Pour comprendre les Coréens, il faut comprendre le Han. Pas le Han qui désigne l’ethnie majoritaire de Chine, ni le Han de “Hankook” qui signifie Corée pour les Sud-Coréens. Mais le Han qui habite l’esprit de tous les Coréens.
Malgré mes presque deux ans de vie en Corée et la proximité avec ma famille coréenne, je ne suis pas sûr d’avoir entièrement compris ce qu’est le Han. Justement parce qu’il n’y a rien à comprendre mais à ressentir: le Han est un sentiment qui mêle mélancolie, douleur, amertume, et injustice. Mais ne croyez pas avoir détecté une manifestation de ce Han chez la mine déprimée d’un Coréen ou dans ses yeux humides pour cause de chagrin passager. Ce qui fait la particularité du Han c’est qu’il habite au plus profond de l’âme des Coréens: une mélancolie toujours présente au fond de soi et qui au quotidien incite au silence plutôt qu’aux lamentations passagères.
Difficile de dire d’où vient ce sentiment et pourquoi il est partagé par l’ensemble des Coréens: est-ce l’histoire du pays, petite péninsule coincée entre de puissants voisins; ayant vécu l’invasion des Mongols, des Chinois, des Japonais, et qui aujourd’hui est encore séparée en deux du fait d’enjeux géopolitiques qui la dépasse? Est-ce dû à la société coréenne longtemps marquée par un féodalisme archaïque permettant l’opulence de quelques-uns grâce à la misère de beaucoup? Aujourd’hui encore la société coréenne souffre de disparités et d’un contexte hyper concurrentiel qui font que les enfants et adolescents coréens sont les moins heureux des pays de l’OCDE. C’est sûrement un peu toutes ces raisons qui au final créent le sentiment d’un bonheur impossible du fait de forces supérieures: une fatalité vécue pour sa propre destinée mais également pour celle son pays.
Mais fatalité n’est pas le terme le mieux choisi car ce Han comporte également une part de résilience face au poids du destin. Car si le Han s’installe dans le coeur des Coréens au fur et à mesure qu’ils subissent les affres de leur destin, c’est de ce même Han que naît la volonté de s’en libérer. Le Han est ainsi une sensibilité d’où naît une force de l’esprit qui permet de déjouer celle du destin pour in fine s’en sortir. Le Han s’incruste (Han-i maechida, 한이 맺히다) mais l’on peut dénouer le Han (Han-eul poolda, 한을 풀다). Est-ce pour cela que la Corée, pays sans ressource particulière et ruiné par la guerre est devenue la 11ème puissance économique mondiale en un demi-siècle?
Et pour ceux qui trépassent sans avoir pu dénouer leur Han, une danseuse chamane intercédera pour laver leurs âmes des mauvais esprits afin qu’ils puissent passer en paix dans l’au delà. Transition qui me permet de terminer en danse et musique, car au même titre qu’on ne peut comprendre le “Feeling blue” sans écouter BB King, ou le Spleen sans lire les Fleurs du mal, le Han n’a peut-être pas besoin de toutes ces explications, juste d’une illustration artistique:
lire le billetJe me souviens de mon premier séjour en Corée du Sud au milieu des années 80: la seule nourriture occidentale la plus largement disponible était le Donkatsu, l’escalope de porc pannée à la japonaise. Pas follement occidental… On pouvait trouver également quelques restaurants de fast food pour lesquels il fallait généralement faire un long trajet pour s’y rendre… Voilà.
Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Bien sûr la nourriture coréenne reste reine, mais la gastronomie internationale est représentée à Seoul, comme dans n’importe quelle autre capitale internationale. Une première vague est venue avec l’installation des steak houses ou family dining à l’américaine, comme prolongement plus qualitatif des fastfoods déjà présents. Le goût des Coréens pour la viande et leur fascination (à l’époque) pour tout ce qui est “Made in America” ont convaincu les acteurs locaux de la restauration qu’il existait un marché à fort potentiel si bien qu’aujourd’hui les artères de Seoul regorgent de restaurants américains où l’on mange un bon steak après s’être copieusement servis au salad bar.
Et la gastronomie venue d’Europe dans tout ça? L’Italie se porte très bien, bénéficiant de l’engouement des Coréens pour l’huile d’olive après qu’une série d’articles et reportages vantèrent ses bienfaits sur la santé et profitant également du goût des Coréens pour la pasta qui rappelle les nouilles de la cuisine coréenne. On peut ainsi manger d’excellents spaghetti alle vongole, vu l’abondance de palourdes et autres fruits de mer en Corée.
