous ces sentiments qu’on leur demande pour danser, mais après, il doivent les mettre en scène et cela s’apprend. C’est vraiment un apprentissage. Une danseuse qui pleure, on voit rien, on comprend pas, donc il faut que cela soit en même temps juste, pensé, ressenti, surtout pas ridicule. Juliette, cela a été un peu mon premier rôle, très fort, pas comme Gisèle qui est vraiment du théâtre. C’est vraiment moi dedans.
– A quoi correspondait cet encouragement, ou ce sermon, que vous lançait Claude Bessy, quand vous étiez à l’école de danse : « Pousse, pousse jusqu’au bout, sois plus libre » ?
Ah oui, j’avais 15 ans, en tunique parme. Pour être précise, c’est un pas qui m’était imposé où il fallait que je saute. Et le saut n’est pas ma qualité première. J’ai dû beaucoup travailler. J’ai compris toute seule comment prendre un appel pour faire un bon saut. A l’école, ils n’ont pas réussi à me l’expliquer, à part : « saute jusqu’au bout »… mais pour moi, cela ne voulait pas dire grand chose. J’ai compris des années après, comment sauter bien, faire un bon appel pour qu’il y ait une sorte de magie qui se passe en l’air avec les jambes en grand écart. C’est vrai que souvent il faut aller dans l’excès pour trouver quelque chose de juste et de naturel.
– L’excès n’a pas l’air d’être votre tempérament ?
Ah, dans le travail si !
Pas dans l’expression ?
– Je ne parle pas de jeu, je parle de mouvement. Physiquement, je suis souvent dans l’excès.
L’excès peut aussi mener à la cassure ?
– Il m’est déjà arrivé de me casser parce que j’allais trop loin, mais c’était plus l’usure qu’un mouvement de trop. Mais oui, il faut aller dans l’excès et plus on vieillit, plus il faut le faire, parce que sinon tout est rétréci.
Ah, oui, on pourrait croire que c’est le contraire ?
– Eh bien non, parce qu’à 20 ans, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, votre corps est extrêmement laxe, c’est du caoutchouc. A 30 ans, cela se complique. Et à 40, il faut pousser la technique, comme au début, ce que je fais d’ailleurs, ne surtout pas se dire : « je sais tout faire ». Au contraire, se forcer à garder une technique solide, c’est à dire ne pas s’arrêter à un ou deux tours, retravailler 3 ou 4, continuer à faire les grands sauts. Vous dansez moins des ballets compliqués quand vous êtes plus âgée, donc naturellement votre technique vous échappe parce que vous ne la travaillez plus, c’est un cercle vicieux. Je lutte contre cela. Oui je continue à forcer mon corps.
Combien d’heures travaillez-vous par jour ?
Hier, de 10 à 19 heures, aujourd’hui de 10 à 16, et je danse ce soir à Bastille. C’est variable, mais bien chargé.
Vous trouvez encore du temps pour vos deux petits garçons ?
C’est ma priorité. J’ai du temps pour eux et pas beaucoup de temps pour moi mais tout le temps que j’ai, naturellement, j’ai envie de le passer avec eux. Je n’ai pas ma vie de 25 ans, où je sortais, où j’allais au cinéma, voir des expo, où j’allais faire la fête, dans des dîners… Peut-être, plus tard, je retournerai guincher, mais c’est une vie qui me convient.
Sont-ils venus vous voir sur scène ?
Très peu. Depuis quelques années, je danse pas mal de tragédies, et c’est long et c’est triste…
Daphnis et Chloé, c’est assez gai, tout de même ?
Daphnis passe tard, ils m’ont vue dans le Palais de Cristal. Pour Georges mon deuxième, il me voyait sur scène pour la première fois.
– Maman, t’es belle quand tu danses !
Font-ils déjà de la danse…
– Non, non, non… C’est marrant, vous dites cela comme si vous pensiez qu’ils allaient en faire ?
…
– Non, cela ne m’est pas venu à l’idée. S’ils ont envie, ils me le demanderont, mais pour l’instant, le grand fait du foot !
Et de la musique ?
– Oui, du piano, mais la danse, non. Je ne sais pas s’ils sont doués. J’essaie de ne pas me poser la question. Jamais, je ne les forcerai.
Et vous, on vous a forcée ?
