Qu’est-ce que ça évoque pour nous Parisiens le quartier de la Défense ? Sûrement quelque chose proche du métro-boulot-dodo; une jungle de béton impersonnelle et lugubre où transitent tous les jours des dizaines de milliers de costards-cravates; le terminus de la ligne 1 du métro; le triangle des Bermudes des automobilistes qui s’ils ne se tuent pas dans un accident boulevard circulaire, se perdent dans les méandres sous-terrains du quartier.
Mais sortez ce quartier de son contexte parisien et ré-admirez son paysage: ces grands espaces piétons, ces buildings à l’architecture improbable, ces grandes surfaces vitrées. Rajoutez en arrière-plan quelques figurants se faisant l’accolade fraternelle, puis au premier plan une jolie créature court vêtue brandissant un slogan. Vous obtenez alors le décors rêvé pour la pub d’une carte de crédit à la consommation coréenne.
75 000 dollars: c’est ce que coûte en moyenne un mariage ici en Corée. A ce prix là on s’attend à une cérémonie somptueuse suivie d’un dîner mémorable et d’une soirée enflammée jusqu’au bout de la nuit dans un cadre magique, le tout laissant un souvenir impérissable dans la mémoire de chaque convive. Mais ceux qui ont fait l’expérience d’une cérémonie de mariage coréen vous raconteront quelque chose de radicalement différent. Ici, le mariage c’est circulez y’a rien à voir.
D’abord parce que cette cérémonie de mariage reste souvent l’affaire des parents plus que celle des mariés. Il n’est d’ailleurs pas rare que les couples se forment par l’entremise des parents respectifs. Et même si tel n’est pas le cas, ils disposent d’un droit de veto absolu, souvent exercé en fonction de critères de sélection d’un pragmatisme frôlant le cynisme.
L’évaluation des parents se résument généralement à trois questions essentielles : quelles études et quel métier ? Lui doit être magistrat, avocat, médecin ou cadre d’un chaebol de préférence, tandis qu’il serait bien qu’elle soit institutrice. Que font les parents ? Autrement dit, sont-ils d’un rang social équivalent? Car ça ferait très mauvais genre d’annoncer à son entourage qu’on a marié son enfant à un rejeton de prolétaire. Enfin, quel patrimoine? La question est essentielle car il est de bon ton qu’en guise de cadeau de mariage, les parents du marié financent l’appartement où s’installera le couple une fois marié (location des premières années pour les plus modestes, achat pur et simple pour ceux qui peuvent), auquel cas le cadeau des parents de la mariée se doit d’être l’ensemble du mobilier, de la vaisselle et de l’équipement électroménager dudit appartement. D’où le budget total moyen de 75 000 dollars. Cette question du patrimoine est également cruciale parce que dans un pays sans couverture sociale significative, le patrimoine en question sert de retraite et d’assurance maladie aux parents qui à défaut, en appellent aux enfants.
Une fois qu’un(e) candidat(e) disposant du seuil requis de prestige et d’argent est trouvé(e) et qu’un accord est en vue avec la partie adverse, les parents peuvent considérer que leur ultime mission est en passe d’être accomplie. Un mariage réussi est sans aucun doute l’une des plus grandes consécrations des parents dans la mesure où leur réussite sociale et souvent mesurée à l’aune de celle de leurs enfants: leurs études d’abord, leur travail ensuite, leur mariage enfin.
La cérémonie de mariage est donc souvent une occasion majeure pour les parents d’exhiber au plus grand nombre la réussite de leur enfant et donc, la leur. Un maximum d’invités sont ainsi conviés, la plupart amis des parents, qui viennent plus par obligation sociale que dans un esprit de sincère célébration. L’objectif est de se montrer une fois devant les mariés et leurs parents et surtout de passer à la caisse, une vraie caisse installée devant la salle de cérémonie, pour y laisser une enveloppe remplie d’argent.