Pour la cuisine française, les choses sont un peu différentes. Bien sûr celle-ci bénéficie d’un prestige incomparable, comme l’illustre le nombre de Coréens qui partent tous les ans en France pour apprendre l’art culinaire au Cordon Bleu ou Le Nôtre. Mais pour les Coréens, cette cuisine est difficile, chère, inaccessible, et malheureusement médiocre pour la plupart des restaurants français présents à Seoul. Car la plupart des chefs locaux qui se lancent à l’aventure de la gastronomie française en Corée sont généralement confrontés à la difficulté majeure de trouver des ingrédients de qualité. Il leur reste donc pour justifier les prix élevés qu’ils proposent d’accueillir leurs clients dans un lieu qui en jette et d’y associer un service de haute volée.
L’intention est bonne mais au final le client se retrouve avec beaucoup de prétention et quelque chose sans grand intérêt dans leurs assiettes…
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Pour avoir entendu parler du club des 20 – 50, il faut assurément vivre en Corée car autant ce club est inconnu au bataillon partout ailleurs dans le monde, autant ce club fait les gros titres des journaux coréens ces jours-ci. Qu’est-ce donc que ce fameux club? Simplement la liste des pays qui respectent deux critères: un PIB par habitant supérieur à 20 000 dollars et une population supérieure à 50 millions d’habitants. Il seraient 7 pays dans ce cas là: Les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie et depuis le 23 juillet, date à laquelle les Coréens ont vu naître leur 50 millionième compatriote, la Corée.
Les médias coréens sont constamment à la recherche de classements ou autres gratifications à la gloire de la réussite fulgurante de leur pays. Il y eut notamment l’entrée de la Corée dans l’OCDE au milieu des années 90, dont la signification était réelle vu que cette organisation est généralement reconnue comme le club des pays industrialisés. Aujourd’hui avec ce club des 20 – 50, l’auto-congratulation paraît un peu plus tirée par les cheveux vu que ce club n’a aucune réalité si ce n’est dans l’esprit des Coréens.
Bien sûr tout ce qu’a accompli la Corée en un demi-siècle et ses performances économiques aujourd’hui sont impressionnants. Beaucoup de pays européens donneraient cher pour avoir la même croissance économique et les finances publiques que la Corée et il serait ingrat de dénigrer les réjouissances d’un pays qui a tant sacrifié pour se hisser en un temps record parmi les 7 premiers pays au monde en terme de richesse produite et de taille de sa population.
Mais ce que trop peu de journaux coréens ont tendance à relever c’est la courbe inquiétante de l’évolution de la population coréenne. Quelques articles parlent bien d’un déclin qui ferait que d’ici une trentaine d’années la population coréenne serait réduite à 40 millions, mais rares sont ceux qui s’attardent sur l’impact qu’aurait un tel déclin sur l’économie. Car avec un indice de fécondité de 1,23 en 2011, la Corée est le pays au monde qui vieillit le plus rapidement. Résultat, comme le note le Hankook ilbo, alors que les plus de 65ans ne représentaient que 6,1% de la population active en 1980, elle en représenterait 57% en 2040. On imagine l’impact sur la capacité de la Corée à continuer à créer de la richesse.
Il n’y pas pléthore de solutions pour contrecarrer cette évolution démographique inquiétante. Les Coréens devront à la fois augmenter leur productivité, faire travailler plus de non-actifs et accueillir davantage de travailleurs étranger. Je fais confiance aux Coréens pour améliorer leur productivité: entre les innovations technologiques et leur recherche progressive de l’efficacité en entreprise au détriment de la hiérarchie, le potentiel de progrès est réel. Pour faire travailler plus de non-actifs le challenge me semble plus relevé: il s’agirait de laisser plus de place aux femmes dans l’entreprise, ce qui implique un changement des mentalités. Or je suis moi-même surpris de la condescendance avec laquelle même mes jeunes collègues masculins traitent leurs collègues féminins. Surtout il faudrait une politique de la maternité permettant aux femmes d’être active et mère en même temps et sur ce chantier tout ou presque est à faire.