(Elle hésite)… C’est difficile, je prenais des cours de danse dans mon école primaire, car je pense qu’il fallait m’occuper. J’y prenais goût, mais ce n’est pas moi qui, un jour, ait dit à ma mère : « j’ai envie de danser », non, ce n’est pas venu de moi. C’est venu parce qu’on m’a inscrit à un cours de gym, on m’a présentée une ancienne danseuse étoile, Liliane Daydee, qui a dit à ma mère que j’étais extrêmement douée, qu’il fallait se dépêcher, me présenter au concours de l’Ecole trois mois plus tard. J’étais sensible à la danse, je me souviens très bien, le mouvement sur la musique, j’adorais cela. Car j’adorais le piano et j’ai l’image encore de mon premier cours danse salle Pleyel où j’ai vu un piano. Et je m’étais mise à côté parce que la danse, finalement était secondaire par rapport à la musique.
Et l’opéra ?
– Après, j’ai demandé à ma maman de m’emmener à l’opéra. Je pensais que c’était un musée, un peu figé. Et je me souviens également avoir été extrêmement déçue après le premier spectacle, car je n’avais pas vu des enfants. Ma maman m’a expliqué, « on commence tout petit et si ça marche, tu arriveras à faire ça ». C’est comme ça que j’ai été embarquée agréablement, mais toute petite, j’avais demandé à faire du piano, vraiment.
Et maintenant que vous arrivez un peu au bout… de cette forme là de carrière ?
– J’envisageais d’aller prendre l’air, mais Benjamin Millepied m’a proposé un poste de maître de ballet que j’ai accepté. Je vais faire ça !!! Tout sera nouveau, c’est pour cela que j’ai accepté. J’ai confiance en Benjamin qui a une énergie incroyable. Il va aérer un peu ce grand théâtre, et je pense vraiment qu’il va y arriver. Tout le monde a envie d’ouvrir un peu les fenêtres. Demander à une fille comme moi, d’être maîtresse de ballet, c’est déjà un grand changement !
Comment envisagez-vous cette nouvelle vie ?
– J’ai dansé presque tout le répertoire classique, j’ai donc de l’expérience, mais surtout j’aime aider les autres à trouver leur marque de fabrique et leur propre identité. Ma façon de travailler est extrêmement libre, je regarde le danseur en face de moi, et j’essaie d’aller au plus juste et au plus proche. Pas de recopier. Je trouve cela affreux, parce que je l’ai vécu. On m’a obligée à faire comme sur une vidéo alors que je voulais faire autre chose. J’apprendrais aux plus jeunes ces petits détails qui font qu’une étoile est pour moi unique. Tous les danseurs étoiles savent danser, je n’aurais pas grand chose à leur apprendre, juste à retravailler, juste à les faire briller un peu plus… A être libre.
Comme le disait Périclès en son temps : « Il faut choisir : se reposer ou être libre »…
Non, non, ils ne vont pas se reposer, c’est sûr ! Danser, ce n’est pas qu’une histoire de pas de bourrée et de pirouette, c’est aller au plus proche, sans mentir et découvrir tout ce que l’on a en soi. Il faut se livrer beaucoup et ce ne sont pas forcément les absents qui vous l’apprennent – malheureusement, Noureev, aujourd’hui, on ne le voit plus qu’en vidéo…-), mais les chorégraphes vivants qui viennent vous faire travailler. Ce travail, on le fait la plupart du temps dans les ballets contemporains et il faudrait aussi pour le trouver dans le ballet classique. Je pense par exemple : apprendre à une danseuse étoile la lumière en scène…
C’est à dire…
Que vous ayez l’impression que la danseuse en scène est tout le temps éclairée parce qu’elle sait prendre la lumière, c’est vraiment une technique et , oui, cela s’apprend. C’est aller très, très, haut dans la perfection…
Parlez-vous souvent de danse avec votre mari qui est aussi danseur étoile ?
– Jamais, non… Jérémie est la personne la plus talentueuse que j’ai rencontrée sur cette planète, et je ne le dis pas… oui, avec des yeux plein d’amour, mais c’est une personne qui me fascine. Il a tous les dons. Le don de la danse, le don du jeu, le don de la musique. Il est extrêmement inspiré, cultivé, très curieux de tout, de toutes formes d’art. donc, j’ai plus l’impression de partager ma vie avec un artiste qu’avec un danseur étoile, surtout que lui a une place un peu différente dans la compagnie. Comme tout le monde le sait, il n’est pas un pur prince… classique. Il est plutôt sur un répertoire contemporain, donc très moderne et… ça lui va tellement bien.
