Après le visionnage des premiers épisodes des Revenants, je m’étais emporté sur ce blog. J’avais écrit, convaincu, qu’elle est « la meilleure série française de l’ère moderne […] une série française dont on peut être fier, une marche de plus, espérons-le, vers l’avènement d’une série hexagonale conquérante, et la fin du complexe d’infériorité national… » Cette semaine, la petite Sundance Channel – qui a diffusé les deux plus belles nouveautés de cette saison, Rectify et Top of the Lake – lançait la série de Fabrice Gobert outre-Atlantique, en version originale sous-titrée. Et « conquérante » elle a été. Évidemment, ses audiences ne seront pas renversantes, Sundance n’étant pas un média majeur aux États-Unis, mais l’accueil unanime de la critique américaine, plus enthousiaste encore que celui de la presse française – j’ai moi-même quelques légères réserves, notamment sur la fin – est peut-être un signe, et une chance unique pour les séries françaises.
« La meilleure série de l’automne, peut-être même de l’année », écrit le Los Angeles Times. « Un nouveau classique de la fiction de zombie », s’enflamme Entertainment Weekly. « Une des séries les plus intrigantes et les plus originales de l’année », applaudit le Hollywood Reporter. « Une série française qui vous hante, effrayante et belle », renchérit Time. La liste des critiques enthousiastes est interminable. Il n’y a guère que le souvent sévère Variety pour modérer, « tout ne marche pas, mais après le premier épisode je n’ai pas pu ne pas voir la suite. » Au final, un score remarquable de 92 (sur 100) à l’agrégateur de critiques Metacritic. Autrement dit, le meilleur score de l’année.
On est content pour Fabrice Gobert, pour Haut et Court, la prod des Revenants, et pour Canal+, récompensés de leur inspiration. On se dit aussi que, la prochaine fois qu’on croisera un collègue américain, on pourra (un peu) se la péter. Mais au-delà de ça, ce carton critique a-t-il un sens et aura-t-il des conséquences ? Assurément. Après ses excellentes audiences en Grande-Bretagne, Les Revenants est en train d’ouvrir le monde aux séries françaises. Elle est en train de prouver à ceux qui, avec une condescendance prétendument bienveillante, ne voyaient dans nos productions qu’un peu d’exotisme. Elle est en train, peut-être, de nous donner une place à la table des grands, aux côtés des Anglais, des Danois, des Suédois et, bien sûr, des Américains.
Les Revenants sont en train de convaincre le plus isolationniste et le plus égocentrique des créateurs de séries qu’une œuvre française, diffusée en VO, peut-être renversante. Il y a peut-être dans cet emballement un peu de snobisme, un petit côté cinéphile qui trouve tellement bien tout ce qui parle la langue de Godard, mais rien n’est moins sûr. Une majorité des critiques ne s’attarde pas sur la nationalité des Revenants. C’est justement là qu’est le coup de maître de Fabrice Gobert, à l’international : sa série est bien française, elle se passe en France, on y parle français. Mais son décor est sans frontières. Mieux, il rend hommage à la pop culture de Twin Peaks ou de Lost – ce que les critiques américains ne manquent pas de relever. Autrement dit, ce qui pouvait plaire aux téléspectateurs français nourris aux séries US a forcément plu aux américains. Gobert a trouvé la formule magique, cet équilibre que l’on cherchait entre « identité nationale » – le mot est moche, mais est ici porteur de sens – et sensibilité universelle. Il a touché au cœur la critique étrangère sans nous priver, nous téléspectateur français, d’une identification, et sans priver le téléspectateur étranger du plaisir « exotique. »
L’éclatant succès critique des Revenants à la télévision américaine est la preuve que la télévision française digère enfin les codes des séries américaines, et a su ici se les réapproprier. Ceci étant dit, la victoire n’est pour l’instant que symbolique. D’une part, comme je le disais en introduction, Sundance Channel n’est qu’une petite chaîne. C’est donc avant tout un succès d’estime – qui devrait logiquement s’accentuer avec une victoire aux International Emmy Awards, le 25 novembre prochain. D’autre part, fidèle à ses principes, la télé US s’apprête à lancer un remake (peut-être showrunner par Carlton Cuse de Lost) et un pseudo remake qui ne dit pas son nom, Resurrection sur ABC – nulle doute, désormais, que le regard de la critique US sur cette série attendue à la mi-saison sera sans concessions.
Elle reste néanmoins notable, d’autant plus que Les Revenants est une série franco-française, et non une énième tentative de coproduction internationale censée nous faire mettre les pieds aux États-Unis. Elle confirme une évidence : ce ne sont pas les moyens de production ou les « vedettes » qui feront voyager nos séries. C’est leur audace et leur talent. Pour que cet export glorieux ne soit pas qu’un événement rapidement oublié, il va falloir que la télé française se concentre, et maintienne le niveau. Soit audacieuse, en pensant à nous, en étant certain qu’une excellente série française ne le sera pas que pour les Français.
je me pose une question depuis plusieurs mois, depuis le visionnage des Revenants en fait. Considérant Downtown Abbey comme une série Britannique squattant les Golden Globe depuis 5 ans, peut on envisager que Les Revenants puissent être nommés lors d’une telle cérémonie? Je n’arrive pas à déterminer si seule les séries anglophones ou encore strictement US sont susceptibles d’être nommées.
@chacha : je crois que tout dépend des candidatures que les chaînes US décident de déposer. Si Sundance veut faire concourir Les Revenants, je crois que c’est possible. Les séries étrangères ne sont pas exclues des Emmy Awards non plus, de Downton à Top of the Lake, les exemples ne manquent pas.
Canal + a mis des années pour sortir les Revenants, et sort seulement une nouvelle série par an. La pari de maintenir l’audace et du talent n’est pas gagné.
Il me semble que pour être éligible aux Emmys Awards, un programme doit être en anglais … A voir
@Suwan @Chacha : j’ai trouvé : ce doit être coproduit d’une façon ou d’une autre avec les USA. ” Article 8 du code des Emmys. Ce n’est pas une question de langue.
Foreign television production is ineligible unless it is the result of a co-production (both financially and creatively) between U.S. and foreign partners, which precedes the start of production, and has a commitment to be shown on U.S. television prior to the start of production.” Ce qui veut donc dire que PBS met de l’argent dès le début dans la prod de “Downton Abbey.” Donc, pas d’Emmys pour Les Revenants.
Ah okay. Après on peut imaginer un changement dans le règlement, comme ce fut le cas pour Netflix (bon c’est sur que Netflix a probablement un lobby qui pèse plus que ceux de Canal ou Sundance Channel …)
@Elisa : Y a aussi Ainsi soient-ils, Un village français (pas assez évoquée ici à mon goût), Fais pas ci fais pas ça (qui tient la dragée haute à bien des comédies US)… France 2 produit une nouvelle mini-série d’Admar et Herpoux… Y a pas mal de trucs intéressants et exportables quand même.
Les séries françaises à Los Angeles :
http://www.direct2series.com/
Qu’en pensez-vous ?
ouaip, merci pour vos réponses, je parlais pas des Emmy du tout, vu qu’ils sont nommés aux International Emmy Awards. C’est particulièrement sur les Golden Globes que je me posais la question 🙂 mais merci:)