Enfin l’accueil plus massif d’immigrés semble lui illusoire. Certes la Corée s’est ouverte considérablement mais la quasi majorité des Coréens associent toujours à l’extrême leur identité au sang qui coulent dans leurs veines. Accueillir quelques Philippins ou Pakistanais pour travailler (au noir) dans les chantiers est donc à la limite accepté, mais il faudra attendre longtemps avant que les étrangers puissent jouer un rôle plus prépondérant dans la société coréenne. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir les manifestations de xénophobies qui se sont déversées sur Jasmine Lee, le premier député coréen d’origine étrangère, qui plus est une femme…
lire le billetC’est le titre du dernier film de Im Sang-soo, qui était en compétition officielle lors du dernier festival de Cannes. Un film ambitieux qui s’attaque à une problématique centrale en Corée: les Chaebols, ses conglomérats qui dominent tous les aspects de la société coréenne, à commencer par son économie bien sûr, mais également sa vie politique, ses médias et son pouvoir judiciaire.
Le regard de Im Sang-soo est très critique. Son film est basé sur un scénario fictif mais aucun spectateur ayant une connaissance même basique de la Corée ne pourra s’empêcher de faire un rapprochement entre la famille dépeinte par Im et celle qui règne sur le groupe Samsung et ainsi, sur 20% du PIB Coréen.
Mais revenons au film et à cette famille fictive. Celle-ci règne sur un Chaebol coréen fondé par un grand-père centenaire qui serait mort depuis longtemps sans les soins de tous les instants prodigués par une gouvernante – infirmière – cerbère dévouée. Aujourd’hui, son gendre est en théorie aux manettes en tant que CEO du groupe, avant que lui-même ne passe la main à l’un de ses deux enfants: son fils, favori au trône à l’ambition débordante, qui s’imaginerait déjà bien à la place de son père, ou sa fille aînée qui semble plus détachées des affaires. Mais très vite, on découvre que le père n’est qu’un pantin, qui plus est lassé par les compromissions et les humiliations qu’entraînent l’argent et le pouvoir. “L’argent est une insulte”, prévient-il à son fils trop ambitieux : il oblige à des choix qui insultent son éthique et sa dignité. En réalité, c’est sa femme, la fille machiavélique du fondateur, qui tient les commandes du groupe.
Je m’arrête ici dans la présentation de l’intrigue pour ceux qui seraient tentés d’aller découvrir ce film qui sort bientôt dans les salles en France. En Corée il n’a pas suscité un engouement démesuré, d’autant que la presse fut généralement négative à son sujet. Faut-il s’en étonner dans la mesure où les Chaebols doivent représenter à peu près 100% de leurs revenus publicitaires. On pourra néanmoins donner raison à certaines critiques sur le caractère un peu décousu du scénario, et sur la présence de quelques scènes un peu racoleuses qui ne font pas avancer le propos général (cela dit la plastique des protagonistes n’étant pas désagréable…)
On aura beau accuser le film de tous les maux, il vaut quand même le détour pour une scène en particulier. Vers la fin de l’histoire, le fils ambitieux, libéré sous caution suite à une affaire de corruption, retourne dans le domaine familiale dans une voiture accompagné de sa soeur et d’un partenaire américain du groupe. Au volant, le jeune secrétaire particulier de sa mère et héros du film au travers des yeux duquel on découvre les coulisses intrigues et coups bas au sein de la famille régnante. Le fils est agacé: pendant son séjour derrière les barreaux, sa soeur a pris de l’importance au sein du groupe au point qu’il sent que son accession à la tête de l’empire familial pourrait être menacé.
Pour déstabiliser sa concurrente de soeur, le frère joue sur ses sentiments: sachant l’idylle naissante entre elle et notre jeune secrétaire particulier, il dévoile que ce dernier a couché avec leur mère. Car il est vrai qu’au début de l’histoire, la mère, pour assouvir sa libido et se venger d’un mari également volage, “se tape” notre jeune héros non consentant au cours d’une des scènes les plus burlesques du film. C’est l’humiliation suprême pour notre héros qui voit dévoilé cette sordide histoire d’un soir avec la mère de la femme qu’il a commencé à aimer. Son sang ne fait qu’un tour, il arrête subitement la voiture et demande au frère calomniateur de descendre pour une explication entre hommes.
