Park Geun-hye, Présidente maternelle

Park Geun-hye, surnommée la “reine des élections” pour en avoir remporté 5 d’affilée, n’aura pas failli à sa réputation. Elle est devenue hier la première femme élue Président de la République de Corée avec 51,6% des suffrages.

Pourtant ses obstacles étaient nombreux et de taille : première femme candidate sérieuse dans une société où la misogynie est ancrée dans les mentalités de tous mâles coréens, y compris dans celles des jeunes ; fille du Général Park Chung-hee, qui régna sur la Corée de 1961 à 1979, qui certes enclencha son décollage économique, mais réprima toute opposition à son régime dans le sang au point que la moitié de l’opinion publique coréenne s’en souvienne aujourd’hui comme d’un dictateur ; enfin, candidate d’un parti au pouvoir de centre droit, le Saenuri, plombé par des affaires de corruption et par une Administration sortante exsangue, battant record d’impopularité sur record d’impopularité.

La victoire de Park est d’abord la défaite de l’opposition, incapable de proposer une alternative crédible aux électeurs coréens. Jusqu’aux dernières semaines précédant les élections, celle-ci fut incapable de s’entendre pour départager Moon Jae-in, candidat du Parti Démocratique Unifié (PDU), principal parti d’opposition de centre gauche, de Ahn Cheol-su, candidat indépendant. Au bout de négociations infructueuses, ce dernier se retira in extremis pour ne pas précipiter une défaite certaine de l’opposition si elle se présentait divisée, mais le mal était déjà fait et malgré quelques timides manifestations de Ahn pour Moon, l’élan de l’opposition était brisé.

Une occasion d’autant plus manquée pour l’opposition que d’un point de vue des programmes, les différences entre les deux partis étaient minimes: même diagnostic sur l’augmentation des inégalités sociales, le déclin démographique, le chômage des jeunes ou la précarité des retraités, même promesse d’un Etat providence renforcé pour y remédier, même volonté de limiter la puissance des Chaebols, ces conglomérats coréens qui jouissent d’une situation d’oligopole sur le marché coréen, même incapacité à proposer une ligne de conduite claire vis-à-vis de la Corée du Nord, etc.

C’est ici qu’apparaît l’une des spécificités du jeu politique coréen. Car à l’exception de la menace de la Corée du Nord, qui paradoxalement ne fait pas partie des préoccupations majeures de l’électorat sud-coréen, la situation de la Corée du Sud est finalement assez comparable à celle de n’importe quel pays industrialisé: une perception de crise économique, l’augmentation des inégalités sociales auxquelles tentent de remédier deux grands partis de gouvernement ayant tour à tour déçu à l’épreuve du pouvoir au cours des 10 dernières années et dont les programmes politiques sont aujourd’hui sensiblement identiques.

Face à un tel cas de figure en France, la tentation d’une partie des électeurs les plus en difficulté serait d’envisager des solutions radicales, d’aller vers les extrêmes. Or cette tentation n’est pas envisageable en Corée: l’extrême gauche ne peut être qu’inexistante dans la mesure où elle est apparentée au frère ennemi du nord, tandis que les thèmes généralement privilégiés par l’extrême droite ne sont pas pertinents dans le contexte coréen: les immigrés ne peuvent pas être la cause principale des maux économiques et sociaux vu leur faible proportion dans la population.

Les élections en Corée se gagnent donc généralement au centre, en fonction de la force de séduction que les deux partis seront capables d’exercer auprès de la catégorie des électeurs sans appartenance politique claire, insensibles aux clivages régionaux très forts en Corée (la Province de Jeolla-do au sud ouest, fief du PDU, a voté à plus de 80% pour Moon, tandis qu’au Gyeongsangbuk-do au sud-est de la péninsule, fief du Saenuri, c’est Park qui l’emporte avec plus de 80% des suffrages), votant tantôt à droite, tantôt à gauche selon leurs préoccupations du moment.

Lors de ces élections cette catégorie des indécis fut elle-même l’objet d’un fort clivage autour de la figure de Park : un clivage de génération. Pour la génération des seniors, celle qui a connu la guerre, la misère et la faim, Park est la fille du père fondateur de la Corée moderne et prospère. Fille d’autant plus méritante et valeureuse qu’à 22ans, alors étudiante en échange à Grenoble, elle dut perdre sa mère, tuée par les balles d’un espion nord-coréen qui visait son mari lors d’une allocution publique ; suite à quoi Park assuma le rôle de Première Dame jusqu’à ce que son père fut à son tour assassiné par le chef de ses propres services secrets.

Pour les jeunes générations, la perception est inverse: Park est la fille d’un général dictateur brutal qui a sali ses mains du sang de patriotes qui ont combattu pour la démocratie en Corée. Moon a d’ailleurs lui-même été emprisonné par le régime de Park-père. Elire sa fille, qui n’a connu que les dorures du pouvoir et n’a aucune idée de la réalité du quotidien difficile du Coréen moyen, serait un anachronisme, une aberration historique, un danger pour la démocratie, voire pour certains une honte nationale.

A bien des égards, l’issue de ces élections dépendait de la capacité de chaque camp à mobiliser sa génération d’électeurs. Et à ce jeu là, Park s’est montrée bien plus adroite que Moon. Elle a d’abord su habilement jouer sur l’héritage de son père : en s’excusant tardivement sur les souffrances causées par le régime de son père mais en se réfugiant derrière l’argument de piété filiale, valeur centrale dans la société confucianiste coréenne, pour ne pas aller trop loin dans la critique, Park a réussi un numéro d’équilibriste consistant à rassurer les uns tout en confortant les autres.

