Lorsqu’on pense aux jeux vidéos en Corée du Sud, on pense avant tout à quelques faits divers sordides de gamers tellement accros qu’ils en meurent d’épuisement ou qu’ils laissent mourir leurs enfants pour continuer leur partie. Il ne faut pas généraliser ces quelques cas extrêmes, mais il ne faut pas nier non plus que les Coréens sont très (trop?) gourmands de jeux vidéos. Il suffit d’observer le nombre d’usagers du métro aux heures de pointe, tous âges, sexes et catégories socio-professionnelles confondus, englués à leurs écrans de smartphones pour une partie de baseball, de course de voiture, ou de décoration de leurs îles enchantées.
En Corée un passionné de jeux vidéos pourra en vivre s’il excelle dans cette discipline. Car si en France les jeux vidéos sont souvent perçus comme un passe-temps peu recommandable, ils peuvent en Corée devenir un véritable débouché professionnel pour qui sera suffisamment performant à Starcraft pour attirer l’attention d’équipes de gamers professionnels, sponsorisés par les Chaebols et s’affrontant dans le cadre de championnats dont la popularité n’a rien à envier à celle de la plupart des sports professionnels. Rien d’étonnant dans ce contexte que l’organisateur du plus grand tournoi de jeux électroniques, les World Cyber Games, soit une société coréenne, et que le tournoi lui-même soit sponsorisé par Samsung.
Dernière illustration de cette passion coréenne: l’engouement que suscite ici le lancement de Diablo 3, troisième volet d’un jeu de rôle longtemps attendu par les gamers du monde entier, mais particulièrement par ceux de la Corée: 5h30 après l’ouverture des serveurs de Blizzard, l’éditeur du jeu, un Coréen finissait déjà le jeu, tandis que tous les jours, ils sont environ 400 000 Coréens à se connecter simultanément, beaucoup n’hésitant pas à se connecter sur les serveurs d’autres continents provoquant la colère de leurs confrères étrangers.
Malgré ces excès, l’impact des jeux vidéos sur la Corée est sans aucun doute positif. D’un point de vue sociétal, l’addiction aux jeux vidéos pose bien sûr des problèmes sociaux, mais les jeux vidéos présentent également certaines vertus. Ils offrent à une jeunesse confinée par manque de temps et d’espace dans leurs salles de cours ou dans leur chambre, un espace de liberté, d’expression et de socialisation. Un espace certes virtuel mais aux effets bien réels: on s’y retrouve entre copains ou copines de classe par avatars interposés pour jouer, chatter, flirter… Autant de liberté que la société coréenne “in real life” n’offre que parcimonieusement à sa jeunesse.
D’un point de vue économique, le bilan est également positif. Et si la Corée dispose avec Samsung et LG de deux champions du hardware, elle dispose d’un formidable atout dans les contenus numériques grâce au secteur des jeux vidéos et son vivier de start ups, de talents, et ses millions de gamers. A l’origine de ce succès, un facteur favorable a joué un rôle majeur : la généralisation rapide du haut débit au début des années 2000, d’abord au travers d’Internet Cafés (“PC Bang”), puis dans tous les foyers, offrant ainsi un marché de millions Coréens avides de jeux à des start ups qui n’en demandaient pas tant. Les start ups d’hier sont devenus l’un des moteurs de la croissance économique coréenne d’aujourd’hui: les trois plus belles réussites du secteur NHN, NCsoft et Nexon ont tous vu le jour dans les années 90, et emploient aujourd’hui des dizaines de milliers de salariés.
Dans l’addiction aux jeux vidéo en Corée, le facteur principal n’est pas vraiment le jeu vidéo, mais la société coréenne, et cette phrase l’exprime à mon sens assez clairement “(…) autant de liberté que la société coréenne “in real life” n’offre que parcimonieusement à sa jeunesse”.
Plus généralement, les Coréens ont tendance à aller très loin dans leurs passions. C’est à mon sens souvent un refuge qui leur permet une sorte d’épanouissement (ou au moins un exutoire) que la vie quotidienne en Corée et toutes ses contraintes (compétition sociale, au travail, problèmes familiaux, financiers, etc…) ne peut parfois pas leur apporter.