En France, je n’aurais sûrement jeté qu’un oeil distrait à la polémique créée par le “Casse-toi riche con” de la une de Libération en référence à la demande par Bernard Arnault de la nationalité belge: coup marketing réussi d’un quotidien engagé qui s’attaque à la première fortune de France, tout en sachant qu’il ne risque pas grand chose vu qu’il joue le beau rôle aux yeux de l’opinion. La routine quoi.
Mais vue de Corée cette polémique prend une saveur particulière. Ici un tel scénario est tout simplement impensable. J’imagine un instant l’un des principaux quotidiens coréens moquer de la sorte la première fortune de Corée, Lee Kun-hee, Chairman du Groupe Samsung et fils du fondateur. Il faudrait alors tout de suite éliminer de ce scénario imaginaire le Joongang-Ilbo, l’un des trois premiers quotidiens nationaux vu qu’il est lié par alliance à la famille Samsung. Pour les deux autres quotidiens, il est d’abord impensable qu’un journaliste daigne proposer une telle une, et surtout pas le rédacteur en chef dont le rôle est de faire semblant de s’occuper de l’indépendance éditoriale du journal tout en s’occupant en réalité de ses intérêts économiques, notamment en tenant en respect les ardeurs d’éventuelles de journalistes un peu fougueux.
Mais imaginons que sur un énorme malentendu, avec en prime la défaillance incroyable de la direction commerciale du journal qui souvent fait autorité sur la rédaction pour bloquer les articles susceptibles de froisser leurs annonceurs, une telle une soit publiée. Heureusement les services de relations presse des Chaebols veilleraient et détecteraient aux aurores ce problème. Il suffirait ensuite d’un simple coup de fil pour que ce dérapage soit, d’une manière ou d’une autre, contrôlé.
J’essaie généralement d’être mesuré dans mes critiques de mon pays d’accueil, mais je dois admettre qu’en ce qui concerne les médias, je ne leur trouve aucune circonstance atténuante: ils sont tout simplement affligeants. Summum de cette médiocrité: la télé. Les Talk shows y sont creux et abrutissants (certes, mon jugement est peut-être injuste dans la mesure où je ne comprends pas la moitié des blagues qui y sont échangées), les feuilletons sont creux et abrutissants (j’aimerais varier les adjectifs mais ces deux-là sont vraiment les plus adaptés). Ils servent surtout de support de “product placement” pour marques de voitures et de faire valoir pour acteurs ou actrices dont je n’arrive pas à m’expliquer comment leur jeu peut s’avérer aussi médiocre à la télé mais sublime sur grand écran.
Enfin comment ne pas évoquer les JT, qui consacrent tous en moyenne un tiers de leur temps d’antenne à évoquer le temps qu’il fait: envoyé spécial dépêché dans un parc de Séoul pour confirmer en direct que oui, il fait soleil et que les enfants profitent du beau temps pour patauger dans les fontaines; hélicoptères réquisitionnés pour survoler les plages et constater que par beau temps, les gens vont effectivement en nombre à la plage. Puis vient la rubrique des faits divers: accidents de la circulation, crimes de droit commun qui sont peu nombreux dans les faits mais tellement couverts par les médias que le Coréen moyen est persuadé de vivre dans l’un des pays les plus dangereux au monde alors que la Corée est sûrement l’un des pays industrialisé les plus sûrs au monde.
Pour autant, balayer d’un revers de main l’intégralité des médias coréens serait injuste. Il faut d’abord réaliser les progrès effectués: les générations qui ont connu la dictature racontent que jusqu’au milieu des années 80, les rédactions des principaux quotidiens recevaient tous les jours par fax les directives pour leur une de la part du ministère de l’intérieur. Et si aujourd’hui encore on sent la collusion entre les principaux groupes de médias, les Chaebols, et les conservateurs, Internet a permis un souffle salutaire de liberté d’impertinence et d’innovation. Aujourd’hui si les médias “mainstream” restent conservateurs, les nouveaux médias constituent un contre-poids non négligeable: le concept de journalisme participatif est d’ailleurs né en Corée à la fin des années 90 avec Ohmynews. Depuis, les réseaux sociaux ont pris le relais et permettent aux Coréens de partager podcasts, vidéos, et autres contenus exprimant plus ou moins librement toute la variété des opinions représentées en Corée.
Bonjour,
Je trouve ce blog super intéressant, même si je n’écris que maintenant. Je suis déjà allé en Corée du sud, mais je ne me rendais pas compte de tout ça (trop jeune).
Est-ce qu’il a certaines chaînes de télé par exemple qui font exception et qui diffusent des séries plus recherchées (genre the wire en Corée) que les habituels trio amoureux : genre le prince charmant riche bien entendu qui va sortir de sa misère la pauvre cendrillon en laissant tomber la peste, ou des reportages plus critiques sur la société? Ou c’est vraiment tout à travers les réseaux sociaux? Ce serait censuré direct sinon?
Désolée pour toutes ces questions.
Merci encore pour toutes ces infos.
Bonjour Marion
Merci pour votre commentaire. J’imagine qu’il existe quand même dans la masse énorme d’émissions médiocres, quelques-unes de qualité… Mais je vous avouerai que je ne passerai pas pas mes heures perdues devant le petit écran pour essayer d’en trouver!
Je ne pense pas que ça soit la censure qui soit la cause principale de cette situation: certes, il arrive que les médias s’autocensurent pour ne pas froisser les sensibilités de tel ou tel annonceur. Mais si les programmes sont si homogènement nuls c’est parce que les intérêts commerciaux sont excessivement privilégiés, au détriment de la créativité et du devoir d’information ou de pédagogie qu’il me semble, les médias devraient avoir.
Bonjour,
Merci beaucoup pour cette réponse. Je me souviens de toutes les publicités dans le métro, mais je n’avais pas du tout vu à quel point cela s’étendait aux médias. Après je n’y ai passé que mes vacances. C’est quand même dommage, même si je pense que cela arrive dans tous les pays, mais à des degrés très différents.
Bonne journée.
“Aujourd’hui si les médias “mainstream” restent conservateurs”
en quoi le conservatisme serait-il mauvais a priori, et le journalisme “progressiste” meilleur parce qu’impertinent?
je note que le nouveau moralisme, qui plus est associé désormais au pouvoir de la Loi, règne dans les journaux dits “progressistes” et/ou impertinents.
Mais comme il est de bon ton de hurler avec les impertinents et les gentils progressistes, tout commentaire un peu critique sera généralement dégommé par un argument ad hominem du type “réac'”, “facho” , bref des no-brainers…
J’ai dû mal me faire comprendre: ma critique ne porte pas sur l’idéologie conservatrice, mais sur le manque de pluralité dans les principaux médias coréens. Imaginez qu’en France tous les quotidiens aient la même orientation politique, qu’elle soit de gauche ou de droite: c’est ce manque de diversité que je critique, que les médias coréens ne soient pas représentatifs de la diversité des opinions des Coréens.