Park a également été redoutable dans l’exploitation de son image de femme: d’abord plutôt silencieuse sur ce sujet afin de limiter les risques auprès d’un électorat généreusement misogyne, elle a finalement trouvé le bon angle pour transformer cette faiblesse potentielle en avantage certain: la figure de la mère coréenne, faite de dévotion, de courage, d’abnégation, et de sacrifice pour la réussite de son mari et son fils ainé. La mère coréenne n’est pas séduisante mais douce, elle n’est pas tentatrice mais apaisante, elle n’est pas dangereuse mais rassurante. Bref Park est mère plus que femme, la mère de tous les Coréens, entièrement dévouée à la Nation, ce qui tombe bien parce qu’elle est célibataire, sans enfant et qu’on ne lui connait aucun compagnon.

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Vieillir en Corée

Si la santé d’un pays se mesure à l’état de ses finances publiques ou au succès international que rencontrent ses produits électroniques ou culturels, alors la Corée va très bien, merci pour elle. Si par contre, on doit la juger à sa capacité à prendre soin des catégories les plus faibles de sa population, notamment les personnes âgées, alors la Corée va très mal.

En 2010, 4 378 personnes âgées des plus de 65 ans se donnaient la mort selon les statistiques nationales coréennes, soit une personne toutes les deux heures. Un tiers des personnes qui se suicident en Corée a plus de 65 ans. Les seniors contribuent ainsi généreusement au triste record du taux de suicide le plus élevé que détient la Corée au sein des pays de l’OCDE. Et les choses ne s’arrangent pas avec l’âge: le taux de suicide des plus de 75 ans est deux fois plus élevés que celui de la tranche d’âge des 65-74 ans. Après 75 ans, ils sont 160 pour 100 000 à se donner la mort, soit 8 fois plus que la moyenne des pays de l’OCDE.

On trouve un dénominateur commun aux raisons multiples qui conduisent ces personnes âgées à préférer la mort: la pauvreté. Alors qu’en France on s’inquiète, à raison, que 10,4% des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté, cette proportion est de 50% en Corée. Si une personne âgée sur deux est donc considérée comme pauvre c’est parce que l’Etat Providence est pingre ici: certes quelques professions sont correctement traitées, telles que la fonction publique ou l’éducation, mais pour 70% des retraités la pension s’élèvera à quelques 70 EUR par mois.

Il n’existe pas 36 solutions pour échapper à cette pauvreté programmée. La première est d’avoir la prévoyance et surtout les moyens d’épargner pour ses vieux jours. Ce à quoi s’emploient tous les Coréens sans exception, mais dans un pays où le coût de la vie est équivalent à celui de n’importe quel autre pays industrialisé, où le coût de l’éducation est le plus élevé des pays de l’OCDE, et où les couvertures maladies sont aussi succinctes que les indemnités de retraite, épargner pour sa retraite revêt souvent une importance relative.

Autre solution: compter sur la solidarité familiale. Mais ce qui marchait autrefois grâce aux confucianisme et à l’entraide informelle naturellement présente dans un contexte de misère généralisée, marche de moins en moins. Aujourd’hui encore, de nombreux enfants, une fois embauchés, versent régulièrement une partie de leur salaire à leurs parents, par piété filiale et pour les aider financièrement. Mais quelques années plus tard, une fois mariés et eux-mêmes parents, les exigences financières du foyer et surtout de l’éducation des enfants mettront un terme à leur générosité.

Dernière solution: écourter au maximum les “vieux jours”. C’est pourquoi continuer de travailler le plus tard possible est considéré comme une chance par la plupart des Coréens qui travaillent en moyenne jusque l’âge de 70 ans. Ce souci accapare les esprits à partir de la cinquantaine, y compris ceux des cadres supérieurs qui redoutent le jour où, moins performants, ils seront mis au placard par le management au profit des générations suivantes. Au point que lorsque je raconte qu’en France les travailleurs manifestent souvent sur l’âge de départ en retraite, de nombreux Coréens pensent que leur motivation est de reculer l’âge de départ légal pour travailler plus longtemps.

L’ultime moyen d’écourter ses vieux jours, c’est donc d’y mettre fin: comme ce couple de retraités qui s’est défenestré la semaine dernière, dans la résidence de ma cousine. Comme ce grand-père, vivant seul dans un studio misérable, et qui s’est donné la mort pour que son fils n’ait pas à supporter les frais médicaux liés à sa maladie. Ce drame a fait l’objet d’un court article de journal, tant ce type de fait divers est devenu courant dans un pays qui parfois donne l’impression d’avancer trop vite pour que tous arrivent à suivre.

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Pye-baek (폐백)

En France le moment clé du mariage se trouve sans doute parmi l’un des instants qui consacre l’union du mari et de la femme: la déclaration devant le réprésentant civil ou religieux, ou l’échange des alliances, ou encore la signature de l’acte. En Corée il existe un autre moment  au moins aussi important, qui a lieu après la cérémonie officielle, et à l’écart de la plupart des invités: le Pye-baek (폐백),

Le Pye-baek, c’est la partie coréenne de la cérémonie de mariage. Celle qui vient ponctuer par un semblant de tradition et de folklore des cérémonies qui rivalisent généralement de dépenses somptuaires en décors kitch et repas fusion-food sans intérêt. Alors que la plupart des invités finissent leur repas et s’apprêtent à quitter les lieux, le couple vient retrouver les membres de leur famille dans une réplique de chambre traditionnelle où sont préparés alcool de riz, thé et amuse-bouches coréens.