Le reste est marginal: le cadre est au mieux une salle d’hôtel dont l’impersonnalité rivalise avec le mauvais goût, la nourriture est généralement abjecte, le sermon prononcé par un sombre proche dans un brouhaha général de convives distraits et si peu concernés que la plupart se lèvent de table avant la fin officielle de la cérémonie pour éviter les embouteillages du retour, cérémonie qui de toute façon dure au plus une grosse heure, souvent à l’heure du déjeuner.
lire le billetPour passer commande dans un restaurant à Paris, il suffit de saisir le moment où le serveur arrête de faire semblant de ne pas vous voir pour l’interpeller d’un signe de la main le plus amical possible, puis répondre d’un sourire le plus avenant possible à son hochement de tête qui signifie que c’est son collègue, là-bas quelque part qui s’occupe de votre table. Il ne vous reste alors plus qu’à repérer son collègue là-bas quelque part et recommencer auprès de lui votre entreprise de séduction.
Pour passer commande dans un restaurant à Séoul, il suffit d’appuyer sur le bouton du boîtier collé sur le coin de votre table. Une sonnerie lointaine retentit alors et le numéro de votre table s’affiche sur un écran quelque part près des cuisines. Les serveurs interrompront alors leur activité pour jeter un oeil sur l’écran et celui qui sera à proximité de la table indiquée s’empressera de venir prendre votre commande.
Dans le cas de certains bars, on viendra même directement avec votre commande sans que vous ayez eu à la passer depuis qu’une nouvelle génération de boîtiers (photo ci-dessus), propose trois fonctions: appel serveur, commande bière, et commande soju (la boisson nationale, sorte de vodka allégée). Mieux vaut ne pas avoir le coude négligemment appuyé sur le boîtier au risque d’assister à un défilé de boissons alcoolisées…
Bien sûr l’air suffisant du garçon parisien peut avoir son charme, et bien sûr on ne peut pas imputer l’écart dans niveau de service à la seule bonne volonté des serveurs respectifs. Le coût du travail inférieur en Corée permet sûrement au restaurateur local de mettre plus de serveurs à la disposition de ses clients qu’à Paris. Mais au delà des considérations économiques, l’approche commerciale est différente. En Corée, l’accent est avant tout mis sur le service : c’est sa qualité et surtout son efficacité qui permettront de fidéliser le client, alors qu’en France la qualité du produit prime.
Toujours est-il que pour le businessman ou le touriste coréen de passage à Paris, faire l’expérience du service dans un restaurant est un véritable choc.
lire le billetStand Samsung au CES 2010 (photo cc: joanna8555)
Imaginons un instant qu’en France, Danone, Lagardère, Vivendi et BNP Paribas soient entre les mains d’une même famille, l’un dirigé par le frère de celui qui dirige l’autre, lui-même neveu du président du troisième, etc. Imaginons le poids d’une telle coalition d’annonceurs sur les médias, ou l’influence que pourrait avoir le soutien de ce groupement de mastodontes sur la vie politique. Bien sûr on pourrait arguer que même en France, les intérêts du Medef sont bien représentés lors d’élections, mais imaginons la puissance d’une famille qui détiendrait quelques uns des plus beaux fleurons du CAC 40. Vous mesurerez alors pourquoi les Coréens appellent parfois leur pays « la République de Samsung ».
Lorsqu’en 2007 Apple dévoile son iPhone, tous les fabricants de téléphones mobiles sont pris de court, Samsung compris. L’iPhone commence alors son déploiement systématique à l’international si bien qu’au début 2009 il est en vente à peu près partout dans le monde, excepté quelques pays sous-développés… et la Corée du Sud, pays ayant sûrement le plus d’appétit au monde pour les gadgets IT. La cause du retard ? Une réglementation coréenne obligeant les fabricants de smartphones à offrir un système d’exploitation compatible avec le standard local WIPI. En clair, la nécessité de développer un nouveau logiciel spécifique à la Corée, une corvée à laquelle ni Apple, ni RIM, la société fabricant les Blackberry ne s’emploiera.