Deux personnes qui font le même métier pourraient se faire de l’ombre…
Non, on ne se fait pas d’ombre, on s’encourage. Il comprend exactement ce qu’est le métier d’une danseuse et cela c’est très compliqué, enfin pas compliqué, mais difficile. On respecte tous les deux notre travail, puisque évidemment on l’aime. On ne se voit pas si souvent danser car quand je danse, il garde les enfants et quand il danse, c’est moi qui les garde. Donc, voilà… on ne danse pas ensemble, donc on a chacun notre histoire. Je tenais à ne pas danser trop avec lui…
Vous teniez à ne pas danser ensemble ?
Les couples en danse, c’est très important, comme au cinéma. Nous sommes un couple super à la ville, mais pas forcément à la scène. Je crois au couple, c’est à dire « un autre plus moi ». Je me suis toujours battue pour danser avec des gens avec qui je me sentais belle. Malheureusement, parfois, les danseuses ne pensent qu’à elles, ou inversement.
Avoir des enfants ensemble, c’était un choix courageux de votre part…
– Courageux par rapport à quoi ?
– Accepter la transformation, l’alourdissement de son corps tout en étant danseuse étoile… L’effort de souffrir pour revenir ?
– Quand on a envie, on supporte tout. Une danseuse qui tombe enceinte sait, car elle en a vu d’autre avant elle, qu’elle va être grosse, qu’elle ne saura plus danser, qu’il faudra perdre des kilos et revenir. Mais toutes les danseuses que j’ai vu avant moi être enceintes, sont revenues mieux qu’avant, et physiquement, et dans leur danse. Finalement, l’arrêt, c’est comme pour une blessure sauf que, quand on revient, on n’a pas une cicatrice, on a un enfant… Et ça, c’est vraiment bien !
Vous vous verriez recommencer ?
– Ouh la… La fille…. (elle rit…)
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Il l’écoute, il la regarde, il la soutient, jamais il ne l’oublie, ni ne la délaisse. Sa main est berceau, sa baguette caresse. Il met le monde à ses pieds et il s’oublie pour elle, il l’aime du murmure à l’extase, du premier au dernier souffle. Dans l’ombre de la fosse, le chef Daniele Callegari est un grand amoureux. Ses racines milanaises l’aident-il à exprimer toute la sensualité du tempérament italien ? Il est le seul dans cette glaciale tragédie de Madama Butterfly à exprimer sensualité et tendresse. En symbiose avec lui, les musiciens de l’orchestre habillent le plateau quasi-nu de l’Opéra Bastille d’un foisonnement de timbres, de couleurs, cascades et guirlandes. Comme ces fleurs que Butterfly arrache au jardin pour en joncher le sol de sa pagode. Butterfly, de l’aveu de Puccini lui même, est son opéra « le plus sincère et le plus expressif ». Après La Bohème et Tosca, Puccini se passionnait pour ce portrait de femme, la fragile et troublante Cio-Cio San (madame Papillon en japonais). Comment ne pas être bouleversé par le destin, inspiré par les innombrables petites fleurs japonaises, vendues au XIXe siècles pour quelques poignées de yens à des officiers américains et rapportées par une nouvelle de John Luther Long.
Braise et glace, retenue et passion, c’est ce qui fait la magie de cette production légendaire de l’opéra Bastille. Il y a un peu plus de vingt ans, en 1993, Bob Wilson file jusqu’à l’extrême la métaphore du papillon dans une mise en scène à la perfection idéale. Scène vide, tuniques et postures hiératiques qui mettent à nu les âmes, de l’égoïste inconscience de Pinkerton à la détermination sacrificielle de Butterfly pour mieux les nimber de halot colorés, traduction de leurs émotions.