Vêtus du Hanbok de cérémonie traditionnel les mariés rendent alors hommage aux membres de la famille. Ils les saluent d’abord par la plus respectueuse des révérences, le Jeol, genoux et mains au sol, front incliné vers le bas, puis partagent un verre et quelques friandises en écoutant respectueusement les quelques paroles de sagesses sur le mariage formulées par les générations antérieures. D’autres rites ont également cours, notamment celui où les parents du marié lancent une poignée de dattes et de noix que le couple essaie de réceptionner sur la robe de la mariée: les nombres de dattes (pour les filles) et de noix (pour les garçons) réceptionnés symbolisent le nombre d’enfants promis au couple. On demande également au marié de porter sa femme sur le dos, voire sa mère, afin de démontrer sa force et sa capacité à soutenir sa femme et le foyer nouvellement créé.

Mais au delà de ces folklores, le Pye-baek célèbre la conception coréenne traditionnelle du mariage: celle de l’union non pas d’un couple, mais de deux familles, au travers du passage de la mariée de sa famille de naissance, à sa nouvelle famille: celle de son mari. Car c’est bien ce passage qui est ritualisé dans le Pye-baek, dont la fonction est de présenter la mariée aux membres de sa nouvelle famille. Traditionnellement la famille de la mariée n’avait d’ailleurs pas sa place dans cette cérémonie: seuls les parents du marié, puis ses oncles et tantes, frère et soeur, voire cousins cousines, se succédaient à la table des présentations pour recevoir la révérence des mariés.

Aujourd’hui, cette fonction première du Pye-baek s’efface quelque peu au profit d’une cérémonie traditionnelle rassemblant les membres des deux familles, parfois même quelques amis. Il s’agit de se retrouver pour célébrer entre très proches, le couple nouvellement formés dans le cadre d’une cérémonie où la génération des parents se sentira plus à l’aise. Mais le rapport déséquilibré entre les deux familles reste très présent: bien sûr certains Pye-baek sont plus “égalitaires” que d’autres, mais il faudra généralement que les parents de la mariée attendent que tous les membres de la famille du marié, proches ou éloignés, jeunes ou moins jeunes, reçoivent tour à tour les révérences du couple pour enfin à leur tour, avoir droit aux mêmes hommages.

Une attente parfois pénible, où les parents de la mariée sentent qu’ils envoient réellement leur fille vers la famille du marié. Où ils la voient enchaîner les prosternations, vêtue d’une robe encombrante qui rajoute à la pénibilité d’un exercice assez physique; attente pendant laquelle ils ont tout le temps de constater que leur fille n’est déjà plus vraiment leur fille, mais celle de la famille d’en face. Ici les mariées appellent d’ailleurs leurs belles-mères “mère”, et leur beaux-pères “père”.

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Présidentielles en Corée: la dernière ligne droite.

 

On connait maintenant les deux finalistes de la course à la présidentielle en Corée, dont les élections auront lieu dans moins d’un mois. Ils étaient trois jusqu’à présent: Park Geun-hye, candidate du parti de centre droit au pouvoir ; Moon Jae-in candidat du principal parti d’opposition de centre gauche, ancien avocat défenseur des droits de l’homme et ancien membre du cabinet du Président Roh Moo-hyun; enfin Ahn Cheol-su, entrepreneur multi-millionnaire, professeur et philanthrope, candidat indépendant entré en politique sur le tard et porté par un électorat assez hétéroclite mais plutôt jeune et lassé de la classe politique actuelle.

L’issue de cette course à la présidentielle semblait assez simple: si Ahn et Moon, les deux candidats de l’opposition, arrivaient à unifier leur candidature à partir d’une plateforme commune comprenant notamment la volonté de battre le camp conservateur, de lutter contre les inégalités sociales et d’adopter une approche plus conciliante vis-à-vis de la Corée du Nord, alors ce candidat unique aurait de sérieuses chances de l’emporter. Si par contre les deux s’évertuaient à maintenir leur candidature alors les électeurs voulant l’alternance se répartiraient dans des proportions trop similaires pour que l’un des deux ait une chance de l’emporter face au candidat unique de la droite car, rappelons-le, le président coréen est élu pour cinq ans lors d’un suffrage direct à un seul tour.

À quelques semaines des élections, on pourrait penser que le plus dur est fait pour l’opposition, dans la mesure où Ahn Cheol-su déclara vendredi dernier qu’il se retirait de la course à la présidentielle. La voie semble libre pour l’autre candidat de l’opposition, Moon Jae-in, qui devrait fédérer autour de lui tous les opposants au camp des conservateurs. Mais il n’en est absolument rien: on peut difficilement interpréter le retrait de Ahn comme un désistement en faveur de Moon mais plutôt la conséquence de l’impossibilité des deux camps d’arriver à un accord de gouvernement qui aurait permis de présenter une candidature unifiée.

Ca n’est pourtant pas faute d’avoir essayé: les dernières semaines ont été remplies de rencontres et pourparlers intenses émaillés de pressions diverses, fuites à la presse, volte-face, suspensions, tentatives avortées de consultation publique par voie de sondage, etc. La pression fut énorme autour des deux candidats pour arriver à un accord: jeudi dernier un cinquantenaire se suicidait même en laissant une note implorant Ahn et Moon de s’entendre. Mais à quelques jours du dépôt officiel des candidatures, les positions des deux camps n’étaient pas réconciliées: Moon et ses partisans mettant en valeur son expérience, et le soutien du principal parti d’opposition pour faire de lui le meilleur représentant du camp progressiste et le plus apte à gouverner, tandis que Ahn et les siens avançaient son indépendance, son charisme au delà des clivages politiques traditionnels pour justifier qu’il soit le meilleur des deux candidats pour battre la candidate conservatrice Park Geun-hye.