Cette obligation disparaît en 2009 et les Coréens découvriront le iPhone avec deux ans de retard sur le reste du monde. Le WIPI disparaît mais les tracasseries administratives subsistent pour Apple et KT, l’opérateur mobile partenaire, entre convocations devant commissions parlementaires enquêtant sur son service après-vente ou lenteur administrative à délivrer les autorisations : l’Iphone 4 sort lui aussi avec quelques mois de retard sur les autres pays, en septembre 2010, soit deux mois après le lancement du Samsung Galaxy S en Corée. L’iPad sortira plus tard encore, à Noël 2010, alors qu’il est disponible depuis mai 2010 en France.
Bien entendu il n’est prouvé à aucun moment que Samsung soit intervenu pour mettre des bâtons administratifs dans les roues de son concurrent américain. Mais dans un contexte où l’évolution du chiffre d’affaires d’un groupe impacte aussi significativement la situation économique d’un pays entier, ne peut-on pas imaginer que la défense des intérêts de ce groupe devienne cause nationale ?
Il ne s’agit pas uniquement de parts de marché ou de croissance du chiffre d’affaires, mais du poids de ce groupe dans la vie sociale et politique du pays. Car quel média pourrait se mettre à dos un tel hyper-annonceur ? Quel homme politique pourrait s’opposer ouvertement aux intérêts d’un tel géant ?
En 1997, Kim Young-chul, jeune procureur brillant et auréolé pour avoir obtenu la condamnation de l’ancien dictateur Chun Doo-hwan pour corruption, tape dans l’œil du groupe Samsung qui le recrute pour en faire son directeur juridique. Sept ans plus tard, Kim en démissionne, écœuré par les pratiques illégales et non éthiques dont il prétend avoir été le témoin, voire même l’acteur. En 2007 sort son livre témoignage (‘Thinking Samsung’) où il raconte ce qu’est selon lui la face cachée de Samsung. Il accuse notamment le chairman de Samsung Lee Kun-hee et ses lieutenants d’avoir mis de côté l’équivalent de 215 millions de dollars dans des caisses noires. Il accuse également le Groupe d’avoir falsifié certains aspects de sa comptabilité et corrompu une série d’hommes politiques et de magistrats pour obtenir leur silence dans le transfert d’actions à prix avantageux au profit de Lee Jae-yong, fils de Lee Kun-hee, afin de préparer sa succession. Il va même jusqu’à livrer la liste de quelques-uns des magistrats que lui même aurait directement acheté.
A la sortie du livre… Rien. Aucun média ne juge digne d’intérêt ces révélations mettant en cause l’homme le plus riche de Corée dans une affaire de caisses noires de plusieurs centaines de millions de dollars. Aucun article, aucun reportage ne sera consacré à ce livre qui passe inaperçu et il faut attendre le bouche à oreille des lecteurs au travers des Twitter, Facebook et autres médias sociaux locaux, puis la sollicitation de la presse internationale pour que l’opinion publique s’en empare.
Les réactions à ces révélations sont à la mesure de la relation passionnelle que vivent les Coréens avec Samsung, tantôt honnie, tantôt célébrée. L’opinion publique se scinde en deux avec d’une part ceux pour qui Kim Young-chul n’est qu’un traitre crachant sur la main qui l’a nourri pendant dix ans. Dans une société profondément confucéenne, où l’on doit respect et fidélité inconditionnelle à ceux qui nous ont fait grandir, parents, professeurs, et dans une plus large mesure l’entreprise, Samsung apparaît pour certains comme le père que l’un des fils aurait trahi dans l’ingratitude la plus totale. D’autant que la culture de Samsung imprimé par son fondateur impose un contrat moral aux collaborateurs à qui on exige un dévouement sans borne et une fidélité absolue au groupe, en échange des meilleures conditions matérielles de travail du pays, en plus du prestige d’appartenir au fleuron du capitalisme coréen.
