Si la santé d’un pays se mesure à l’état de ses finances publiques ou au succès international que rencontrent ses produits électroniques ou culturels, alors la Corée va très bien, merci pour elle. Si par contre, on doit la juger à sa capacité à prendre soin des catégories les plus faibles de sa population, notamment les personnes âgées, alors la Corée va très mal.
En 2010, 4 378 personnes âgées des plus de 65 ans se donnaient la mort selon les statistiques nationales coréennes, soit une personne toutes les deux heures. Un tiers des personnes qui se suicident en Corée a plus de 65 ans. Les seniors contribuent ainsi généreusement au triste record du taux de suicide le plus élevé que détient la Corée au sein des pays de l’OCDE. Et les choses ne s’arrangent pas avec l’âge: le taux de suicide des plus de 75 ans est deux fois plus élevés que celui de la tranche d’âge des 65-74 ans. Après 75 ans, ils sont 160 pour 100 000 à se donner la mort, soit 8 fois plus que la moyenne des pays de l’OCDE.
On trouve un dénominateur commun aux raisons multiples qui conduisent ces personnes âgées à préférer la mort: la pauvreté. Alors qu’en France on s’inquiète, à raison, que 10,4% des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté, cette proportion est de 50% en Corée. Si une personne âgée sur deux est donc considérée comme pauvre c’est parce que l’Etat Providence est pingre ici: certes quelques professions sont correctement traitées, telles que la fonction publique ou l’éducation, mais pour 70% des retraités la pension s’élèvera à quelques 70 EUR par mois.
Il n’existe pas 36 solutions pour échapper à cette pauvreté programmée. La première est d’avoir la prévoyance et surtout les moyens d’épargner pour ses vieux jours. Ce à quoi s’emploient tous les Coréens sans exception, mais dans un pays où le coût de la vie est équivalent à celui de n’importe quel autre pays industrialisé, où le coût de l’éducation est le plus élevé des pays de l’OCDE, et où les couvertures maladies sont aussi succinctes que les indemnités de retraite, épargner pour sa retraite revêt souvent une importance relative.
Autre solution: compter sur la solidarité familiale. Mais ce qui marchait autrefois grâce aux confucianisme et à l’entraide informelle naturellement présente dans un contexte de misère généralisée, marche de moins en moins. Aujourd’hui encore, de nombreux enfants, une fois embauchés, versent régulièrement une partie de leur salaire à leurs parents, par piété filiale et pour les aider financièrement. Mais quelques années plus tard, une fois mariés et eux-mêmes parents, les exigences financières du foyer et surtout de l’éducation des enfants mettront un terme à leur générosité.
Dernière solution: écourter au maximum les “vieux jours”. C’est pourquoi continuer de travailler le plus tard possible est considéré comme une chance par la plupart des Coréens qui travaillent en moyenne jusque l’âge de 70 ans. Ce souci accapare les esprits à partir de la cinquantaine, y compris ceux des cadres supérieurs qui redoutent le jour où, moins performants, ils seront mis au placard par le management au profit des générations suivantes. Au point que lorsque je raconte qu’en France les travailleurs manifestent souvent sur l’âge de départ en retraite, de nombreux Coréens pensent que leur motivation est de reculer l’âge de départ légal pour travailler plus longtemps.
L’ultime moyen d’écourter ses vieux jours, c’est donc d’y mettre fin: comme ce couple de retraités qui s’est défenestré la semaine dernière, dans la résidence de ma cousine. Comme ce grand-père, vivant seul dans un studio misérable, et qui s’est donné la mort pour que son fils n’ait pas à supporter les frais médicaux liés à sa maladie. Ce drame a fait l’objet d’un court article de journal, tant ce type de fait divers est devenu courant dans un pays qui parfois donne l’impression d’avancer trop vite pour que tous arrivent à suivre.
Thoughtful piece, paints Koreas economic success in more contrasting colors. Thank you, Mr Joo.
Thank you Mr. Schumpeter, and Happy Holidays to you and your family!