Éclectique exposition, Le bord des mondes, se pose aux frontières de la création dans une sélection à la marge où figurent également des passerelles avec la mode et la beauté.
La commissaire de l’exposition, Rebecca Lamarche-Vadel, a choisi pour devise une phrase d’Eustache Deschamps : « Il ne scet rien qui va hors » et a privilégié des parcours très singuliers d’artistes ou de mouvements collectifs.
-Charlie Le Mindu représente la haute coiffure (ses défilés se sont inscrits sous cette bannière au moment des présentations de haute couture) avec un style fantastique et original. Le cheveu se métamorphose, prend des allures animales ou fantasmagoriques. Dans la mise en scène de ses bestiaires, la lumière noire vient souvent donner un éclairage insolite à ses créatures mutantes coiffées de perruques d‘une autre planète.
-La sape. Au coeur de l’Afrique s’est créé le mouvement de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes, reprenant en acronyme une notion issue du verbe se saper. Si le principe de la sape est sans doute déjà né à l’époque coloniale dans les années 20, c’est dans les années 70 et 80 que le phénomène a pris toute sa mesure aux alentours de Brazzaville et Kinshasa. Mouvement relié aussi à la musique avec notamment Papa Wemba, la sape donne lieu à des manifestations où les jeunes viennent exhiber leurs trésors vestimentaires.
Papa Wemba chante :
« Cette griffe, c’est Torrente,
Cette griffe, c’est Giorgio Armani,
Cette griffe, c’est Daniek Hechter,
Cette griffe, pour ce qui est des chaussures,
C’est J.M. Weston. »
Paris incarne souvent le voyage initiatique où les sapeurs viennent se pourvoir en vêtements de marque, reliques contemporaines qu’ils exhiberont de retour au pays lors d’une « Descente triomphale » pour mériter le titre de sapeur et ajouter le symbole d’une réussite sociale.
-Hiroshi Ishiguro travaille la robotique avec des androïdes qui imitent l’homme dans le mimétisme des gestes (au ralenti) et de la parole (un peu stéréotypée).
-Kenji Kawakami a inventé le concept de chindogu, sorte d’objets improbables dans le droit fil nippon des objets introuvables de Carelman. Avec humour, les chindongu proposent des solutions simples à des problèmes qui n‘existent pas vraiment. Entre art et design se dessine une sacrée dose de fantaisie ainsi la combinaison en plastique pour prendre un bain sans se mouiller.
Anarchie du quotidien, le chindongu n’a pas de visée mercantile, il n’est pas commercialisé. Le stick de beurre pour tartiner, la grenouillère équipée de « balais » pour que le bébé en gigotant frotte le parquet, des geta en croix… autant d’objets délirants dans leur utilité quasi dadaïste.
-Iris van Herpen incarne la création de mode dans sa version la plus avant-gardiste avec ses choix de matériaux souvent high tech et ses collaborations avec des architectes, ingénieurs. Ses modèles sont d’étranges structures quasi apparentées à des alien, avec des matériaux technologiques et coupes futuristes. Le vêtement dans une nouvelle dimension.
Palais de Tokyo Jusqu’au 17 mai.
Photos
Iriss van herpen Micro, 2012 ; Voltage 2013 Biopiracy 2014 ; Capriole, 2011 ; Widerness Embodied, 2013 ; Voltage,2013, Courtesy Iris van Herpen
Iroshi Ishiguro, Kouka 2014 Courtesy de l’artiste et université Osaka
PhotosAndré Morin
Coup de coeur pour la dernière création de Dominique Ropion chez Fréderic Malle. Un jeu de mot joyeux manie le paradoxe et se signe oxymore : Cologne indélébile. Synonyme de fraîcheur zestée agrume, la Cologne s’inscrit dans un temps voué à l’éphémère. Ici le sillage demeure, tout en séduction. La composition s’articule autour d’un accord musqué qui déjà figure dans la merveille qu’est le Géranium pour monsieur, rafraîchi de menthe. Mais ici s’invite un absolu fleur d’oranger et du néroli de Tunisie. La présence de notes agrumes de Calabre, citron et bergamote, pose la signature Cologne.
Frédéric Malle raconte le travail du parfumeur : « Comme souvent chez Dominique Ropion, cet accord est fait de grosses masses assorties de micro dosages de produits inattendus, comme ici une trace d’absolu narcisse qui joue un rôle essentiel dans la sensation de fraîcheur qui se dégage. »
Une sensation de propre avec l’esprit Cologne et les muscs blancs souvent dans ce registre, mais aussi un côté sensuel avec la subtilité exquise de la fleur d’oranger oscillant entre imaginaire virginal et senteur charnelle. Calisson suis devenue. Je succombe à ce trésor absolu qu’est la Cologne indélébile qui rejoint mes favoris.
Faire de l’oeil ? Mettre le rouge à la bouche ? Surréaliste en diable, la créatrice de bijoux Yazbukey signe une collection de maquillage pour Shu Uemura, so Shu Shu.
