Odysseus, entre espoir et déception

Odysseus, la nouvelle série d’Arte, arrive sur nos écrans jeudi soir. Je remonte ce post, écrit durant le Festival Séries mania, mis à jour (j’ai depuis vu les 12 épisodes), et j’y ajoute sa “réponse”, une heure avec l’équipe de la série dans mon émission du Mouv’, “Saison 1, Épisode 1” (en fin de post). Une série que j’attendais de longue date, et pour laquelle j’avais beaucoup d’espoir. Je m’étais rendu, l’an passé, sur son tournage, et j’avais découvert avec intérêt les ambitions de ce drame mythologique, qui raconte la vie à Ithaque pendant l’absence d’Ulysse, puis son retour. Aussi, c’est avec une certaine tristesse que je dois l’écrire : Odysseus m’a déçue. Elle ne manque pas d’envie, de fond, d’idées, mais leur exécution n’est bien souvent pas à la hauteur.

Sur le papier, pourtant, l’aventure était belle. Making Prod (Les Invincibles), une des boîtes de prod les plus actives du moment, avait convaincue Arte (et la Rai en Italie) de se lancer dans cette coproduction ambitieuse, au concept de base alléchant : montrer le côté obscur de L’Odyssée d’Homère, ce qui s’est passé pendant qu’Ulysse affrontait la colère de Poséidon, le Cyclope, et tant d’autres dangers mille fois contés. Oublier les monstres mythologiques pour privilégier l’humain. Ausculter la souffrance de Pénélope, la femme du héros grecque, seule, fidèle, qui attendit vingt ans que son homme revienne. Comprendre la détresse de Télémaque, leur fils, né dans l’ombre dans père absent, materné, couvé par une reine montrée du doigt, fière mais chaque jour plus fragile. Observer les appétits pour un pouvoir surveillé par les dieux et incarné par le corps de cette reine — double désir pour les prétendants. Enfin, briser le mythe d’Ulysse, non plus montré ici comme un roi héroïque, mais comme un homme brisé par la guerre, brutal, incapable de faire la paix avec ses ennemis et avec lui-même.

Tant de promesses portées par une équipe elle aussi solide, de son créateur Frédéric Azémar, pilier d’Un Village Français, à son casting, sur le papier appétissant : Caterina Murino (Pénélope), Niels Schneider (Télémaque) et Alessio Boni (Ulysse) sont d’une beauté renversante, tout droit sortis d’une fresque grecque. Autour d’eux, Joseph Malerba, Carlo Brandt, Bruno Todeschini, et quelques autres noms rassurants, figures de qualité de la fiction française. Sur le tournage, au Portugal, j’avais pu découvrir les décors, eux aussi prometteurs. Massifs, joliment faits, colorés, pour aller à contre-courant de l’image d’Epinal de la Grèce antique. Bref, en ajoutant à la liste des scénaristes Frédéric Krivine (Un Village Français) et Olivier Kohn (Reporters), et en espérant voir Arte poursuivre son ascension, des sympathiques Invincibles à la risquée et intéressante Ainsi soient-ils, l’excitomètre critique était haut placé. D’où, sans doute, ma déception.

Odysseus a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. L’histoire est bien là, riche, pleine de rebondissements, de tensions sous-jacentes, d’amours impossibles, d’amitiés brisées. Mais elle nous est pauvrement racontée. Il m’a fallu attendre le retour d’Ulysse, après quatre épisodes, pour commencer à sentir un souffle épique, que dis-je, une brise. On ne s’ennuie pas, on s’amuse même à suivre les gesticulations des prétendants, ces sauvages cuirassés qui veulent prendre le trône d’Ulysse. Mais longtemps, trop longtemps, le récit, la réalisation, le jeu des comédiens sonnent comme les armures des personnages. Trop légers, trop fragiles pour nous captiver. Souvent même faux. A bien écouter, il y a quelques forts beaux dialogues, et avec un peu d’imagination on saisit la puissance des personnages. Mais ils sont mal amenés, pas assez creusés, trop occupés à parler et à s’affronter pour nous prendre au cœur, au corps, aux émotions, ce qu’une telle histoire se devait de faire.