C’est suite à cette impossibilité d’arriver à un compromis, que Ahn en prit acte publiquement vendredi dernier et par conséquent, déclara son retrait de la course afin de préserver mathématiquement les chances d’une alternance politique.

Difficile de prédire si ce soutien par défaut suffira pour qu’un nombre suffisant des sympathisants de Ahn rejoignent le camp de Moon, d’autant que les soutiens du premier dépassaient les traditionnels clivages partisans: un certain nombre d’entre eux pourraient être tentés de rejoindre l’autre camp avec lequel leurs convictions politiques traditionnelles seraient le plus en phase. Les sondages donnent pour l’instant les deux candidats restants au coude à coude.

Difficile également d’interpréter les motivations réelles derrière cet apparent acte de sacrifice de Ahn pour le bien de l’alternance politique. Est-ce la fin de sa courte aventure politique, ou est-ce au contraire le retrait tactique d’un homme qui fait de plus en plus le choix d’une carrière politique ? Car il passe son tour cette fois-ci, mais il pourrait apparaître comme le recours de choix cinq ans plus tard, surtout si le gagnant de ces élections-ci déçoit.

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Le système gagnant derrière Gangnam Style

Les “3C”, pour Coopération, Concurrence et Créativité, sont, d’après le Ministre coréen des finances, les raisons du fulgurant succès de Gangnam Style. Et moi qui pensais que ce succès était dû à une danse du cavalier marrante et addictive, à un Asiatique excentrique ne se prenant pas trop au sérieux et à la puissance de YouTube… Mais non, le succès de Gangnam Style viendrait des 3C: la coopération se reflèterait dans la synchronisation des mouvements des danseurs, la concurrence du marché de la K-pop créerait une saine émulation rendant possible un tel hit, enfin la créativité sous-tendrait l’ensemble de son processus de production.

Comme la vacuité des propos n’a jamais effrayé aucun homme politique, surtout lorsqu’il s’agit de se rattacher à un succès planétaire, et comme il y aura toujours un journaliste pour reprendre n’importe quel lieu commun pourvu qu’il sorte de la bouche d’un homme politique, ce concept fumeux a quand même fait l’objet d’une dépêche Reuters.

Et pourtant il y aurait tant à dire pour un membre du gouvernement coréen au sujet du succès de la K-pop. Non, la “coopération” des danseurs lorsqu’ils miment en rythme un cavalier imaginaire n’y est pour rien. Si c’était le cas, il faudrait qu’on m’explique pourquoi les Arirang Mass Games de Corée du Nord, dont les participants sont bien plus “coopérants” que les danseurs de Gangnam Style, ne sont pas en compétition pour la course au milliard de vues avec Psy et Justin Bieber sur YouTube.

La concurrence n’y est pas non plus pour grand chose dans le succès de Gangnam Style, en tout cas pas plus que pour n’importe quel autre tube planétaire, vu qu’elle est présente partout ailleurs et particulièrement féroce dans l’industrie de l’entertainment.

Le troisième “C” est lui plus pertinent. Car oui, le chanteur Psy a dû faire preuve de créativité pour exploiter sa plastique non conforme aux standards “Ken – Barbie” en vigueur sur la scène pop coréenne. D’où l’excentricité, la dérision, et l’humour dont fait preuve le chanteur, qui le distingue de ses confrères et consoeurs, et qui au final ne sont pas étrangers au succès international de Gangnam Style.

Ce qui ne veut pas dire qu’à part Psy, la K-pop manque de créativité. Au contraire, cette créativité fut essentielle pour le succès de la K-pop en général, mais elle n’est pas forcément là où on l’attend le plus et c’est sur ce sujet qu’en tant que Ministre des finances coréen, il aurait été intéressant de s’attarder.

De prime abord, il y a mille et une raisons légitimes d’aimer la K-pop mais pas celle de la créativité. Les fans de K-pop hurleront peut-être au blasphème, mais il faut quand même admettre que les girls-bands ou boys-bands coréens peuvent être perçus comme étant à la musique ce que les romans de gare sont à la littérature: en nombre, interchangeables, à durée de vie très limitée, au contenu standardisé, divertissants, superficiels, etc. Ce qui se passe sur scène est donc tout sauf créatif, mais si l’on prend l’industrie dans son ensemble, et si l’on revient sur l’évolution de ce genre musical au cours des 20 dernières années, on comprend en quoi la K-pop a fait preuve d’innovation pour aujourd’hui connaître un engouement planétaire.

D’abord, il faut rappeler que la K-pop n’a attendu ni YouTube, ni les fans du monde entier pour bien se porter. Jusque la fin des années 90, c’est une industrie prospère reposant essentiellement sur un marché local, offrant un catalogue de genres musicaux et d’artistes qui, s’ils sont quelque peu influencés par les courants musicaux extérieurs, sont assez lourdement adaptés pour un public coréen dont les goûts musicaux restent, à l’exception notoire de la musique classique, très autocentrés. Je me souviens par exemple d’un engouement général des Coréens pour la musique Reggae au début des années 90. Sauf que pratiquement personne n’écoutait ni Bob Marley, ni Israel Vibration mais ceci:

Lorsqu’on compare ce clip vidéo avec celui de n’importe lequel des groupes de K-pop actuels, on réalise les progrès qualitatifs immenses accomplis par l’industrie musicale coréenne. Certes, mais ces progrès résident surtout dans la capacité à assimiler et intégrer les influences et techniques musicales étrangères, à se sophistiquer pour séduire un public à la fois oriental et occidental: bref, on ne peut pas parler de réelle créativité ou d’innovation. Lorsqu’on pense au modèle de développement économique coréen dans son ensemble, on se rend compte que l’industrie musicale coréenne n’a même plus rien du tout d’original dans la mesure où elle a calqué son développement sur celui du pays tout entier: se faire la main sur un marché intérieur captif, apprendre et intégrer les “best practices” étrangers, puis finalement lancer à l’export une offre ultra-compétitive.