Sur scène, pour sa prise de rôle, avec la vigueur de ses 31 ans, Teodor Ilincai incarne cash un Pinkerton à la voix aussi tranchante que le sabre des samouraïs. Du grand air de la nuit de noce, à la fin du 1er acte, jusqu’à la terrible fin de Butterfly, ses aigus percent mieux que la pointe de l’entomologiste. Sans jamais le toucher, ni l’effleurer, Svetla Vassileva marche à tout petits pas vers sa dernière heure, portant en grande tragédienne, les deux airs les plus beaux du répertoire, de « un bel di », un beau jour, et « con onor muore » , (que meure avec honneur). Sharpless (Gabriele Viviani) et Suzuki (Cornela Oncioiu) tiennent honorablement leur place, compatissants, mais impuissants à adoucir la sombre destinée de l’éphémère et adorable papillon.
Paris, Opéra Bastille, jusqu’au 12 mars 2014. Giacomo Puccini (1858-1924) : Madame Butterfly, opéra en trois actes de sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa. Mise en scène et lumières : Robert Wilson ; costumes : Frida Parmeggiani ; chorégraphie : Suzushi Hanayagi. Avec Svetla Vassileva, Cio-Cio San ; Cornelia Oncioiu, Suzuki ; Teodor Ilincai, F.B Pinkerton ; Gabriele Viviani, Sharpless ; Carlo Bosi, Goro ; Florian Sempey, Yamadori ; Marianne Crébassa, Kate Pinkerton ; Scott Wilde, lo Zio Bonzo. Orchestre et choeur de l’Opéra National de Paris (chef de choeur : Alessandro di Stefano), direction : Daniele Callegari
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Dimanche 9 février, 14h30, Opéra-Bastille. Les lumières du plafonnier s’estompent, noir dans la salle. Abdellah Lasri s’assied au rang 15. Michel Plasson rejoint son pupitre de chef. Les premiers accord de Werther inondent la salle. Le rideau se lève. Un immense portail de bois. Un mur de pierre à demi envahi par le lierre, là où murmure une fontaine. La maison du bailli est ouverte. Des chants d’enfants s’en échappent. Une ombre, une main, une silhouette hésite à franchir le seuil. Redingote bleue, gilet doré, le costume fait Werther. Et Werther, ce soir, c’est Roberto Alagna. Il n’a pas encore ouvert la bouche, mais son silence emplit la toile grise qui dessine le ciel déjà sombre du héros.
Au rang 15, Abdellah n’a d’yeux que pour lui. Un mois déjà qu’il est à Bastille, invité temporaire pour répéter avec son aîné, avec l’orchestre, avec le chef Plasson. Sur son Facebook, la copie de son badge en CDD, et les première photos des répétitions… Ténor plein de promesses, originaire de Rabat (Maroc), sacré Révélation de l’Adami en 2010, il a travaillé avec Michel Piquemal, François Leroux, Glenn Chambers au CNSM de Paris. Il y a trois mois sur la scène du Aalto MusikTheater de Essen (Allemagne), il jouait son premier Werther, à la fois charnel et fougueux, un Werther proche sans doute du héros de Goethe, âgé seulement de 23 ans. Mercredi, sur la scène de Bastille, en remplacement de Roberto, ce sera son tour.
Comment remplacer Roberto ? Comment remplacer Roberto ? Sacré challenge pour une prise de rôle. En jean bleu et baskets beige, Abdellah a trois heures pour faire le tour de la question. Roberto, ce soir, plus que les autres soirs, rayonne. Est-ce la venue de cette petite Maléna, que sa compagne Alexandra Kurzack lui a donnée il y a dix jours ? Sa voix est à la fois puissante et pleine. Il incarne un Werther, ardent, serein, amoureux de la nature, fasciné comme les enfants (et il sait ce que cela veut dire) épris plus que tout d’absolu, qui ne peut tolérer un avenir moins grand que ses rêves et marche droit dans la vie, comme vers la mort. « Ce Werther me ressemble, me disait Roberto il y a quelques jours. C’est un mélange de retenue, d’exaltation, d’exubérance. Il est plus latin que germain, très romantique. Il est tout de suite amoureux de cette femme, il sait lui faire sa cour, et comme c’est impossible, la terre s’ouvre pour lui. »Entre Karine Deshayes, Charlotte sensuelle, et lui, il y a cette alchimie de ceux qui vibrent du même art. Tous deux emportent l’œuvre de Massenet, malgré ses quelques lourdeurs orchestrales, au galop de leur passion dans cette mise en scène retenue et terrible de Benoît Jacquot transcendée par les lumières de Charles Edwards et André Diot.