En tant que spectateur, on jubile alors à l’idée que notre héros, certes un peu naif mais physiquement très affuté, inflige une correction bien méritée à ce fils de bonne famille arrogant et sans scrupule, et par la même à toute une famille souillée par le pouvoir et l’argent. Hélas, c’est le contraire qui se produit, car ce fils de bonne famille a dû également recevoir une excellente formation en boxe anglaise. C’est lui qui flanque une rouste à notre pauvre héros, devant sa bien-aimée, le laissant gisant au sol avant de partir au volant de la voiture en criant: “c’est pour ça que les gens de ton espèce ne seront jamais de taille contre moi!”
Plus que toute autre scène du film, c’est à mon avis dans celle-ci qu’Im Sang-soo a capté ses sentiments et ceux de beaucoup de Coréens face aux Chaebols. Un sentiment de révolte de devoir subir les excès liés à leur domination sans limite, mêlée à une frustration énorme de n’y rien pouvoir faire, si ce n’est de l’accepter et au final, se résigner à essayer de tirer soi-même profit d’un tel système. Quel Coréen, à un moment donné de son existence, n’a-t-il pas été habité par ces sentiments mêlés de colère, de frustration, puis de résignation face aux Chaebols.
lire le billetLorsqu’on pense aux jeux vidéos en Corée du Sud, on pense avant tout à quelques faits divers sordides de gamers tellement accros qu’ils en meurent d’épuisement ou qu’ils laissent mourir leurs enfants pour continuer leur partie. Il ne faut pas généraliser ces quelques cas extrêmes, mais il ne faut pas nier non plus que les Coréens sont très (trop?) gourmands de jeux vidéos. Il suffit d’observer le nombre d’usagers du métro aux heures de pointe, tous âges, sexes et catégories socio-professionnelles confondus, englués à leurs écrans de smartphones pour une partie de baseball, de course de voiture, ou de décoration de leurs îles enchantées.
En Corée un passionné de jeux vidéos pourra en vivre s’il excelle dans cette discipline. Car si en France les jeux vidéos sont souvent perçus comme un passe-temps peu recommandable, ils peuvent en Corée devenir un véritable débouché professionnel pour qui sera suffisamment performant à Starcraft pour attirer l’attention d’équipes de gamers professionnels, sponsorisés par les Chaebols et s’affrontant dans le cadre de championnats dont la popularité n’a rien à envier à celle de la plupart des sports professionnels. Rien d’étonnant dans ce contexte que l’organisateur du plus grand tournoi de jeux électroniques, les World Cyber Games, soit une société coréenne, et que le tournoi lui-même soit sponsorisé par Samsung.
Dernière illustration de cette passion coréenne: l’engouement que suscite ici le lancement de Diablo 3, troisième volet d’un jeu de rôle longtemps attendu par les gamers du monde entier, mais particulièrement par ceux de la Corée: 5h30 après l’ouverture des serveurs de Blizzard, l’éditeur du jeu, un Coréen finissait déjà le jeu, tandis que tous les jours, ils sont environ 400 000 Coréens à se connecter simultanément, beaucoup n’hésitant pas à se connecter sur les serveurs d’autres continents provoquant la colère de leurs confrères étrangers.
Malgré ces excès, l’impact des jeux vidéos sur la Corée est sans aucun doute positif. D’un point de vue sociétal, l’addiction aux jeux vidéos pose bien sûr des problèmes sociaux, mais les jeux vidéos présentent également certaines vertus. Ils offrent à une jeunesse confinée par manque de temps et d’espace dans leurs salles de cours ou dans leur chambre, un espace de liberté, d’expression et de socialisation. Un espace certes virtuel mais aux effets bien réels: on s’y retrouve entre copains ou copines de classe par avatars interposés pour jouer, chatter, flirter… Autant de liberté que la société coréenne “in real life” n’offre que parcimonieusement à sa jeunesse.
D’un point de vue économique, le bilan est également positif. Et si la Corée dispose avec Samsung et LG de deux champions du hardware, elle dispose d’un formidable atout dans les contenus numériques grâce au secteur des jeux vidéos et son vivier de start ups, de talents, et ses millions de gamers. A l’origine de ce succès, un facteur favorable a joué un rôle majeur : la généralisation rapide du haut débit au début des années 2000, d’abord au travers d’Internet Cafés (“PC Bang”), puis dans tous les foyers, offrant ainsi un marché de millions Coréens avides de jeux à des start ups qui n’en demandaient pas tant. Les start ups d’hier sont devenus l’un des moteurs de la croissance économique coréenne d’aujourd’hui: les trois plus belles réussites du secteur NHN, NCsoft et Nexon ont tous vu le jour dans les années 90, et emploient aujourd’hui des dizaines de milliers de salariés.
lire le billetEn Corée, on ne plaisante pas avec le recyclage des déchets. Il est non seulement très détaillé, mais respecté scrupuleusement par une population sensibilisée par des successions de campagnes de communication nationales et habituée à se mobiliser pour diverses causes nationales ou d’intérêt public.