Sauf qu’à la différence d’autres secteurs d’activité économique, l’industrie de la musique a connu – connaît toujours – une crise majeure depuis le début des années 2000. Avec l’avènement des technologies numériques, la musique se dématérialise et avec elle, les revenus des ventes de CD que n’arrive pas à compenser la vente de musique en ligne trop facilement piratée. L’industrie musicale coréenne ne fut pas épargnée par cette rupture technologique que le pays accueillit à bras ouvert, de sorte que dès le début des années 2000, les connexions Internet haut-débit étaient généralisées. Ainsi, les ventes annuelles de CD passèrent de 400 mds de wons en 1999, à 108 mds de wons en 2005.

Alors que les professionnels du secteur de la musique du monde entier s’efforçaient de défendre un support musical et un modèle économique déjà pratiquement obsolètes, la Corée comprit avant tout le monde qu’il ne servait à rien d’aller à contre-courant d’un bouleversement inéluctable provoqué par une révolution technologique majeure: il fallait l’accepter, comprendre les nouveaux contexte et enjeux, puis innover afin de trouver un nouveau modèle économique viable.

Et les innovations se succédèrent: de nouveaux supports musicaux furent testés tels que les “ringtones”, sonneries de téléphones portables ou les ringback tones, musique remplaçant la tonalité d’attente. De nouveaux modèles économiques virent également le jour. En 2004, le service melON proposé par SK Telecom, offrait déjà un riche catalogue de musiques en streaming disponibles à partir de son ordinateur ou de son mobile, contre un abonnement mensuel.

Cette même année, les ventes de ringtones en Corée dépassaient déjà celui des CD, tandis que les ventes de musique en ligne compensaient progressivement le manque à gagner dû à la disparition des ventes physiques. Cet effort d’innovation avant tout le monde permit aux acteurs coréens de fidéliser suffisamment leur clientèle locale, et ainsi résister à l’entrée brutale de géants des technologies et du web tels qu’Apple iTunes ou Amazon dans le marché de la musique.

Surtout, l’industrie musicale coréenne comprit avant tout le monde qu’à l’ère du numérique, la valeur ne résidait plus dans les millions de copies, qu’elles soient sous la forme d’un CD ou d’un fichier électronique, d’un même album, mais dans la création de stars capables de capter puis entretenir une relation privilégiée avec une communauté de fans. C’est pourquoi les labels coréens sont aujourd’hui plus des agences spécialisées dans le repérage, la formation et la gestion de jeunes talents pour en faire des stars, que des maisons de disques.

Bien sûr l’un des objectifs pour le label est de produire des albums, mais à l’heure du numérique, cette activité ne peut plus être la source de revenu principale: le consommateur est de moins en moins enclin à acheter une copie de chanson qu’il peut facilement trouver sur Internet, alors qu’il sera prêt à payer le prix pour participer à  un concert exclusif de sa star préférée, à regarder une fiction dans laquelle elle apparaît, ou encore acheter parmi plusieurs produits concurrents celui promu par sa star.

Il faut donc promouvoir la star plus que son album. C’est pourquoi la plupart des labels coréens ont très vite adopté une politique très laxiste du respect de leurs droits d’auteur sur YouTube pour adhérer au principe de partage gratuit qui y prévaut. Ils ont ainsi laissé se propager, voire même encouragé les copies, les reprises parodiques, les remix, afin de privilégier la valeur de la star plutôt que celle de ses chansons: politique sans laquelle le buzz incroyable de Gangnam Style n’aurait peut-être pas vu le jour.

Certes le succès de la K-pop repose sur des voix parfaitement accordées, des chorégraphies parfaitement synchronisées, des corps parfaitement sculptés, des stratégies marketing parfaitement planifiées et exécutées. Mais il trouve également son origine dans la capacité dont a fait preuve l’industrie musicale coréenne pour accepter rapidement la fin d’un modèle et en imaginer un autre, adapté aux bouleversement apportés par les technologies numériques: une démonstration impressionnante de créativité et d’innovation conduite par une industrie toute entière et qui illustre la remarquable capacité de résilience, de réactivité et d’innovation des Coréens. Bref une histoire parfaite à raconter à un journaliste pour un Ministre coréen.

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Incheon l’ambitieuse

Incheon, ville côtière située à 50km à l’ouest de la puissante capitale Seoul, n’aurait pu être qu’une grande banlieue anonyme de cette dernière, elle n’était d’ailleurs qu’un village de 5000 pêcheurs à la fin du 19ème siècle. Elle est pourtant aujourd’hui la troisième ville de Corée avec 2,8 millions d’habitants, soit plus que la population de Paris intra-muros.

C’est que Incheon présente un avantage majeur: son emplacement stratégique fait d’elle le principal point d’accès à Seoul, et donc à la Corée. Depuis le 19ème siècle, Incheon accueille la plus grande communauté chinoise du pays, venue par bateau de côtes chinoises distantes de quelques centaines de kilomètres. Pendant la guerre de Corée, c’est cet emplacement stratégique qui fut mis à profit par le Général Mac Arthur pour réussir le débarquement des forces de l’ONU, puis la reprise de Seoul aux Nord-coréens et la reconquête de la péninsule.