Un jeu de famille dessine une typologie de quatre femmes. La Sexy Yaz se clame glam et sublime, belle Ottomane. La Smart Lola serait intelligente et réservée, noble britannique. La Romantic Betty n’est pas ugly, mais it girl californienne. Enfin Daring Tina, rédactrice de mode est franco-japonaise.
Pour jouer ? Une collection pharaonique (34 produits) rhabillée de dessins ourlés de cernes noirs mettant en avant une bouche ouverte et un oeil mystérieux aux allures égyptiennes (la « famille » de Yazbukey n’a–t-elle pas régné sur l’Egypte ?). Des Fards à paupières en duo palette font de l’oeil.
Des Rouges à lèvres à la rouge bouche, très Yaz, s’offrent avec gourmandise. Mystère de la pyramide avec Crayon gel eyeliner orné d’un dessin de bouche. Collection de faux cils toujours extravagants.
Huiles démaquillantes décorées d’hiéroglyphes corporels et de coeurs so « cute ».
Et le plus Shu : l’exquise Palette yeux et joues sertie de 8 couleurs.
Une jolie rencontre entre mode et maquillage et aussi les 15 ans d’une fantaisiste créatrice de bijoux.
Chez Colette, Boutiques Shu Uemura et Bon marché.
Sans pareil dans l’histoire de la mode, Jean Paul Gaultier en a bousculé les codes en y introduisant une sacrée dose d’humour. Détournement d’objets, imaginaire débridé, métissage d’influences ethniques, stylistiques, le créateur multiplie les fantaisies dans ses collections. L’exposition qui lui est aujourd’hui consacrée au Grand Palais est un feu d’artifice. Tour du monde de l’Inde aux Esquimaux en passant par la Parisienne, la ronde est menée tambour battant. Du prêt-à-porter lancé en 1976 à aujourd’hui en passant par la haute couture initiée en 1997 se parcourent presque 40 ans de mode et se dessine une vraie puissance de création.
L’odyssée du début s’esquisse avec l’ours Nana, muse et martyr, sur lequel Jean Paul Gaultier fit ses premiers essais de maquillage et de seins coniques. Source d’inspiration et de vocation, Falbalas, le film de Jacques Becker avec Micheline Presle passe en boucle dans un vieux téléviseur. Spectaculaire, l’exposition met en scène toute l’originalité, l’inventivité, mais aussi et surtout la perfection avec laquelle les modèles les plus élaborés sont réalisés (plumes, broderies…).
Le boudoir se dévoile. Les dessous sont dessus, dehors, apparents (le souvenir des combinaisons de la grand-mère avant d’habiller Madonna). Les seins obus, coniques, proéminents, se dressent fièrement. Les robes corsets se lacent et se délacent jusqu’à l’effeuillage et le fétichisme revisité.
À fleur de peau, des références en trompe-l’oeil, des effets visuels, une allure de tatouage pour nouvelles tribus en résille.
Masculin féminin, le souvenir d’une garde-robe pour deux, un imperméable pour deux, singing in the rain. Le pantalon pour elle, le kilt ou la demi jupe pour lui.
Vers un ailleurs s’affirme un métissage multi-culturel. Au loin les Esquimaux, l’Inde, mais aussi les Indiennes à plumes du Far West, Pocahontas, les Rabbins chics (1993),…
L’art s’invite avec les constructivistes et la Russie (1986), Frida Kahlo et le Mexique, Vasarely et les effets optiques, Richard Lindner…
Complice du créateur, Odile Gilbert (auteur des coiffures des défilés) a imaginé les perruques des mannequins de l’exposition. Dans la recomposition d’un « front row » se reconnaissent quelques personnalités de la mode : Suzy Menkes et sa houpe, Grace Coddington et sa rousse crinière, Franca Sozzani et sa blondeur gauffrée…
Autour du cinéma, le souvenir de collaborations avec Peter Greenaway, Pedro Almodovar, Luc Besson…
Autour de la danse, le défilé concocté avec et pour Régine Chopinot, mais aussi Angelin Preljocaj.
Autour de la musique : l’emblématique Yvette Horner, les Rita Mitsuko, Madonna (Blonde Ambition Tour), Kylie Minogue…
Des photos de Miles Aldridge, David LaChapelle, Paolo Roversi, Pierre et Gilles, Jean-Paul Goude,Cindy Sherman ajoutent une autre lecture de la mise en scène des modèles.
Parmi les temps forts : le défilé Les Parisiennes, en mouvement avec bande son descriptive lue par Catherine Deneuve.
Des mannequins au visage animé, avec un Jean Paul Gaultier plus vrai que nature invitant à l’exposition (un travail mis au point par UBU, compagnie théâtrale montréalaise avec un système de « Spitting Image Puppet »).
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So french, cocorico avec la marinière (immortalisée dans un premier portrait de Pierre et Gilles). Signature, part de l’uniforme JPG, la marinière est parfois assortie d’un kilt, période Eurotrash (l‘un est l’autre en Albion). Piste aux étoiles pour l’affiche avec un Jean Paul Gaultier affublé d’une houpe ; sous le tuxedo un gilet reprend les codes de la marinière élevée au rang d’objet fétiche.
Une magnifique exposition. De quoi rendre nostalgique d’un temps où la mode était création.