Il suffit d’observer n’importe quel gardien d’immeuble pour se rendre compte à quel point cette affaire de recyclage est prise au sérieux: on pourra parfois le surprendre assoupi au milieu de la nuit, oubliant le temps d’un court répit son devoir de vigilance 24h/24; mais essayez donc de tromper sa vigilance au moment de jeter vos ordures ménagères, par exemple en jetant votre bouteille en plastique dans la poubelle préposée aux bouteilles en verre, et vous pouvez être sûr que quel que soit l’heure et le jour, il fondra sur vous afin de vous signifier sur le ton de la réprimande que non les bouteilles en plastique sont à jeter dans l’autre poubelle. Et si par malheur le gardien n’était pas dans les parages, vous pouvez être pratiquement assuré qu’un voisin amical viendra le remplacer dans son rôle de réprimandeur.
Tous les étrangers vivant en Corée vous le diront, le tri des déchets est un véritable casse-tête et j’avoue moi-même de grands moments de solitude au moment de devoir vider les poubelles certains soirs. Ici, tout se trie: les emballages et bouteilles selon leur matière en verre, plastique, carton, papier, ou métal, mais également les piles, les ampoules, les appareils électriques. Sans oublier les déchets alimentaires qui doivent être jetés séparément et qui seront recyclés en compost ou nourriture pour élevages porcins. Et comme il est peu commode d’avoir chez soi autant de poubelles que de matières différentes, la plupart des ménages séparent juste les déchets alimentaires du reste et attendent de descendre aux poubelles pour jeter chaque déchet dans la poubelle qui lui est destinée.
Quant aux réfractaires jusqu’au boutistes, ils peuvent soit risquer de payer une amende de 100EUR environ en se brouillant au passage à vie avec leur gardien d’immeuble, soit tout jeter dans des sacs poubelles spécialement dédiés à cet effet et vendus soit en grande surface en lieu et place des sacs plastiques généreusement donnés par leurs homologues français, soit dans n’importe quel convenience store. Bref un système un peu fastidieux à respecter au quotidien, mais fondé sur un principe de bon sens, où chacun est incité à participer un maximum au recyclage, soit en triant soi-même ses déchets, soit en finançant le traitement des déchets par l’achat de sacs plastiques dédiés.
Le secteur des entreprises n’est pas en reste. Depuis 2003, le gouvernement a mis en place un système de participation des entreprises à l’effort de recyclage “Extended Producer Responsibility”. Ce système rend les industriels responsables des produits qu’ils fabriquent ou importent tout au long de leurs cycles de vie en imposant à chaque producteur ou importateur un quota de produits recyclables annuels à respecter sous peine d’amende.
Ces efforts paient: alors qu’en 1995, moins d’un quart des déchets solides étaient recyclés en milieu urbain, cette proportion dépassait les 57% 8 ans plus tard. Tandis que le programme EPR permettait de réduire les émissions de CO2 de 412 000 tonnes par an grâce à la réduction de l’activité d’enfouissement et d’incinération des déchets.
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Le TGV, ce fleuron de l’industrie française qui sauve les meubles de notre balance commerciale, mais pour combien de temps encore? Il y a 20 ans, notre TGV national remportait un contrat majeur pour équiper le territoire sud-coréen d’un réseau ferré à grande vitesse. Contrat remporté de haute lutte face à une rude concurrence allemande et japonaise et au prix d’un accord de transfert de technologies pour qu’à terme les Coréens puissent développer leur propre modèle de train à grande vitesse.
Côté Français, on pense que le jeu en vaut la chandelle: le marché coréen est important, il constitue en plus une bonne vitrine du savoir-faire technologique français sur la Chine, et les technologies transférées sont celles de la première génération de TGV, préservant ainsi à la France une avance technologique confortable. Livrer suffisamment de technologies pour vendre mais en garder suffisamment pour toujours garder un temps d’avance sur ses nouveaux adversaires : un savant dosage qui dépend notamment de l’évaluation qu’on fait de la rapidité à laquelle les clients d’un jour pourront assimiler les technologies livrées pour batir une offre concurrente.