Aujourd’hui, Incheon accueille non seulement le deuxième port de la Corée derrière Busan, mais également l’aéroport international qui depuis 2002, a remplacé le vieillissant aéroport de Gimpo pour relier  Séoul au reste du monde. Pour bien réaliser l’importance de cet aéroport il se rendre compte qu’à moins de prendre le bateau des côtes japonaises ou chinoises, l’avion est le seul moyen de transport permettant d’accéder à la Corée, qui est entourée d’eau à l’ouest, au sud et à l’est, et bloquée par la frontière la plus militarisée du monde au nord. Incheon est ainsi devenu le passage obligé de quelques 5,7 millions de voyageurs qui tous les ans arrivent ou partent de Corée à partir d’un aéroport parmi les plus performants au monde : une manne pour Incheon.

Symbole de cette ouverture au monde la première zone économique franche du pays est crée à Incheon. Joyau de cet Incheon Free Economic Zone (IFEZ), la construction de Songdo, une ville bâtie ex-nihilo à partir de 610ha de terres gagnées sur la mer. Financée par le promoteur immobilier Gale International, la banque d’affaires Morgan Stanley, le Chaebol Coréen Posco et la municipalité de Incheon, Songdo constitue le plus grand projet de développement immobilier privé au monde et devrait engloutir plus de 35 milliards de dollars jusqu’en 2016, date d’achèvement de ce projet pharaonique.

Songdo c’est la ville du future, comme l’imaginent les Coréens: hyper connectée bien sûr, grâce à un réseau fibre haut débit couvrant chaque centimètre carré de la ville et installé par Cisco, qui a également équipé chaque bureau, chaque appartement d’un système de vidéo-conférence, afin de limiter au plus les déplacement inutiles. Mais Songdo sera plus que simplement hyper connectée, elle sera “smart” grâce à un réseau de capteurs incrustés dans tous les bâtiments et chaussées de la ville et permettant de suivre en temps réel température, humidité, densité de la circulation, ou tout autre indicateur permettant d’optimiser la gestion de la ville et sa consommation d’énergie.

Car Songdo se veut également un modèle de développement durable avec 30% de sa surface dédiée à l’espace vert, des pistes cyclables en veux-tu en voilà, un système de tri de déchets ne nécessitant même plus de camion poubelle… Sans oublier l’éducation: une école internationale y a ouvert en partenariat avec la Chadwick School en Californie; la santé: un hôpital aux meilleurs standards internationaux y est installé; le divertissement: un golf 18 trou designé par Jack Nicklaus en personne a déjà accueilli son premier tournoi PGA…

Ses efforts seront-ils suffisants pour amortir les investissements pharaoniques et y attirer les 62 000 habitants et 300 000 “commuters” quotidiens? Pour l’instant la zone n’a réussi à attirer qu’un peu plus d’un milliard de dollars d’investissements étrangers. Mais signe que Songdo a déjà réussi à bâtir une réputation à la hauteur de ses ambitions, l’ONU a décidé d’établir le siège de son nouveau Green Climate Fund à Songdo, alors que des villes comme Genève ou Bonn étaient candidates.

L’ambition d’Incheon ne se limite pas à Songdo: en 2014, la ville accueillera les Jeux Asiatiques, entraînant la construction d’un nouveau stade, d’une nouvelle ligne de métro et d’autres aménagements significatifs afin d’accueillir au mieux les athlètes de toute l’Asie. Vers 2030, Incheon compte achever “8-City”, un projet à 290 milliards de dollars de création d’un site de tourisme et divertissement capable de rivaliser avec Macau, Dubai ou Las Vegas. Le projet prévoit casinos, hotels de luxe, shopping malls géants ou encore un circuit de formule 1 afin d’attirer tous les ans quelques 130 millions de visiteurs, pour la plupart chinois.

Bien sûr il va falloir sécuriser les financement privés et publics, définir un plan d’aménagement et faire sortir de terre un à un tous les bâtiments qui constitueront 8-City, enfin surtout, rentabiliser tous ces efforts. Mais les Coréens n’ont pas leur pareil pour annoncer des objectifs qui semblent insensés: c’est peut-être un peu leur manière d’avancer car en faisant son maximum pour tenter d’atteindre des objectifs irréalistes on finit toujours par en sortir un résultat qui n’en reste pas moins impressionnant.

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Nun-chi – 눈치

Nun-chi n’a pas de traduction en Français et pourtant il faut comprendre ce mot pour comprendre comment fonctionne la société coréenne. Littéralement “Nun” (prononcez “noune”) signifie “oeil”, et “chi” (prononcez “tchi”) est une unité de mesure coréenne. Avoir du “Nun-chi”, c’est donc être capable de mesurer avec les yeux, c’est à dire évaluer en regardant: en d’autre terme comprendre ce qui se passe en silence et en déduire ce que l’on doit faire.

Beaucoup de messages sont communiqués en silence en Corée: on préfère écrire plutôt que parler, il suffit de voir à quel point les Coréens préfèrent le texto à la messagerie vocale; on préfère comprendre en observant plutôt que demander, de même qu’on préfère se faire comprendre implicitement plutôt que s’exprimer. D’où l’importance d’avoir du nun-chi, sorte d’intelligence émotionnelle à la coréenne, afin de ne pas passer à côté de ce qui régit l’essentiel des relations sociales entre Coréens.