Jusqu’au 3 août.
Photos Paolo Roversi, Jean Paul Goude, E. Larsson
lire le billetGrande dame de la mode et très belle personne, Maria Luisa n’est plus. Pendant plus de vingt ans, elle a défendu les créateurs, les vrais et les a soutenus. Son prénom est devenu un nom synonyme de mode.
À la fin des années 80 j’ai poussé la porte de la boutique Maria Luisa et je l’ai rencontrée. Passionnée par son métier, elle aurait pu convertir les plus récalcitrants à la mode. Belle et dotée d’un sourire lumineux, elle fut d’une gentillesse extraordinaire. Je revins à la boutique régulièrement quand j’étais de passage à Paris et j’y discutais pendant des heures.
J’y découvris, au fil du temps, les créations de Jean Colonna, Helmut Lang, Jean Paul Gaultier, Martin Margiela, Philipe Ben, Mariot Chanet, John Galliano, Véronique Leroy, Alexander Mac Queen, Clements Ribeiro, Bernard Willhelm, Lutz, A.F. Vandevorst, Olivier Theyskens, Gaspard Yurkievich, Rick Owens, Balenciaga, Charles Anastase, Peter Pilotto, Manish Arora…
Sa fille Eugénie (dite Poum) l’accompagnait parfois dans les défilés, ce qui me permit de photographier Martin Margiela, un grand souvenir de mode.
Un jour Maria Luisa m’offrit une paire de chaussures de John Galliano (à ses débuts) dont elle venait de vendre le total look. D’improbables petites mules à semelle en drapeau anglais, houpette de plumes cocotte, dentelle de papier et talon argent. J’eus l’impression de recevoir un trésor.
J’étais toujours dans ses petits papiers pour profiter des soldes et de ses mythiques braderies.
Généreuse, Maria Luisa me permit de l’accompagner dans ses séances d’achat et je pus saisir la complexité de son métier. Et j’eus ainsi la possibilité d’acquérir des pièces extraordinaires chez Jean Paul Gaultier (la robe cube, un maxi trench très « couture »…), chez Martin Margiela (le gilet en affiches décollées, en morceaux d’assiettes, un autre en gants de cuir…), chez Mariot Chanet (un magnifique manteau doudoune à « boudins » de velours) et aussi Ann Demeulemeester.
À Londres, elle me confia amicalement la mission pendant quelques saisons d’acheter pour sa boutique des vêtements d’Hussein Chalayan dont nous venions de découvrir l’apparition sur la scène de la mode. Ensuite elle vint à Londres et passa quelques jours à la maison avec Daniel, son époux.
Je me souviens d’elle à Hyères à une époque où le festival était encore « petit ».
Je me souviens d’une vente pour une créatrice dont les vêtements aux teintures artisanales et à la construction en patchwork étaient très chers et la décision qu’elle avait prise de vendre pratiquement au prix de départ pour lui donner une chance de trouver des clientes.
J’ai aussi parfois joué à la vendeuse dans sa boutique avec quelques mémorables souvenirs.
J’aimais son enthousiasme, sa passion, son oeil toujours aux aguets pour découvrir de nouvelles choses, soutenir de nouveaux noms.
Si la mode a perdu une grande dame, j’ai perdu une de mes plus belles rencontres de mode, je lui dois beaucoup.
Muse d’artistes, amie de Gabrielle Chanel, Misia Sert inspire aujourd’hui le premier « Exclusif » de Chanel composé par Olivier Polge, nouveau parfumeur maison.
Multipliant les rencontres et les conquêtes, Misia Sert a traversé avec éclat son époque. D’elle, Paul Morand disait ; « Effervescente de joie ou de fureur, originale et emprunteuse, récolteuse de génies, tous amoureux d’elle : Vuillard, Bonnard, Renoir, Stravinsky, Picasso ». Née Godebska à Saint-Petersbourg, Misia s’installe à Paris et épouse Thadée Natanson, proche des Nabis et fondateur de la Revue blanche. Son deuxième mari fut Alfred Edwards, fondateur du Matin ; mais c’est sous le nom de son troisième mari, le peintre José Maria Sert que Misia est passée à la postérité.
Quand Coco Chanel perdit son grand amour, Boy Capel, elle partit à Venise en compagnie du couple. Elle y découvrira une ville riche en inspiration et ouverte vers l’Orient. La créatrice y fit également de belles rencontres dont Diaghilev. C’est cette voie qu’a exploré Olivier Polge. L’imaginaire du parfumeur a vogué vers l’univers des ballets russes (modèle du personnage de la princesse Yourbeletieff de Proust, Misia en était un peu la marraine) et leur énergie créative. « À travers ce parfum, j’ai voulu illustrer l’atmosphère des ballets russes et les odeurs de fards de l’époque. »
Discrète et suave, la violette poudrée s’est entourée dans la fragrance de rose de Grasse, rose turque et iris sur un chaleureux fond fève tonka, benjoin du Laos. Une délicieuse promenade olfactive et une plongée vers une époque où le mot muse avait encore tout son sens. Une féminité exquise et subtile, Misia porte joliment son (pré)nom.