A qui la faute ? Peut-être d’abord à moi. L’emphase du genre historique n’a jamais été mon fort. Son parler, articulé, à la limite du grandiloquent. Ses postures, ses sentiments exacerbés, sa dramaturgie appuyée. C’est courageux de vouloir s’y tenir, mais cela créé bien souvent une distance froide avec le téléspectateur. « Je veux des dialogues non pas théâtraux, mais les plus vivants et les plus fluides possible, dans une langue intemporelle », m’expliquait lors de notre rencontre Frédéric Azémar. Je ne suis pas convaincu qu’il y soit parvenu. Dans ce genre historique qui m’est si difficile, seule Rome m’a emporté. Rome la grande, la démesurée, dont l’ombre, justement, écrase cette modeste production, dont le budget global, 15 millions, aurait à peine suffit à un chapitre de la fresque d’HBO et de la BBC. Comme les rues de cette Ithaque semblent chiches, vides, limitées, face à la démentielle ville de Titus Pullo et Lucius Vorenus ! Ça ne devrait pas importer, puisqu’on est ici pour une histoire intime, pas une fresque. Pourtant, on sent que tout cela est un décor. Que le ciel est un fond, que la lumière est un spot. Peut-être est-ce parce que j’ai vu ce décor inanimé, parce que j’ai touché ses murs factices… Je peine à les voir solides, crédibles, vivants.

La réalisation de Stéphane Giusti n’est pas mauvaise, elle fait ce qu’elle peut dans cet espace limité, préfère la sobriété aux prises de risques, mais c’est le jeu des comédiens qui sans doute condamne le succès d’Odysseus. Leur beauté est indéniable, leur investissement est sans doute entier, mais leurs performances sont très inégales, voire pour certaines mauvaises. Caterina Murino, sublime, a prit à bras le corps son rôle de Pénélope. Elle en parle avec passion, et l’on sent bien qu’elle veut exprimer sa souffrance tragique. Elle peine pourtant à émouvoir, se bat avec son texte, trouve la bonne posture, fragilement royale, mais les mots ne sortent pas avec tant de force. Est-ce le texte ? Est-ce son entente avec ses partenaires ? Le compte n’y est souvent pas. Autour d’elle, tout n’est pas à jeter. L’Italien Alessio Boni (doublé, son français étant trop hésitant, mais bien doublé) dégage une puissance, une conviction, un charisme certain. Carlo Brandt est très bien en Laerte, le père d’Ulysse, Joseph Malerba s’en sort en Mentor, protecteur de la reine, et Karina Testa, qui joue Cléa, esclave et amante de Télémaque, a ce qu’il faut de fraicheur et de charme pour le rôle. Frédéric Quiring apporte enfin avec le druide Thyoscos une touche d’humour bienvenue. En revanche, Niels Schneider, malgré son profil digne d’un dessin de Cocteau, est complètement à côté de son rôle. Certes, Télémaque doit être faible, mais ça ne veut pas dire qu’il doit être faiblement joué… Bruno Todeschini, en Léocrite, le principal prétendant, n’est pas plus juste. Les seconds rôles sont globalement médiocres, bougent mal, surjouent souvent, manquent d’épaisseur.

Le résultat est fragile, tarde à nous prendre, ne prend vraiment du poil de la bête qu’à l’arrivée d’Ulysse, à l’épisode 5 — et se tient bien jusqu’à sa fin. Ce sera peut-être trop tard pour les téléspectateurs. Bien sûr, mieux vaut mille fois Odysseus, malgré ses défauts, à un énième polar formaté – suivez mon regard. Bien sûr, la seule existence d’une telle série est une bonne nouvelle, la preuve que la télé française a de moins en moins peur de prendre des risques, d’essayer, de se planter. J’ai beau avoir un regard très critique sur le résultat, et dire ma déception, je souhaite qu’Odysseus trouve son public, pour que d’autres œuvres différentes soient tentées. Les espoirs ne sont pas toujours déçus. Ô dieux de la fiction télé, faites qu’ils le soient de moins en moins souvent…

Odysseus, le jeudi 13 juin à 20h50 sur Arte.