Si bien que dire de quelqu’un qu’il n’a pas de Nun-chi (“Nun-chi oepda”, “눈치 없다”) fait partie des commentaires péjoratifs, insultants même, car on insinue que la personne désignée manque de cette qualité essentielle pour se mouvoir correctement dans la société coréenne. Car les informations que l’on capte grâce au Nun-chi et qui nous permettent de ne pas commettre d’impair n’émanent pas seulement de la simple observation des autres, mais de la mise en perspective de l’humeur des autres avec les rapports hiérarchiques qui régissent la société coréenne.

On ne s’attardera pas ici à faire une description exhaustive de ces rapports hiérarchiques complexes, mais on pourra les résumer à trois principes fondamentaux: respect de l’âge, respect de l’homme (du mari en particulier), respect du lettré. Le Nun-chi, c’est ce qui permet à chacun de se comporter conformément à son rang hiérarchique en donnant, sans y être explicitement contraint, ou en recevant, sans avoir à le demander ouvertement, un traitement approprié. Bref, c’est un peu le lubrifiant qui permet de faire fonctionner sans à-coup, un ordre social rigide. Ne pas avoir de Nun-chi, c’est donc non seulement manquer de sensibilité, de perspicacité, mais c’est aussi d’une certaine façon manquer d’éducation, ou bien faire preuve d’insolence.

Concrètement, manquer de Nun-chi c’est par exemple faire comme mon interlocuteur d’une PME coréenne lors de notre dernière réunion chez eux. Celui-ci m’accueillit dans la grande salle de réunion et puisque je m’asseyais en coin de table, lui choisit de se mettre à côté de moi, à la place normalement dédiée au “Chairman”. Sauf que le Chairman en question décida de se joindre à nous une heure plus tard: quand il entra dans la salle de réunion et vit son subalterne assis à la place qui lui revenait de droit, son sang ne fit qu’un tour et il réprimanda devant moi ce collaborateur qui décidément, manquait sérieusement de Nun-chi.

Dans la sphère privée également le Nun-chi est un élément essentiel des relations appaisées. C’est sur ce critère que de nombreux beaux-parents jugeront leur belle-fille: dans quelle mesure celle-ci sera capable de devancer leurs attentes, de s’assurer de leur confort sans qu’ils aient à le réclamer, par exemple lorsqu’ils sont tous réunis pour un repas de famille. Dire de leur belle-fille qu’elle a le Nun-chi rapide (“Nun-chi pareuda” – “눈치 빠르다”) fait partie des meilleures compliments que les beaux-parents puissent lui faire.

Si le Nun-chi a tant d’importance, c’est parce que plus le Coréen est d’un rang hiérarchique élevé, plus ce qui importe est qu’il ne perde pas la face. Tenir son rang est avant tout histoire d’apparences et notamment de ne pas apparaître en position de demandeur vis-à-vis des autres: d’où l’importance qu’on réponde à ses attentes sans qu’il ait à quémander, bref d’être en présence de personnes dont le Nun-chi est affuté.

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Copier-coller

Toute l’histoire du développement économique de la Corée résumée en un cliché: au premier plan une grosse berline qui ressemble à s’y méprendre à un modèle allemand mais qui en fait est “Made in Korea” du fait d’un accord entre les constructeurs Ssangyong, et Mercedes. Longtemps, le consommateur coréen n’a eu accès qu’à cette pâle copie de la berline allemande, l’originale étant réservée à une infime élite tant ses tarifs étaient prohibitifs.

Qu’importe: on racontait au conducteur coréen que la copie était (presque) aussi bien que l’originale, avec l’avantage d’être moins chère et surtout d’être fabriquée en Corée. Acheter une Ssangyong, c’était donc faire preuve de patriotisme et tant pis si cette berline coréenne était moins jolie ou fiable que l’Allemande: encore faudrait-il en voir sur les routes pour pouvoir s’en rendre compte.

Depuis le début du millénaire, les choses ont changé: les berlines de luxe allemandes ou japonaises sont légions dans les rues de Séoul depuis que le pays a progressivement ouvert ses frontières aux constructeurs étrangers. Mais entre temps les constructeurs coréens ont pu grandir grâce à leur chasse gardée que représentait le marché coréen. C’est parce que l’industrie automobile coréenne fut protégée de la concurrence internationale qu’elle put se développer rapidement et aujourd’hui, proposer des berlines qui n’ont plus rien à envier à celles de leurs concurrents européens, japonais ou américains.

Copier ce qui marche, tester sur son marché pour s’améliorer, puis égaler, voire dépasser l’original. Est-ce parce que le succès économique de la Corée commence par la copie que personne ne s’étonne ici que n’importe quelle devanture reprenne librement n’importe quel logo? Ainsi ce PC-Room (Internet Café) en arrière plan de la photo, baptisé Apple.

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Présidentielles coréennes: le billard à trois bandes

De g. à d.: Park Geun-hye, Moon Jae-in, Ahn Cheol-su

 

L’élection présidentielle en Corée, c’est un mélange des modes de scrutin français et américain. Comme aux Etats-Unis le Président est élu lors d’un scrutin à un seul tour, mais comme en France il est élu au suffrage direct. Comme aux Etats-Unis, le Président est issu de l’un des deux principaux partis de gouvernement, le New Frontier Party plutôt à droite et actuellement au pouvoir, ou le Democratic United Party plutôt à gauche, mais comme en France il arrive souvent qu’un troisième homme vienne jouer les trouble-fête dans le traditionnel duel bi-partisan.