Pour d’autres Kim pourrait être l’un des héros d’un roman de Grisham. Avocat dont le sens de l’éthique triomphant n’a d’égal que son courage de se dresser seul contre la toute puissante organisation. Les partisans de l’avocat pointent du doigt Samsung, mais s’interrogent surtout sur l’état de l’indépendance de la classe politique, des médias et de la justice face aux intérêts d’un groupe aussi puissant. Groupe qui nie catégoriquement et en bloc toutes les accusations dont il fait l’objet, qualifiant le livre de Kim Young-chul de pure fiction, puis se contente d’ignorer royalement son ancien directeur juridique.
La justice se penche sur l’affaire et à l’issue d’une enquête hautement médiatisée condamne Lee Kun-hee à trois ans de prisons avec sursis pour fraude fiscale. Mais il sera lavé des accusations de corruption pour faute de preuve. Au printemps 2008, Lee Kun-hee endosse la responsabilité des sujets dont il est reconnu coupable et annonce sa démission du poste de Chairman de Samsung.
Le pot de terre aurait-il éraflé le pot de fer ? A peine : fin 2009, le Président de la République Lee Myung-bak, gracie Lee Kun-hee (aucun lien de parenté entre les deux Lee) au prétexte qu’il est également membre du Comité Olympique et invoquant le rôle majeur que celui-ci pourrait jouer dans la candidature de la ville de Pyeongchang pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2018. En fait, le Comité Olympique suspendra la participation de celui-ci aux commissions pour 5 ans, mais qu’à cela ne tienne, cette parenthèse douloureuse pour le groupe se referme lorsque Lee Kun-hee annonce en mars 2010 son retour au poste de Chairman du Groupe Samsung.
Kim, Young-chul, quant à lui vit reclus à la campagne. Il a certes gagné en notoriété, il compte certes de fervents partisans, mais il semble à jamais banni des cercles d’influence dont il fut autrefois l’un des membres éminents.
Il serait excessif d’avoir une lecture trop manichéenne de ces événements et de se persuader d’un Samsung totalitaire, faisant activement pression sur tous les décideurs politiques et économiques de la Corée pour préserver ses intérêts. Les choses ne se passent sûrement pas aussi grossièrement. Le problème ne réside d’ailleurs pas dans les préméditations supposées de Samsung, mais dans les excès qui émergent automatiquement d’une situation où un seul groupe, voire une seule famille, contrôle à ce point les richesses économiques d’un même pays. Face à une situation où tout le pays sombrerait s’il advenait un malheur à ce groupe, comment ne pas voir la convergence entre les intérêts privés de ce groupe et les intérêts publics, qu’ils soient gérés par des gouvernement de droite ou de gauche ?
Samsung poursuit donc sa route du succès permettant à la Corée de poursuivre sa propre route de la croissance (6,1% en 2010). Lee Kun-hee continue de préparer sa succession au profit de son fils Lee Jae-yong. C’est en tout cas la lecture qu’on peut faire de la nomination fin 2010 de Lee Junior au titre de « President » de Samsung Electronics, rejoignant ainsi le cercle très prisé des 17 autres Présidents de l’entreprise.
Mais la famille regorge de talents et d’ambitions et la nomination de l’une des filles de Lee Kun-hee au poste de President de Samsung Everland, une autre filiale du groupe, prête à confusion. Samsung Everland est en effet la holding de facto du groupe, dont la structure de l’actionnariat est aussi compliquée qu’un jeu de casse-tête coréen. Les médias s’interrogent donc : est-ce un leurre ? Une réelle menace pour le fils, challengé par un père exigeant et souhaitant le mettre en concurrence ? Et l’opinion publique suit les péripéties de cette dynastie, un peu par divertissement comme d’autres liraient des tabloïds, un peu également comme si leur avenir en dépendait.
lire le billetLe siège social de Samsung à Seoul
Quel est le point commun entre le Burj Khalifa, tour la plus haute du monde, le iPhone, smartphone le plus populaire au monde et Piltun-B, la plus grande plateforme off-shore au monde?
