Top of the Lake : Mon Interview avec Jane Campion

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Elle se tient dans un coin du canapé, sourire aux lèvres, longue chevelure blanche, et on ne peut s’empêcher, a posteriori, de penser au personnage de Holly Hunter, gourou féministe de Top of the Lake. A posteriori, parce qu’à l’époque où j’ai rencontré Jane Campion, en octobre 2012 au MIPCOM, à Cannes, je n’avais pas vu sa superbe minisérie, qui débute demain soir jeudi 7 novembre à 20h50 sur Arte. Personne n’avait vu ce polar “atmosphérique” au fin fond de la Nouvelle-Zélande, histoire brute et sauvage de la disparition d’une fillette enceinte et de l’enquête fiévreuse et intime d’une detective (incarnée par Elisabeth Moss, la Peggy de Mad Men). Alors il m’a fallu composer, chercher, creuser, essayer de comprendre les intentions de la réalisatrice de La Leçon de piano, qui passait alors aux séries. Une auteure à la vision unique, intrigante, aux réponses parfois surprenantes mais sans langue de bois, et qui éclaire, après coup, le visionnage de son œuvre.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous tourner vers la télévision ?
J’ai été inspirée par certaines séries que j’ai pu voir, Deadwood avant tout, et le documentaire The Staircase. Ces programmes m’ont fait réaliser à quel point la liberté est plus grande à la télévision, à une époque où il faut absolument faire des entrées au cinéma. Le cinéma est plus conservateur que la télévision, où la liberté de parole est immense. Deadwood était bien plus osée et plus libre qu’aucun film de son époque. Les années qui ont suivies m’ont conforté dans cette impression, avec des séries comme Breaking Bad. Je cherche toujours le meilleur endroit pour raconter mes histoires. En grande lectrice de roman, la série s’est imposée à moi, une forme de série fermée et feuilletonnante.
Ensuite, j’avais en tête depuis longtemps de raconter une histoire dans ce coin de la Nouvelle-Zélande que j’adore, Paradise, qui est vraiment au bout du monde, à la frontière entre la civilisation et la nature sauvage. Mon histoire était un mélange de scandale et d’observation de la vie moderne. Une réflexion existentielle : pourquoi sommes nous ici, à quoi bon vivre, qu’est-ce que l’esprit ? C’est le personnage de Holly Hunter, qui est inspiré d’un vrai « gourou », aujourd’hui décédé, qui porte cette dimension métaphysique, qui s’inscrit dans une histoire qui me semble par ailleurs divertissante et captivante, avec un vrai suspense.

Jane-Campion-Elisabeth-Moss

Quelle importance accordez-vous à ce côté thriller ?
Je parlerais plus volontiers de mystère que de thriller, ce qui nous laisse plus d’espace pour développer les personnages. L’histoire criminelle est une excuse pour se pencher sur tous ces personnages, dans un monde bien particulier, avec en son centre une thématique bien précise, dont on ne peut pas parler sans révéler l’intrigue…  Ce qui m’a le plus excité, c’est de créer ce monde, et d’y développer les relations entre les personnages.

Vous en parlez plus comme d’une œuvre métaphysique…
Oui, vous pouvez la voir comme ça, ou tout simplement vous dire que c’est l’histoire de la disparition d’une fillette de douze ans, enceinte. C’est un scandale, et les gens sont fascinés par le scandale. Notre scandale est vu à travers le regard d’un personnage faillible, fragile, bien loin des héros des polars américains, qui sont souvent infaillibles et forts. L’enquête que mène notre héroïne, Robin Griffin, la renvoie à sa propre existence, à son passé. Elle doit faire la paix avec son passé pour résoudre son enquête…

Vous n’aimez pas les polars télé ?
C’est très dur d’écrire un bon polar. Mon préféré, c’est la trilogie de Stieg Larsson, qui est un formidable féministe. Il y dit énormément de choses sur la vie contemporaine, les relations sentimentales, plein de choses – même si je ne suis pas satisfaite de leur adaptation télé, qui ne va pas assez près des personnages… j’aurais bien aimé le faire moi-même. C’est là qu’est le cœur d’un bon polar. Bien sûr, il faut une mécanique criminelle, une enquête réussie, mais il faut du fond, de l’humain.

Vous aimez les personnages féminins forts…
Je ne suis pas sûre de comprendre ce que vous voulez dire par « forts. » Pour être fort, il faut être capable d’être faible. « Être fort dans sa vulnérabilité », c’est ma nouvelle devise (rires). J’ai choisi Elisabeth Moss pour jouer ce rôle, parce qu’elle est comme Mona Lisa. On ne sait jamais vraiment ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent. Elle est le mystère faite femme, elle est subtile, et elle aussi belle qu’elle est réelle, ordinaire. Elle est fascinante. C’est une créature rafraîchissante. On ne pensait pas à elle, au début. Et puis, on a vu qu’elle voulait passer l’audition. Le jour de l’audition, tout le monde était d’accord : elle était parfaite pour le rôle.

Pour revenir à ma première question, on dit généralement que les conditions de travail à la télévision sont moins bonnes qu’au cinéma. Vous confirmez ?
Pas vraiment. On a eu d’excellentes conditions de travail, un gros budget, et au final des moyens quasi équivalents à ceux d’un film. Il a fallu tourner extrêmement vite, c’est vrai, mais ça a été une expérience incroyable. On vivait tous ensemble là-bas, loin de chez nous. On a eu beaucoup de chance, dans l’alchimie qui a eu lieu entre les différents membres de l’équipe, et avec la météo ! Il n’a plu que 3 jours sur les 18 semaines de tournage, ce qui est rare là-bas.

Ce décor était-il le véritable point de départ de votre histoire ?
Absolument. Je suis fasciné par la nature sauvage, et par cette idée arcadienne qui veut que la nature puisse guérir l’homme si l’homme parvient à s’y abandonner. Les montagnes et le lac sont de vrais personnages dans l’histoire de Top of the Lake. C’est une présence intimidante, qui dépasse, enveloppe, déborde les humains.

Vous êtes vous adaptée aux codes des séries ?
Non, pas vraiment. J’ai plus fait un film de 6 heures. Chaque épisode a un début et une fin, mais je ne voulais pas faire comme toutes ces séries qui sont toutes entières pensées pour que vous reveniez la semaine d’après. Ce genre de structure truffée de cliffhanger m’agace au plus haut point. Cela parasite la narration ! Récemment, j’ai regardé Generation Kill (la minisérie de David Simon sur la seconde invasion irakienne, ndlr). Il n’y a pas le moindre cliffhanger, et pourtant on veut toujours voir la suite…

Qu’est-ce qu’une réalisatrice de cinéma renommée comme vous peut apporter aux séries ?

Un certain degré d’exigence. Nous sommes habitué à des qualités de production élevées, loin de la médiocrité de certaines séries. Je ne prétend pas révolutionner le genre, mais l’aider à s’améliorer encore, en offrant une œuvre qui soit pointue, soignée, et qui fera que les téléspectateurs demanderont d’autres choses de cette qualité – et refuseront peut-être plus souvent les séries mal produites.

Top of the Lake, les jeudis 7 et 14 novembre à 20h50 sur Arte.

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