En 1987, lors des premières élections démocratiques suite aux révoltes étudiantes contre trois décennies de dictature, le candidat du pouvoir en place, Roh Tae-woo, eut la chance d’avoir face à lui une opposition divisée entre les partisans de Kim Young-sam, et ceux de Kim Dae-jung. Roh remporta les élections avec 36% des voix, contre 27% pour Kim Young-sam et 26% pour Kim Dae-jung, alors que si les opposants s’étaient entendus, l’alternance aurait joué en leur faveur.

25 ans plus tard, les acteurs et les enjeux ont changé mais la configuration des élections de décembre prochain rappelle celle de 1987, avec trois candidats en présence dont on ne peut présager lequel sortira victorieux. Park Geun-hye est la candidate de la majorité sortante conservatrice. Elle apporte un vent de nouveauté car elle serait la première femme Présidente, mais elle rappelle aussi le passé autoritaire qu’a connu le pays, étant la fille de Park Chung-hee, sous le règne duquel la Corée connut son décollage économique mais également une répression sanglante de l’opposition.

En face, le parti d’opposition a élu son candidat en la personne de Moon Jae-in, avocat pour les droits de l’Homme entré en politique lors de la campagne présidentielle victorieuse de Roh Moo-hyun en 2002, dont il fut nommé directeur de Cabinet.  Moon est le profil classique de l’homme politique du parti d’opposition: lutte contre la dictature jusqu’à la fin des années 80, puis exercice du pouvoir avec son lot habituel d’espoirs et de déceptions suscités auprès d’un électorat de plus en plus mature face à la vie démocratique et donc lucide, voire résigné, quant aux effets de l’alternance politique.

C’est dans ce contexte qu’arrive Ahn Cheol-su. En plus d’être un entrepreneur high-tech à succès puis professeur à l’université et philanthrope, c’est parce que Ahn est nouveau venu en politique, en dehors des appareils de partis, qu’il plaît. Son discours, populiste pour les uns, novateur pour les autres, est axé sur la lutte contre les inégalités économiques et sociales qu’a provoqué le modèle de développement coréen. Son jugement est particulièrement sévère à l’encontre de l’archi-domination par les Chaebols, les conglomérats coréens, de l’économie coréenne: néfaste à l’innovation, à la libre concurrence, et à l’équité sociale selon lui.

Pour les deux opposants au parti au pouvoir que sont Moon et Ahn, la problématique est aussi simple que la solution difficile à trouver: si l’un ne se désiste pas en faveur de l’autre, alors le scénario de 1987 se reproduira. Les sondages le confirment qui créditent dans ce cas de figure d’une victoire de Park Geun-hye avec 40% des voix. Il faut donc trouver un accord pour unifier ces deux candidatures mais lequel? Si Ahn a longtemps nettement devancé Moon dans les sondages, ce dernier a rattrapé son retard, au point de faire jeu égal aujourd’hui. Les partisans de Moon avancent un autre argument en faveur du désistement de Ahn: celui-ci n’a pas de parti politique, sans l’appuis et les ressources duquel il serait impossible de mener une campagne victorieuse. Dès lors qu’il n’est pas envisageable pour le Democratic United Party de lâcher Moon, son candidat démocratiquement élu lors de primaires pour un candidat indépendant, il ne resterait plus qu’à Ahn de laisser le champ libre à Moon.

Evidemment, le raisonnement de Ahn est exactement inverse: c’est justement parce que Ahn est un candidat indépendant, libre de toutes contraintes liées aux querelles politiciennes, qu’il est en phase avec l’électorat coréen. D’ailleurs les sympathisants de Ahn transcendent les clivages politiques traditionnels pour rassembler une partie de l’électorat conservateur qui retournerait vite du côté de Park s’il advenait que Ahn intègre le parti d’opposition ou s’efface en faveur de Moon.

Pour Park, une configuration à trois est évidemment la plus confortable. Dans le cas d’une candidature unifiée de l’opposition, elle est donnée perdante quel que soit le candidat. Mais c’est une femme politique redoutable. Surtout, les écarts sont si serrés que rien n’est joué. C’est pourquoi elle s’efforce d’adopter une posture rassembleuse: en tapant aussi sur les Chaebols (le “Chaebol-bashing” est une tendance à la mode lors des campagnes électorales mais s’éteint rapidement par la suite), et en prenant ses distances par rapport à l’héritage autoritaire de son père.

 

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Joseph, son béret, sa baguette

Les clichés ont la peau dure, notamment celle du Français dans l’imaginaire du Coréen et sûrement de beaucoup d’autres étrangers, fidèlement représenté par “Joseph” dans cette affiche publicitaire pour un médicament antihistaminique antiallergique mondialement connu.

Joseph donc, la cinquantaine, se voit orné d’un béret, tenant un sac de baguettes à la main. On parierait sa fortune que l’allergie de Joseph ne l’empêchera pas d’aller se siffler un ballon de rouge avant de rejoindre bobonne.

Il y a deux enseignements à tirer de cette publicité. L’un, réjouissant, est que de tous les pays qui composent l’Europe, ce soit la France qui fût choisie par les publicitaires coréens pour représenter le vieux continent. L’autre enseignement, moins plaisant, vient de la comparaison entre notre représentant français et ceux des autres pays figurant sur cette affiche. L’Américain (James), la Chinoise (Meïlan) et la Russe (Anna) paraissent outrageusement plus jeunes et dynamiques que notre malheureux Joseph: clairement l’allergie n’est qu’une contrariété passagère dans leurs courses vers un avenir plein de promesses et de réussites, alors que pour Joseph, cette allergie semble une contrariété de plus dans une vie rythmée par la diminution de sa pension de retraite…

 

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