La réponse: Samsung, qui est impliqué dans ces trois succès respectifs de leurs secteurs. Sa filiale BTP Samsung C&T a construit le Burj Khalifa, tout comme à peu près toutes les récentes structures qui ont à un moment détenu le record de tour la plus haute du monde (les tours Petronas et Taipei 101). S’agissant de l’iPhone, Samsung Electronics pourrait paraître comme l’un des concurrents majeurs d’Apple. Il l’est sans aucun doute, mais il est également l’un de ses partenaires stratégiques à qui Apple sous-traite un tiers des composants de l’iPhone. Cette année, Samsung prévoit un chiffre d’affaires de 7,8 milliards de dollars de sa relation avec Apple. A se demander si le management de Samsung ne souhaite pas en secret la réussite du produit concurrent. Enfin, la plateforme off-shore Piltun-B est l’oeuvre de Samsung Heavy Industries, deuxième constructeur naval au monde, dont le site de construction de Geoje peut pondre un méga tanker capable de transporter 250 000 m3 de gaz liquide pratiquement tous les mois.
Voilà où en est Samsung aujourd’hui: au sommet de la réussite quel que soit le secteur d’activité où il a choisi de s’investir; sur la plus haute marche du podium de ces grands groupes diversifiés qu’on appelle conglomérats, avec un chiffre d’affaires consolidé de 172,5 milliards de dollars en 2009, soit l’équivalent du PIB de Singapour. Fer de lance du groupe à l’étranger: Samsung Electronics, premier fabricant mondial de dalles LCD pour écrans en tous genres, premier producteur mondial de TV, leader mondial de mémoires DRAM et flash, 2ème fabricant mondial de semiconducteurs derrière Intel et de téléphones mobiles derrière Nokia. Samsung Electronics est devenu en 2009, la première entreprise IT en terme de chiffre d’affaires devant Hewlett Packard. Aujourd’hui, sa capitalisation boursière est supérieure à celles de Sony, Nokia, Toshiba et Panasonic réunis.
Si à l’étranger Samsung est surtout connu pour ses produits électroniques, en Corée cette marque est omniprésente dans tous les aspects de la vie quotidienne. C’est ainsi que les meilleurs produits d’assurance sont proposés par Samsung Life, numéro un du secteur en Corée; les meilleurs appartements sont les résidences “Raemian” made in Samsung C&T; le plus luxueux hotel est le Shilla, propriété du groupe, tout comme le premier réseau d’agences de communication, Cheil ou le premier cabinet de conseil IT, Samsung SDS. Et la liste pourrait s’étendre presque indéfiniment: un pépin de santé? Prenez rendez-vous au Samsung Medical Center; besoin de se changer les idées dans un parc d’attraction? Bienvenu à Samsung Everland; envie de soutenir une équipe de baseball locale? Autant choisir les Samsung Lions, vainqueurs du championnat en 2002, 2005 et 2006… On comprend mieux pourquoi aujourd’hui, Samsung représente 15% du PIB coréen et près de 20% de ses exportations.
Comprendre la réussite de Samsung, c’est comprendre la réussite de la Corée, tant leurs destins sont liés. Celle de Samsung commence en 1938, dans une Corée miséreuse, occupée par le Japon Impérial depuis 1910. Lee Byung-Chull, issu d’une famille de riches propriétaires fonciers du sud de la Corée crée “Samsung Sanghoe” une entreprise de négoce et d’exportation de produits alimentaires essentiellement vers la Chine. L’homme a la fibre entrepreneuriale et malgré les périodes troubles de la Seconde Guerre Mondiale, puis de la guerre de Corée, il multiplie les affaires pour s’aventurer avec succès dans le raffinage de sucre (Cheil Jedang) et le textile (Cheil Mojik), deux produits en forte demande dans la Corée sous-développée de l’époque.
Lee Byung-Chull déclenche ainsi le cercle vertueux de ses affaires. Il faut dire que le contexte est propice: le pays a désespérément besoin d’entrepreneurs et capitaines d’industries doués comme lui pour sortir de la pauvreté, et le pouvoir est prêt à accorder tous les privilèges à quelques pionniers de l’industrie coréenne dont Lee fait partie, au côté des fondateurs des autres conglomérats coréens en devenir tels que Hyundai, LG ou feu-Daewoo. Aucun des secteurs qu’il juge porteur ne lui échappera: textile, pétrochimie, machines-outils, construction navale, puis en 1969, la création de Samsung Electronics et la production des premières TV noir et blanc.