En terme de rapidité, les Coréens se débrouillent: après quelques débuts difficiles dans la construction du réseau ferré (la Corée est un territoire à 70% montagneux) les premières lignes à grande vitesse sont mises en service en 2004. Les premiers KTX (Korea Train Express) ravissent des passagers bluffés de pouvoir faire dans la journée un aller-retour entre entre Seoul et Busan, la grande ville portuaire au sud-est de la péninsule. Mais pour les habitués d’un Paris – Lyon en TGV, rien de très excitant car mis à part la couleur, les logos et quelques écrans plats équippant les wagons, il s’agit exactement du même train que celui qui sillonne la France à 250km/h depuis le début des années 80.
La SNCF et Alstom peuvent-ils rester sereins? Ils ont vendu une version antérieure de leur joyau, dont par ailleurs il n’ont pas livré tous les secrets vu que les Coréens doivent continuer à importer certaines pièces de France. Sauf que dès 1996, la Corée lance son programme de développement d’un train à grande vitesse 100% indigène. Ils repartent des plans livrés par la France et mettent au point un KTX deuxième génération (KTX-Sancheon) capable de transporter 360 personnes à une vitesse commerciale de 305km/h, dont les premiers modèles furent mis en service en 2010. Cette mise en service en un temps record engendra d’ailleurs son lot de couacs et défaillances techniques forçant annulations et retards de trains.
Mais ces ratés s’effacent au fur et à mesure que la technologie coréenne des trains à grande vitesse avance. Début mai, le HEMU 430X, prototype de dernière génération fait ses premiers pas en parcourant une trentaine de kilomètres au sud de la péninsule. Doté de la technologie de traction distribuée comme l’AGV, le dernier né d’Alstom, il atteindrait la vitesse maximale de 430km/h et une vitesse commerciale de 370 km/h. Des performances pures peut-être encore en deça de l’offre française, mais si l’on prend en compte la capacité des Coréens à proposer des délais et des tarifs imbattables, on ne peut nier qu’en 20 ans, la Corée est passée du statut de client à choyer à celui de concurrent à redouter.
lire le billetLes élections présidentielles françaises ne sont pas passées inaperçues en Corée. Et si la majorité des Français serait bien incapable de nommer le Président sud-coréen (Lee Myung-bak), à l’inverse une majorité de Coréens connait au moins Sarkozy de nom, la plupart pouvant même citer l’un des faits marquants de sa présidence: son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où son successeur entre à l’Elysée, voici un panorama de la couverture de l’élection présidentielle par la presse coréenne.
Le JoongAng Ilbo, quotidien conservateur, a bien du mal à cacher sa peine de voir “les socialistes pour la première fois au pouvoir depuis 17 ans“, oubliant au passage les 5 ans de gouvernement Jospin (mais il est vrai qu’en Corée, le Premier Ministre n’est qu’un directeur de cabinet du Président). Le quotidien qui titre “Le choc Hollande sur l’économie mondiale” affirme que “le changement pour Hollande c’est renverser toutes les mesures mises en place par Sarkozy.” Si Hollande a remporté les élections, c’est parce que son discours aurait su séduire “tous ceux qui ont dû se serrer la ceinture suite à la crise” en promettant notamment la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale et le retour de la retraite à 60 ans.
Mais le quotidien ajoute que Hollande n’a pas précisé comment il financerait ses mesures. “Tout juste a-t-il parlé d’imposer les très riches à 75% et les hauts revenus à 45% au lieu de 41%.” Le JoongAng Ilbo en est persuadé: “beaucoup craignent la logique des socialistes: augmentation des impôts -> augmentation des dépenses publiques -> remise à flot de l’économie -> croissance économique -> création d’emplois“. Et de conclure en citant un électeur d’un quartier huppé parisien: “Si Hollande passe, je m’exile.”
Le Chosun Ilbo, premier quotidien du pays et également conservateur, n’est pas non plus étouffé par la joie et titre également “Le choc Hollande sur l’économie mondiale”. Il offre un panorama plus complet de l’impact de l’élection de Hollande: une remise en cause des choix du couple Merkel Sarkozy au profit de la croissance et au détriment de la rigueur budgétaire, et le retrait prématuré des troupes françaises d’Afghanistan. Le quotidien rappelle également la situation médiocre dans laquelle Sarkozy laisse la France: “10% de chômeurs, le plus haut niveau depuis 13 ans, 1,6% de croissance économique et l’humiliation d’avoir perdu son triple A.”