Abdellah les suit, mieux que quiconque, il connaît chaque mot par cœur. Il ne quitte pas les lèvres du chanteur. Ses mains esquissent parfois la mesure et quand Roberto lance le célèbre « Pourquoi me réveiller », il murmure avec lui, tape des deux mains sur ses genoux pendant l’ovation du public, en liesse. Il a vingt ans de moins que Roberto. Quel poids donnera-t-il à cette vie concentrée en quelques gestes : la rencontre, une soirée, un baiser, des adieux, la mort ? C’est ce que l’on découvrira le 12 février, pour sa prise de rôle à Bastille… Souhaitons-lui beaucoup de souffle et d’étoiles pour porter sa voix au firmament.
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Grande nouvelle pour l’humanité. Malgré la crise, les rapports parlementaires, NDDL, le mariage pour et contre tous, etc, voilà qui une nouvelle qui nous dit combien la vie est belle : 129 espèces nouvelles ont été découvertes autour du fleuve Mékong, entre le Vietnam, le Cambodge, le Laos, la Thaïlande et la Chine, dont une… grenouille qui chante !
J’aimerais bien la rencontrer !
Reste à espérer que la déforestation et les projets du Barrage Xayaburi ne la feront pas plus disparaître que la chauve-souris au nez en forme de tube, injustement appelée par les humains “Belzébuth”.
La Puce à l’Oreille (du Mékong)
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Au Mondial de l’Automobile, porte de Versailles, Pleyel associé au Peugeot Design Lab ont présenté en exclusivité un magnifique piano qui aligne les prouesses esthétiques, sonores et visuelles. Son mécanisme abaissé met en valeur les mains du pianiste d’où qu’on le regarde et libère l’envol du son au-delà de la caisse. L’utilisation du bois et de la fibre de carbone allège l’ensemble sans lui faire perdre ses qualités acoustiques. Un pas vers le futur et un espoir, illusoire, sans doute : Et si on aidait chaque famille à installer, à la maison, un piano, ça ferait peut-être du boulot pour les salariés d’Aulnay ?
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Coup de coeur, coup de foudre pour Jean-Denis Monory et sa Fabrique à Théâtre !
Ses Folies Françaises offertes ces derniers jours dans le beau théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes ont le goût délicieux des plaisirs éternels. Tout y concourt : la saveur douce-amère du Clavecin d’Armelle Roux, les ombres et les flammes de l’éclairage à la bougie, les Fables merveilleuses de Jean de La Fontaine. Bien sûr, on les connaît par coeur, mais quel plaisir de les retrouver articulées dans la langue des Mousquetaires.
Jean-Denis ne nous prive pas du plaisir de retrouver dès les premiers mots ce Corbeau et ce Renard, avec quelle allure ! On l’écoute croasser, on l’entend rusé comme le Compère. Et puis, la trame dessinée, on embarque avec lui sur le fleuve magique de la belle langue française… Le lion et le moucheron, Pérette, les deux Pigeons, la Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf, tous s’incarnent sur scène grâce aux mots et aux mimes de l’acteur. Paisibles, le clavecin va aussi son chemin au fil des suites de Couperin et nous dépeint les sentiments dans leur pureté virginelle : la fidélité, la pudeur, l’ardeur…
Ces Folies Françaises offrent une mise en bouche savoureuse de la belle saison d’amours à laquelle nous invite la Fabrique à Théâtre, la compagnie de Jean-Denis Monory pendant toute cette saison 2012-2013…
Des Contes Baroques de Perrault aux Femmes savantes, en passant par la création O Amour, un voyage dans l’imagine baroque à ne pas manquer partout où il passe et à poursuivre aussi à l’Epée de Bois, à la fin de ce mois, avec Passionnément, Anna Magdalena, les confidences d’Anna Magdalena, l’épouse de Jean Sébastien Bach. J’y cours ! J’y vole !
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Chaude, douce, veloutée, rauque, aigue, perdue : quelle est la voix de l’amour ? Quels sont nos accents quand nous aimons, quand tout en nous nous vibre de tendresse ? C’est le secret qu’étudie patiemment depuis plus de dix ans Christina Pluhar. Au luth, au théorbe, à la harpe, à la guitare, avec ses musiciens, elle soutient, elle déploie, elle aide les voix les plus troublantes à prendre leur envol.