Jusqu’au début des années 80, Samsung n’est un géant qu’en Corée et reste pratiquement inconnu à l’étranger. Les choses changent avec le développement de Samsung Eletronics et lorsqu’en 1983, Lee Byung-Chull décide de se lancer dans la fabrication de semi-conducteurs: un risque majeur vu la taille des investissements nécessaires, mais une décision visionnaire et lumineuse tant ce composant est devenu essentiel dans l’industrie électronique. C’est l’un des tournants majeurs pour Samsung. Aujourd’hui, cette activité est devenue la vache à lait du groupe, autant qu’elle lui a permis d’acquérir un début de notoriété à l’international, grâce à ses innovations dans ce domaine à partir des années 90.
Lee Byung Chull meurt en 1987 et laisse la place à son fils, Lee Kun-Hee, le chairman actuel du groupe Samsung. Celui-ci aurait déjà fortement influencé le père dans la décision de se lancer dans les semi-conducteurs. Il continuera le développement de Samsung en digne héritier, opérant un autre tournant au milieu des années 90: ne supportant pas de voir ses produits relégués au rang de produits anonymes et bons marchés, il opère le tournant du haut de gamme en misant sur la qualité et le design, deux critères jusque là étrangers à la culture du groupe. Selon la légende, il aurait alors ordonné à ses cadres de “tout jeter à part femme et enfants”. Les forces de Samsung Electronics, notamment sa rapidité d’exécution lui permettant de sortir de nouveaux modèles de portables très design et de qualité plus vite que quiconque, trouvent leur genèse dans ce tournant.
Mais la vrai force de Samsung ne sont ni la qualité ni le design de leurs produits, c’est la capacité de Lee et de son état-major à distiller à ses troupes le sens du danger permanent. Car pour le management de Samsung, le danger est plus que jamais présent : Samsung sait peut-être mieux que quiconque sortir le concurrent le plus sérieux à l’iPhone ou à l’iPad, mais il n’est que l’un des suiveurs à qui il manque la capacité d’innovation et de créativité du Californien, qualités indispensables pour survivre dans ce secteur au 21ème siècle. Les deux priorités actuelles de Lee sont donc le rajeunissement du management de l’entreprise et l’investissement massif dans l’innovation, pour laquelle 10,7 milliards de dollars seront consacrés cette année.
Aussi géant qu’apparaisse le groupe Samsung, il ne s’agit que d’une portion, certes majeure, de l’empire du fondateur Lee Byung-Chull, tout comme Lee Kun-hee n’est que le troisième enfant d’une famille de cinq. A l’époque de la mort du fondateur, son empire comprend également Hansol, un conglomérat à part entière présent dans les secteurs de la construction, de la chimie, du papier, ou encore du tourisme. Hansol sera légué à la fille aînée du fondateur. Il y a aussi Shinsegae, acteur majeur de la grande distribution, avec un réseau de grands magasins (Shinsegae Department Store) et d’hypermarchés (E-mart). C’est la benjamine de Lee Byung-Chull qui en prendra le contrôle jusqu’à aujourd’hui même. Il y a enfin CJ Group, dont l’ancêtre est la raffinerie de sucre (Cheil Jedang) des débuts, présent aujourd’hui dans l’agro-alimentaire, la pharmaceutique, la logistique, et les médias, notamment avec la production et la distribution de films. L’ancêtre de CJ Group fut légué au fils aîné du père fondateur, dont le propre fils est actuellement CEO du groupe.
Toutes ces entités sont théoriquement séparées depuis les années 90. Mais toutes ces entités sont réunies par des liens peut-être aussi forts que des liens capitalistiques : ceux d’une même famille dans sa conception coréenne, c’est à dire d’une cellule indivisible, réunie pour le meilleur et pour le pire. Et le pire il y’en eut également au cours de ces décennies de développement effréné.
A suivre.
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