Adultère et prostitution

Deux faits divers illustrent à quel point le rapport des Coréens aux affaires de moeurs est à l’inverse du nôtre.

Le premier relate l’histoire adultérine de deux policiers d’un même commissariat de la ville d’Incheon. Parti pour un 5 à 7 dans un motel des environs à bord d’un véhicule banalisé, ce couple eut la malchance d’être repéré par un fonctionnaire de la police des polices qui le suivit à la trace jusque leur motel. Lorsque le fonctionnaire appela nos deux amants depuis la réception pour leur demander des descendre, ceux-ci préférèrent tenter de prendre la fuite en sautant de la fenêtre de leur chambre qui se situait au 4ème étage. Leurs jours ne sont pas en danger mais les deux policiers sont aujourd’hui hospitalisés pour de graves blessures.

Si nos deux amants ont choisi une solution si extrême, c’est parce que l’adultère est toujours considéré en Corée comme un crime passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans de prisons. Certes, cela fait belle lurette que dans les faits l’adultère n’est pratiquement plus réprimé, mais le fait même que ce texte existe toujours dans le code pénal coréen illustre à quel point l’adultère est mal vu par la société coréenne. Et dans le cas de nos deux malheureux policiers, malgré certaines critiques sur l’excès de zèle de la police des polices, celle-ci a défendu son fonctionnaire en argumentant que l’adultère portait atteinte à la dignité de la fonction publique et devait donc être réprimé.

Pourtant la Corée est l’un des pays où il n’a jamais été aussi facile pour un homme de tromper sa femme. Mais pour cela, il faut payer. Non pas les services d’une prostituée aux abords d’une route traversant un quartier déserté, mais une soirée dans l’un des établissements connus sous le nom de Room Salon. Un Room Salon c’est la version coréenne des maisons closes. On y va entre collègues de bureau ou en compagnie d’un client pour s’installer dans des salles privatisées où en guise de divertissements sont offerts karaoké, sélection de boissons fortement alcoolisées, et sélection de filles. Récemment des room salons pour femmes ont fait leur apparition, mais nous sommes en Corée, pays extrêmement machiste,  et la plupart de ces lieux de plaisirs pour adultes sont à l’attention des hommes.

En théorie, rien n’empêche les clients de passer une soirée à discuter, boire et chanter sagement en charmante compagnie pour ensuite rejoindre le lit conjugal. Mais le rôle des filles est évidemment de pousser à la consommation. D’alcool d’abord, puis forcément de sexe. Et si l’endroit n’est pas un baisodrome en soit, la prostituée et son client pourront se rendre dans l’un des nombreux “Love motel” avoisinants pour concrétiser la passe.

Le tout alors que la prostitution a été interdite par la loi en 2004 avec depuis, quelques efforts du gouvernement pour fermer certains Room Salons. Mais pour se rendre compte de l’ampleur de ce type de prostitution, il suffit de prendre un air innocent et demander à n’importe groupe d’hommes adultes en présence de femmes (ou mieux de leurs femmes) ce que c’est que ces Room Salons dont on parle souvent ici et là. Leurs regards et silence gênés trahiront sans ambiguïté leurs propres actes d’infidélités dans ces maisons closes à la coréenne.

Il suffit également de s’en référer à ce deuxième fait divers datant d’il y a quelques jours: la mise au grand jour de l’un des principaux Room Salon du quartier de Gangnam “Yesterday, Today, Tomorrow” qui occupait les trois étages en sous-sol d’un hotel: les clients commençaient leurs soirées dans la partie Room Salon, puis étaient guidés par le personnel de l’établissement aux étages supérieurs afin de terminer la soirée dans l’une des chambres de l’hotel dont les propriétaires étaient les mêmes que ceux du Room Salon. Ce dispositif “all in one” employait 500 prostituées et aurait permis la réalisation de 88,000 passes en deux ans. A cette échelle on doute fort que cette “découverte” soit le fruit d’intenses investigations de la part des autorités, mais plutôt celui de la détérioration des relations entre les propriétaires de ce lieu et quelques fonctionnaires qu’ils n’ont pas dû suffisamment arroser.

