Le Visiteur et la victoire du peuple

Hier soir, j’étais à la projection de l’intégrale de la saison 3 du Visiteur du Futur, au cinéma Max Linder, à Paris. Une salle comble, certes chargée en journalistes et en invités, mais aussi pleine de fans, criant, applaudissant, interpelant François Descraques, son créateur et homme à tout faire (scénario, réalisation, production, etc.) et ses comédiens, riant à gorge déployée à des blagues et réagissant à des rebondissements de situations qu’ils ont sans doute vu cent fois – sauf ceux des deux derniers épisodes inédits diffusés hier. Une foule qui était venue là comme on vient à un concert, pour applaudir des artistes qu’ils suivent depuis quatre ans, pour acclamer une série qu’ils ont aidé à faire connaître, qu’ils ont porté, qu’ils ont tiré de l’anonymat d’internet vers une notoriété chaque jour croissante. Une œuvre élue par la volonté du peuple, à des lieux des dictats imposés par l’industrie.

Je ne suis pas un fan de la première heure du Visiteur. J’entendais parler de cette aventure décalée d’un voyageur temporel ruinant la vie de tout le monde pour le sauver, le monde, mais je ne l’ai vraiment vue qu’au terme de sa seconde saison, quand elle n’est plus devenue qu’une « simple » websérie, mais un projet des Nouvelles Écritures de France Télévisions – elle est aujourd’hui visible via leur plateforme, le Studio 4.0. J’ai alors avalé les deux premières saisons, en DVD, avant d’avoir le plaisir d’en discuter avec François Descraques, à la radio et pour Télérama. Le Visiteur n’est pas sans défauts, mais il a tout ce qu’il faut pour faire une bonne série : une histoire originale (le simple fait qu’elle soit de la science-fiction est original à la télé française), un ton, des personnages attachants, des acteurs inégaux mais investis, et des idées à la pelle pour compenser le manque de moyens. La suite des aventures de Raph, Judith et consorts nous importe rapidement. Surtout, on a rarement autant rit devant une série française, avec un sens du « méta » bien senti.

Tout ça pour dire que Le Visiteur mérite son succès. Il se lance dans une tournée à travers la France (et jusqu’en Suisse), pour projeter, comme hier soir, les dix épisodes de sa saison 3. Toutes les dates sont complètes. Et c’est tant mieux. On pourra toujours dire que les séries en général ne peuvent exister sans public. Pas d’audience, pas de chocolat, comme dirait l’autre. Sauf qu’en général, on nous sert un plat, parfois succulent, parfois faisandé, mais choisi par une industrie, directement cuisiné dans nos télés. Un peu comme si tous les groupes, pour reprendre ma métaphore musicale, étaient des boys bands lancés à grande échelle, en tête de gondole et dans des stades dès leur premier disque. Le Visiteur, lui, est comme ces groupes qui se font la voix dans un garage, puis enchainent les petites sales, avant, éventuellement, de s’offrir un Bercy. C’est le public, le bouche à oreille, l’envie de la toile qui l’a amené là où elle est aujourd’hui.

Accessible, les chevilles toujours minces, l’équipe de François Descraques, si elle n’est pas encore en prime time sur TF1, grimpe doucement les échelons de la renommée. Mais elle le fait avec ses fans, modestement (ou alors elle cache bien son jeu), sans prétendre jouer les stars, avec ce qu’il faut de fierté pour ne pas non plus fuir son plaisir. Le costard débraillé et le verbe trop libre pour être contrôlé, un pied dans l’entertainment mais l’âme encore saine et sauve, Descraques tient quelque chose de rare : une série phénomène qui n’a (presque) besoin de personne pour exploser – l’argent de France Télévisions et d’Ankama, est nécessaire. Une série de copains qui sont de plus en plus nombreux. Une série qui est à des années lumières des scores de Mimi et de Camping Paradis, mais qui s’en fout. On lui souhaite chaleureusement de s’en foutre encore longtemps, et de n’écouter que ses envies et les cris de ses fans.

P.S : je ne transcris pas ici la discussion / interview entre l’équipe et le public qui a suivi ma projection. Je suis certain que les sites de fans le feront très vite, en précisant les kilos de spoilers qui vont avec 😉