Face à cette situation le quotidien rappelle les choix du nouveau Président de “taxer la finance, et supprimer les avantages fiscaux pour les très grandes entreprises.” Une politique contraire à celle de Sarkozy qui prônait “la valorisation du travail et le développement de l’activité par les réductions d’impôt.” En somme pour le quotidien, Hollande met l’accent sur la lutte contre les inégalités de la société française, plutôt que sur l’efficacité économique, choix qui expose au risque de voir les capitaux fuir la France. le Chosun Ilbo cite en exemple l’entreprise de biotechnologie Eurofins Scientific qui aurait choisi de déménager son siège au Luxembourg, et les “riches Français qui affluent sur le marché immobilier anglais.”
Mais il n’est pas sûr qu’Hollande puisse mettre en oeuvre sa politique car pour le quotidien l’écart du second tour est moins élevé que prévu et les élections législatives sont incertaines. Hollande devra donc ménager le centre pour qui la rigueur budgétaire est un enjeu primordial.
Le Donga Ilbo, troisième grand quotidien national et lui aussi conservateur, est sans surprise sur la même ligne que ses deux confrères, affirmant qu’avec la prise de pouvoir des socialistes pour la première fois depuis 17 ans en France (décidément!), conjuguée à l’issue des élections en Grèce, c’est la politique d’austérité qui monte à l’échafaud, “replongeant l’Europe dans la tourmente.” Le quotidien consacre également un article à Valérie Trierweiler, première Première Dame de France non mariée et working mom.
Il faut ouvrir les pages du quotidien de gauche Hankyoreh pour entendre un son de cloche différent. Pour le Hankyoreh, l’élection de Hollande ouvre la voie à une autre sortie de la crise par une politique de la croissance et de la prospérité, car pour le nouveau Président, “l’austérité ne doit pas être une fatalité.” L’Europe est-elle à un tournant? Pas si sûr pour le quotidien, et surtout trop tôt pour le dire car les élections déterminantes pour l’Europe auront lieu en septembre prochain en Allemagne, et l’avenir de l’Europe dépendra du score que réaliseront les sociaux-démocrates allemands et leurs alliés écologistes.
lire le billetDiscussion nocturne avec le père d’une fille de 15 ans, passionnée de chant et perfusée aux émissions de télé-réalité. Est-ce l’ivresse du Saint-Emilion dont nous venons de déguster quelques-uns des meilleurs ambassadeurs qui l’incite à partager quelques histoires personnelles avec moi? Ce Monsieur Park, la cinquantaine et cadre supérieur dans un grand groupe coréen me raconte que sa fille est persuadée d’avoir trouvé sa vocation: chanteuse. Rien de très étonnant lorsqu’on a 15 ans et que l’on vit dans un pays saturé de girls band. Cette fille aurait pris son courage à deux mains pour avouer sa vocation à son père en l’implorant dans la foulée de lui laisser poursuivre son rêve de carrière musicale.
Chaque parent est différent, mais face à une situation somme toute banale d’une gamine en pleine crise d’adolescence, les réactions les plus attendues seraient des variantes plus ou moins conciliantes de : “tu passes ton bac d’abord, et on verra après.” La réaction du père en question fut plus radicale: il se saisit d’un cintre (en métal me précisa-t-il) pour frapper sa fille. “Elle ne m’a plus jamais reparlé de cette histoire de chanteuse”, conclua-t-il.
Alors qu’en France il n’aurait pas été anormal que j’aille signaler M. Park à la brigade des mineurs, cet épisode n’a rien de très choquant en Corée. Les punitions corporelles bien qu’en diminution, font toujours partie intégrante de la panoplie dont disposent les parents et professeurs pour éduquer leurs enfants. Car beaucoup de gens le pensent ici: frapper, c’est éduquer. Il n’y a pas si longtemps il n’était pas rare que les parents d’élèves demandent aux professeurs de ne surtout pas hésiter à frapper leurs rejetons. Cette pratique est maintenant interdite, mais elle subsiste comme le montrent nombre de videos amateurs.