Vous imaginez donc la circonspection avec laquelle j’accueille les commentaires caustiques des Coréens sur le caractère volage des maris Français. On évoque les vies sentimentales tumultueuses des différents Présidents français d’un air amusé, mais implicitement on suggère qu’en Corée les leaders ont un sens moral plus affirmé. On me le fait savoir plus ouvertement parfois, en m’affirmant qu’il serait inconcevable qu’en Corée un leader politique ou un CEO de grand groupe coréen soit divorcé : “comment pourrait-il diriger un pays ou une entreprise, alors qu’il n’arrive même pas à gérer son ménage?”

Certes on surprendra moins de Coréens en flagrant délit d’adultère avec un amant consentant. Mais on se demandera si tromper sa femme en achetant le corps d’une autre n’est pas, à bien des égards, pire.

 

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Raid aérien imaginaire

Je suis à 500m de mon bureau lorsqu’au dernier carrefour, une dame en vague uniforme se tient au milieu de la chaussée et fait des gestes qui se veulent autoritaires mais qui respirent la panique, pour tenter d’arrêter la circulation chargée d’un jour de semaine à Séoul. Un accident? Une personne âgée en difficulté au milieu de la chaussée? Une classe de primaire de sortie? J’ignore donc le feu qui pourtant m’indique de passer, et m’arrête à quelques mètres de cette farouche ménagère pour constater que non, rien ne justifie un tel blocage de la circulation.

Le temps de baisser la radio et je constate que des sirènes hurlent au loin, un peu comme celles qui s’exercent à Paris tous les premiers mercredi du mois. Mais ici elles annoncent une menace bien plus tangible qu’en France: celle que constitue la 4ème armée au monde, dont les principales capacités sont amassées à quelques 70km d’ici et avec qui la Corée du Sud est toujours techniquement en guerre. Il faut bien ça pour que Séoul, la ville qui ne s’arrête jamais, s’arrête avec peine le temps de répéter les mesures à prendre en cas d’attaque aérienne.

Je dois dire que l’exercice n’est pas particulièrement rassurant: les dames en charge de faire respecter les consignes de l’exercice sont certes farouches (il faut un certain courage pour tenter d’arrêter la circulation de Séoul à la force de son petit fanion), mais on les imagine mal faire preuve d’autant de motivation en cas d’attaque réelle. Autour de moi, quelques conducteurs font vrombir leur moteur comme s’il s’agissait d’un départ de grand prix de formule 1, trahissant ainsi leur impatience ; certains livreurs passent outre les consignes de notre sympathique ménagère et continuent leur route; au bord de la chaussée, les piétons qui ne peuvent traverser montrent plus d’agacement pour ce temps perdu que de réel intérêt pour un exercice dont ils semblent avoir oublié la justification.

Paradoxalement cet exercice de préparation montre le degré d’impréparation de la population à l’éventualité d’une attaque. Pour les gens du Sud, la menace du Nord a toujours existé. Séoul est tellement proche de la frontière qu’une menace nucléaire en plus ne change pas grand chose à leur situation: en cas de guerre, la capitale subirait de toute façon des pertes énormes. C’est sous cette épée de Damoclès que le pays s’est reconstruit depuis un demi-siècle.

Si bien qu’aujourd’hui les gens ont développé une accoutumance à la menace du Nord: présente vaguement dans l’esprit des gens, un peu plus précisément peut-être lors d’accrochages militaires qui arrivent à fréquence régulière, mais ignorée par le plus grand nombre dans la vie de tous les jours.

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Les médias en Corée: recherche impertinence désespérément

 

En France, je n’aurais sûrement jeté qu’un oeil distrait à la polémique créée par le “Casse-toi riche con” de la une de Libération en référence à la demande par Bernard Arnault de la nationalité belge: coup marketing réussi d’un quotidien engagé qui s’attaque à la première fortune de France, tout en sachant qu’il ne risque pas grand chose vu qu’il joue le beau rôle aux yeux de l’opinion. La routine quoi.

Mais vue de Corée cette polémique prend une saveur particulière. Ici un tel scénario est tout simplement impensable. J’imagine un instant l’un des principaux quotidiens coréens moquer de la sorte la première fortune de Corée, Lee Kun-hee, Chairman du Groupe Samsung et fils du fondateur. Il faudrait alors tout de suite éliminer de ce scénario imaginaire le Joongang-Ilbo, l’un des trois premiers quotidiens nationaux vu qu’il est lié par alliance à la famille Samsung. Pour les deux autres quotidiens, il est d’abord impensable qu’un journaliste daigne proposer une telle une, et surtout pas le rédacteur en chef dont le rôle est de faire semblant de s’occuper de l’indépendance éditoriale du journal tout en s’occupant en réalité de ses intérêts économiques, notamment en tenant en respect les ardeurs d’éventuelles de journalistes un peu fougueux.