Odysseus, le 13 juin sur Arte. Projection ce soir vendredi 26 avril à 19h au Festival Séries Mania.

Image de Une : Niels Schneider et Karina Testa dans Odysseus (Arte/Making Prod)

8 commentaires pour “Odysseus, entre espoir et déception”

  1. On peut dire que la série tombe mal avec Game of Thrones qui maîtrise à la perfection décors et intrigues politiques et qui risque de faire passer cette série pour une série fade. A voir ce que ça donne mais félicitation à Arte de prendre des risques et de créer des séries comme celle-là.

  2. Bonsoir,
    j’étais moi aussi très impatiente de découvrir cette série, dont le pitch m’intéresse beaucoup. Le fait que ce soit une coproduction européenne et un projet avec un peu d’envergure donne aussi envie ! J’ai assisté ce soir à la projection des 3 premiers épisodes (je n’ai pas voulu rester pour voir les 6, ça fait une soirée un peu longue et indigeste tout de même…), et comme vous j’ai été déçue.
    Au début j’ai pensé que j’étais trop habituée aux fictions anglo-saxonnes, je trouvais que les dialogues en français sonnaient “moins justes”, bref je me suis dit que tout ça c’était dans ma tête, et que la série avait quand même plein de qualités. Mais effectivement j’ai trouvé dans l’ensemble que le jeu des acteurs est inégal, le décor trop restreint et surtout le rythme mal négocié : je m’attendais à voir Ulysse dès la fin du 1er épisode, ou au moins dans le 2e ! L’intrigue du remariage forcé de Pénélope s’étire sans fin, s’arrête, repart… On trouve des cliffhangers en fin d’épisode mais tout retombe ensuite, c’est vraiment dommage.
    J’ai aussi trouvé que la série met l’accent sur des choses qui ne sont pas faciles à comprendre pour le spectateur moderne (les sacrifices aux dieux, le statut des esclaves…) sans, justement, les expliquer.
    La comparaison avec “Rome” est inévitable, et bien sûr “Odysseus” ne bénéficie pas du même budget ni des décors de Cinecitta.
    La réalisation me semble beaucoup moins nerveuse que celle d’une série anglo-saxonne, un peu trop statique et tournée vers les dialogues, bref pas assez “punchy” à mon goût malheureusement.
    Pour conclure, je dirais que comme vous, je suis heureuse que cette production ait vu le jour, je suis consciente que la série a nécessité un énorme travail et j’en félicite ses créateurs, mais je pense qu’on peut avoir encore plus d’ambition en termes de création de séries européennes, surtout sur des sujets très porteurs comme celui-là. “Odysseus” représente déjà un premier pas, à mon sens, et c’est très encourageant !

  3. C’est l’impression que j’ai eue en regardant la BA (en moins précise bien sûr). C’est vrai que les acteurs sont beaux. Pénélope ressemble à Irène Papas qui avait joué ce rôle dans une vieille série italienne (excellente). Mais leur jeu semble faux et les décors font toc (mais pê que ça passera si je visionne tout l’épisode).

    Je ne crois pas que le jeu d’une série historique soit forcément grandiloquent. Rome par ex n’ a rien de grandiloquent. Au théâtre, c’est pareil. il y a des acteurs qui déclament les vers des tragédies “comme on chie du marbre” et puis il y a les vrais comédiens qui arrivent à faire passer un texte complexe très naturellement et captivent le public.

    Ce qui me gêne le plus, c’est justement le parti-pris choisi qui fait d’Ulysse un énième soldat brisé par la guerre, brutal et dangereux. Pourquoi actualiser le message ? La guerre, c’est pas bien… Pourquoi ne pas assumer le texte antique ? Ulysse se venge et les dieux sont avec lui. Il gagne le droit de reconquérir son royaume par la ruse et en rentrant par la petite porte. Et après ce qu’il a subi, il le mérite bien.

    La violence d’Ulysse avec Pénélope (entr’ aperçue dans le trailer), le “T’as pas honte de laisser ton peuple crever de faim” m’ont fait frémir. je croyais avoir mal vu et mal entendu… Pourquoi choisir un texte aussi beau et aussi interessant pour l’actualiser en lui faisant dire de pareilles banalités ?