Frapper pour éduquer est une tradition ancestrale: déjà au Royaume de Joseon les lettrés frappaient les mollets de leurs disciples avec un bâton en bois ou en bambou lorsqu’ils apprenaient mal leurs caractères chinois. Puis, à partir des années 60 la société toute entière fut imprégnée de culture militaire du fait de la succession des régime autoritaires à la tête du pays (le premier Président de la République issu du monde civil a été élu en 1993), et du fait d’un service militaire obligatoire de 2 ans et demi dont sortent profondément marqués les hommes qui occupent pratiquement tous les postes de décision de la société coréenne.
D’autres raisons plus pragmatiques expliquent également que les punitions corporelles aient la vie dure en Corée. En effet comment punir un enfant qu’on ne peut pas priver de sortie, tout simplement parce qu’il ne sort jamais à part à ses cours privés? Le priver de dessert? Inenvisageable dans un pays qui a souffert de la faim jusqu’au début des années 80. Le priver de télé? Mais il la regarderait sur son mobile ou par Internet. Le priver d’Internet? Mais il en a besoin pour faire ses devoirs et communiquer avec ses profs…
lire le billetJe me souviens de certaines lectures de jeunesse de Marx où il affirme que le système capitalisme est voué à sa propre destruction du fait de l’accumulation de la richesse par un toujours plus petit nombre d’individus. Parfois j’ai l’impression qu’on y arrive doucement en Corée, comme l’illustre le classement Forbes des dix premières fortunes du pays: excepté le fondateur de Nexon, éditeur de jeux vidéos et troisième fortune de Corée, tous les autres membres de ce top 10 ont constitué leurs patrimoines par héritage, étant eux-même fils, ou petit-fils d’un fondateur de Chaebol, en l’occurrence Samsung, Hyundai, SK et Lotte.
Il y a en France aussi des dynasties industrielles qui se perpétuent et le patrimoine des Lagardère ou Dassault n’ont sûrement rien à envier à ceux des familles régnant sur les actifs des Chaebols coréens. Mais alors qu’en France la part de ces groupes familiaux dans l’économie nationale est relative, en Corée le chiffre d’affaires des 5 plus gros Chaebols réunis (Samsung, Hyundai, SK, LG et Lotte) représentaient en 2009 près de 60% du PIB national. Alors imaginez qu’on rajoute à ces 5 Chaebols, le poids des CJ, Hanwha, Hanjin, Kumho, et autre Doosan, conglomérats familiaux moins connus à l’international mais se taillant la part du lion de nombreux secteurs d’activité de l’économie coréenne.
Surtout, si l’on veut appréhender le poids réel de ces quelques douzaines de familles dans l’économie coréenne, il faut regarder au delà du périmètre strict des Chaebols et s’intéresser aux activités de chacun des membres de la famille. Imaginez le destin de tous ces enfants, oncle, tantes ou autres cousins par alliance, délivrés de tout souci matériel et guettés par une vie morne et désoeuvrée. D’où l’émergence du “hobby business”, une activité lancée pour s’occuper plus que par contrainte alimentaire. Et forcément ça marche: dans le secteur du luxe, de la mode, des cosmétiques, ou encore du catering, nombre de marques étrangères prestigieuses sont importées ou ont un accord de licence avec des filles ou fils de. Quoi de plus simple lorsque le financement n’est pas un souci (l’argent de poche donné par papa) et les débouchés commerciaux non plus (le carnet d’adresses de papa).
Progressivement, tous les secteurs de l’économie sont affectés par l’appétit de ces quelques familles, au point que la situation des PME en Corée devient alarmante: déjà réduites à n’être que des sous-traitants à la merci de quelques Chaebols dans le secteur industriel, les commerces de proximité pourraient bientôt connaître un sort similaire. C’est ainsi que Lee Boo-jin, fille aînée de l’actuel Président de Samsung Lee Kun-hee (lui-même fils du fondateur du groupe), fut prise d’un intérêt soudain pour la patisserie et lança la chaîne de boulangerie pâtisserie “Artisée”, dont 27 boutiques ouvrirent en un temps record à Seoul en 2011 pour concurrencer les commerces de quartier.
Cette fois-ci le timing ne fut pas optimal car 2012 est une année d’élections nationales en Corée aussi. Et devant le mécontentement général contre le monopole des Chaebols, même le Président conservateur actuel, pourtant pro-business et ancien CEO de Chaebol, dut dénoncer publiquement l’appétit vorace des Chaebols nuisible aux petits commerces. Reste à savoir si ce “Chaebol-bashing” qui semble gagner toute la classe politique est une réelle prise de conscience des dérives du capitalisme coréen, ou une simple posture électorale.
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