Mais imaginons que sur un énorme malentendu, avec en prime la défaillance incroyable de la direction commerciale du journal qui souvent fait autorité sur la rédaction pour bloquer les articles susceptibles de froisser leurs annonceurs, une telle une soit publiée. Heureusement les services de relations presse des Chaebols veilleraient et détecteraient aux aurores ce problème. Il suffirait ensuite d’un simple coup de fil pour que ce dérapage soit, d’une manière ou d’une autre, contrôlé.

J’essaie généralement d’être mesuré dans mes critiques de mon pays d’accueil, mais je dois admettre qu’en ce qui concerne les médias, je ne leur trouve aucune circonstance atténuante: ils sont tout simplement affligeants. Summum de cette médiocrité: la télé. Les Talk shows y sont creux et abrutissants (certes, mon jugement est peut-être injuste dans la mesure où je ne comprends pas la moitié des blagues qui y sont échangées), les feuilletons sont creux et abrutissants (j’aimerais varier les adjectifs mais ces deux-là sont vraiment les plus adaptés). Ils servent surtout de support de “product placement” pour marques de voitures et de faire valoir pour acteurs ou actrices dont je n’arrive pas à m’expliquer comment leur jeu peut s’avérer aussi médiocre à la télé mais sublime sur grand écran.

Enfin comment ne pas évoquer les JT, qui consacrent tous en moyenne un tiers de leur temps d’antenne à évoquer le temps qu’il fait: envoyé spécial dépêché dans un parc de Séoul pour confirmer en direct que oui, il fait soleil et que les enfants profitent du beau temps pour patauger dans les fontaines; hélicoptères réquisitionnés pour survoler les plages et constater que par beau temps, les gens vont effectivement en nombre à la plage. Puis vient la rubrique des faits divers: accidents de la circulation, crimes de droit commun qui sont peu nombreux dans les faits mais tellement couverts par les médias que le Coréen moyen est persuadé de vivre dans l’un des pays les plus dangereux au monde alors que la Corée est sûrement l’un des pays industrialisé les plus sûrs au monde.

Pour autant, balayer d’un revers de main l’intégralité des médias coréens serait injuste. Il faut d’abord réaliser les progrès effectués: les générations qui ont connu la dictature racontent que jusqu’au milieu des années 80, les rédactions des principaux quotidiens recevaient tous les jours par fax les directives pour leur une de la part du ministère de l’intérieur. Et si aujourd’hui encore on sent la collusion entre les principaux groupes de médias, les Chaebols, et les conservateurs, Internet a permis un souffle salutaire de liberté d’impertinence et d’innovation. Aujourd’hui si les médias “mainstream” restent conservateurs, les nouveaux médias constituent un contre-poids non négligeable: le concept de journalisme participatif est d’ailleurs né en Corée à la fin des années 90 avec Ohmynews. Depuis, les réseaux sociaux ont pris le relais et permettent aux Coréens de partager podcasts, vidéos, et autres contenus exprimant plus ou moins librement toute la variété des opinions représentées en Corée.

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Vivre l’enfer de Corée du Nord et s’enfuir

Parler de la Corée du Nord, pays le plus fermé au monde, c’est prendre le risque de se tromper. Mais ne pas en parler lorsqu’on en a l’occasion, c’est ajouter son indifférence aux souffrances sans fin qu’un régime totalitaire inflige à une vingtaine de millions d’hommes et de femmes. Comment donc ne pas en parler après une série de rencontres avec trois Coréens du Nord qui ont réussi à fuir l’enfer de leur pays pour s’installer au Sud? On les appelle talbukjas ici. Ils seraient 24 000 en Corée du Sud et j’ai pu en rencontrer dans le cadre d’un projet auquel j’ai pu contribuer et dont j’espère vous reparler très prochainement.

Ce qui frappe en premier lorsqu’on rencontre des talbukjas, les jeunes surtout, ce sont les séquelles que la malnutrition a laissées sur des corps qui ne demandaient qu’à grandir, mais qui pour les moins chanceux d’entre eux, n’avaient droit qu’à des bouillons de racine ou d’écorce d’arbre lors de la terrible famine que la Corée du Nord a connu dans les années 90. Parmi les trois avec lesquels j’ai pu faire connaissance, un étudiant de 29 ans paraissait en avoir 16, tandis qu’une étudiante de 21 ans paraissait en avoir 14.