Philippe Jaroussky, Lucilla Galeazzi, Vincenzo Capezzuto, Raquel Andueza, Luciana Mancini, des personnalités, des voix troublantes, timbres féminins ou masculins, fusionnés et mêlés à plaisir… Pas de certitude possible, ni mâle ni femelle, ni Yin, ni Yang. Juste le sentiment partagé, à travers un même timbre qui dit l’émotion, à fleur de peau.
Comme les oiseaux perdus (« Los Pajaros perdidos »), cette musique de l’âme cherche les refuges ombragés où elle pourra se poser et s’épanouir. Ce que Christina Pluhar lui offre dans ses concerts qui sont autant de refuges, d’espaces où nous pouvons enfin espérer échapper à la prison du temps.
En 2000, en fondant l’Arpeggiata, nom empruntée à Girolamo Kapsberger, Christina Pluhar rendait à la musique sa mission universelle, astronomique. Il y a dix ans, avec Tarentulae, elle nous disait comme la danse peut être transe, médecine parallèle, escalier vers des mondes supérieurs. Teatro d’amore entama la quête de cette autre voix, qui n’est justement pas celle des anges, mais celle des humains, hommes et femmes, dans leur plus belle réalité. Ses berceuses baroques nous envoûtent pour longtemps.
Avec Los Parajos Perdidos, sur un continent sud-américain rêvé où les chants traditionnels cohabitent avec Tarquinio Merula, Antonio Soler, Ariel Ramirez, Astor Piazzola et Consuelo Velazquez, cette lune rousse qui mène sa troupe d’un simple regard avance un peu plus dans cette quête mystérieuse et infinie.
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Il y a des gens qui appellent la musique, qui incarnent la musique. Le pianiste Samson François est de ceux là. Le 22 octobre 1970, il est mort dans un éclair, et pourtant, depuis, il est toujours avec nous.
Il est né le 18 mai 1924. Son enfance fut européenne, son éducation musicale parisienne, grâce à la rencontre avec Alfred Cortot. Sa carrière de pianiste le fit voler, toujours généreux, toujours entier, toujours pressé sur toutes les scènes de France, d’Europe, du Monde. Samson François avait pour principe de ne jouer que ce qu’il aimait : Chopin, Debussy, Ravel…
Quarante ans après sa mort, ses interprétations réchauffent toujours la toile. Sa maison de disque Emi Classics vient de rééditer un coffret réunissant l’intégralité de son œuvre. Sur France Musique, nous lui avons consacré une semaine dans Grandes Figures qui a vu remonter chaque jour, par centaines les témoignages de ses amis, de ses proches, toujours fidèles à rendre hommage à sa mémoire.
L’homme qui s’est envolé à 46 ans, en pleine force de l’âge, a vécu, et vit toujours, mille vies. Quel est son secret ? Une philosophie de la vie serrée une dizaine de pages, emmêlées, virtuoses et inachevées que nous offre son fils Maximilien dans la biographie, “Histoire de mille vies… ” qu’il lui a consacrée.
En voici juste quelques envolées, quelques traits brillants, complexes, provocateurs pour à méditer en cette fin 2010 pour faire éclore l’an neuf en écoutant Samson François
– « être créé, c’est recevoir la possibilité de vivre. Il appartient à nous seuls de choisir si nous voulons animer ou non le mouvement infini qui nous est donné et par lequel nous sommes créés ; c’est à nous seul qu’il appartient de savoir si nous voulons vivre ou mourir ; si nous acceptons le pouvoir de vivre ou si nous le refusons. »
– Notre vie est composée de deux éléments : la forme et le mouvement. Le malheur des hommes provient généralement de ce qu’ils attribuent leur existence à la forme ; de telle façon qu’ils cherchent à être dans leur nature intrinsèque (la forme) et non dans le mouvement, qu’ils sont amenés ainsi à refuser. »
– Que faut-il faire pour atteindre le mouvement et par conséquent exister ? Que faut-il faire pour vivre ? Par quels moyens matériels peut-on s’animer davantage ? Nous devons constamment faire ce que nous aimons. En faisant toujours, c’est-à-dire absolument ce qui nous plaît, je dirais plus, ce qui nous amuse, nous nous animons forcément, par-là nous faisons ce qui est utile.”
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