Ce qui fait réfléchir ensuite, c’est que les trois talbukjas sont des exemples vivants que l’homme peut vivre longtemps et docilement privé de toute liberté élémentaire, mais pas avec la faim au ventre. C’est cette faim terrible, que peu de gens connaissent aujourd’hui en Europe ou en Corée du Sud qui pousse d’abord l’un des trois talbukjas, et avec lui certainement beaucoup d’autres gens normaux, à envisager de voler, “mais il n’y avait plus rien à voler”, puis finalement le cloue au lit, sans force, même pas celle de soulever sa tête devenue trop lourde pour un corps où il ne reste plus que les os. Mais de cette faim naît également l’énergie du désespoir qui permet à certains Coréens du Nord de traverser la frontière au mépris de la mort et du sentiment de trahison de leur patrie.

Car c’est paradoxal mais ce sentiment de trahison existe et montre l’étendue de l’emprise du régime de la dynastie Kim sur son peuple. A écouter ces témoignages on comprend qu’aucun autre régime au monde n’a poussé aussi loin le contrôle total du corps et de l’esprit de son peuple, si ce n’est celui imaginé par Orwell dans 1984. Car pour la grande majorité des Coréens du Nord, celle qui vit dans la relative indifférence du régime, ni particulierement persécutée, ni particulièrement choyée, celle donc, qui se contente de souffrir silencieusement de la faim et de l’absence totale de liberté, cette population là semble rester incroyablement fidèle au régime. Au point que parmi les trois talbukjas rencontrés, l’un raconte avoir traversé la frontière avec la Chine parce qu’il avait faim, mais en culpabilisant de trahir ainsi son pays, les siens, ses dirigeants, bref incapable de réaliser que c’est ce régime qui était à l’origine de toutes ses souffrances. A tel point qu’il pensait rester en Chine le temps de manger puis revenir au paradis socialiste une fois rassasié.

L’exemple de l’étudiante de 21 ans est encore plus révélateur de l’immense réussite du régime dans son entreprise d’endoctrinement absolu. Lorsqu’on rencontre cette charmante étudiante au sourire pétillant, on imagine une enfance sans histoire dans une chambre remplie de posters Hello Kitty. Point de Hello Kitty dans son village de Corée du Nord, mais l’étudiante raconte une enfance sans histoire dans un pays qu’elle aimait et pour la défense duquel elle mettait toute sa bonne volonté. Elle l’admettra elle-même sans sourciller: lorsqu’un voisin du village réapparait après une longue absence avec de nouveaux habits, elle le soupçonne d’avoir fait un tour en Chine et va aussitôt le dénoncer aux autorités locales. C’est en l’écoutant qu’on commence à comprendre l’extrême perversité du régime nord-coréen où même les individus les plus inoffensifs deviennent les rouages d’un système terrifiant où chacun est le délateur potentiel de l’autre.

Lorsqu’avec les difficultés économiques grandissantes, sa mère évoque vaguement l’idée de s’enfuir en Chine, elle s’y oppose avec vigueur et tente de “rééduquer sa mère”. Cette dernière aura le dernier mot en prétextant une visite chez une tante habitant au nord du pays, pour entraîner sa fille dans sa fuite du pays. Il aura fallu à cette étudiante deux ans pour prendre goût au monde libre et réaliser l’horreur de la Corée du Nord, où elle espère retourner un jour en tant qu’avocate des Droits de l’Homme.

Après ces témoignages, on ne peut être que pessimiste sur la capacité des Coréens du Nord à se soulever pour renverser le régime tyrannique dans lequel ils vivent depuis un demi-siècle. Le fondateur d’une ONG qui aide les réfugiés nord-coréens résume bien la stratégie du régime : choyer les militaires et les 3 millions d’élites privilégiées vivant à Pyongyang et seules susceptibles de soulèvement. “Seules ces deux catégories comptent pour le régime, la vingtaine de millions de Coréens du Nord restante, trop faible et docile pourrait être entièrement laissée à l’abandon qu’elle crèverait silencieusement sans mettre en danger le maintien du régime.”

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