    Je n’ai pas encore vu la série mais je suis déjà déçue :-(. pourtant j’en attendais beaucoup.

  4. Bonjour !
    Déception et frustration aussi après avoir visionné 5 épisodes…
    Oui, il y a beaucoup d’éléments, et plein de petits événements, et même des intrigues et sous-intrigues qui pourraient se révéler intéressantes… si elles n’étaient pas réglées plus vite qu’il n’en faut à notre petit cœur pour commencer à s’emballer voire se serrer.
    Et si on blâmait plutôt le scénario que l’exécution ?
    Y a t il vraiment tant d’idées et de fond dans Odysseus ? Sachant, que déjà, on est tous d’accord, il n’y a pas vraiment de personnages, ou si peu ou si faibles et pas dans les rôles principaux …
    Remontons donc à la source, à la question que tout scénariste doit se poser dès le début et ne jamais perdre de vue : DE QUOI CA PARLE ???? Parce que clairement, ça ne parle pas de pouvoir, ni de politique, ni d’une reine face à la famine annoncée de son peuple, ni vraiment d’amour brulant … de quoi alors ?
    Je n’avais pas de réponse …et puis j’ai entendu F.Azémar : « c’est l’histoire de la relation père/fils Télémaque /Ulysse ». Là, les bras m’en sont tombés et il s’en est fallu de peu pour que je subisse le même sort avec ma chaise !! Tout s’éclairait ! Voilà pourquoi les 5 premiers épisodes semblent si « anecdotiques »… on n’était pas dans le cœur du sujet tout simplement… C.Murino essaie de justifier cette longue introduction en disant qu’il était nécessaire de montrer l’éducation de Télémaque avant qu’il se confronte à Ulysse… Oui, sûrement mais sur 5 épisodes ?!!
    Voilà aussi pourquoi je blâmerais moins les acteurs qui n’ont malheureusement pas grand chose à défendre et qui se battent honorablement. Carton rouge quand même pour B.Todeschini qui malgré un rôle pivot potentiellement intéressant, ruine définitivement le plaisir que l’on pourrait avoir à suivre les intrigues, déjà peu nourries, autour des prétendants.
    Une fois passé tout cela, et d’autres petites maladresses, on ne manque pas vraiment de plaisir à regarder la série mais nous apparaît tellement souvent ce qu’elle aurait pu être, qu’un sentiment de frustration s’installe… Il nous manque ce moment magique où après une scène on fait « wouah… » et qui nous fait tout à coup regarder chaque image suivante différemment.

    Espoir donc pour les prochains épisodes à venir puisque l’on devrait être enfin au cœur du sujet et qu’Alessio Boni, puissant et charismatique à souhait va peut être amener un peu de souffle et d’émotion ! Mais bon en même temps, il est doublé …

  5. B.Todeschini, c’est le gentil prétendant ? Celui qui incarne la morale et la droiture face à un Ulysse affameur, guerrier, violent qui ne supporte pas que des gars squattent sa maison, couchent avec ses servantes, frappents ses hôtes, volent son bétail et ses biens, veuillent se taper sa femme et accessoirement lui piquer son trône ? J’ai vu un extrait qui parlait d’un truc comme ça. Avec en plus un Télémaque souffrant du complexe d’Oedipe… qui cherche à tuer le père alors qu’il ne l’a jamais vu ^^.

    No comment.

    Je regarderai quand même demain … et j’espère avoir tort sur toute la ligne.

  6. Je fais mon mea culpa. Je n’ai vu que le premier épisode et je n’ai pas trouvé ça nul. Ce n’est pas kitsh-ce qui est déjà énorme-, mais c’est vaguement ennuyeux. L’ajout des deux Troyennes est une bonne idée. Les décors et les costumes sont corrects. Je suis assez d’accord avec le commentaire d’Emma.

  7. J’ai écouté l’émission et regardé ces 3 premiers épisodes.
    En effet, c’est problématique d’avoir appelé ça “Odysseus”, car à la fin du premier épisode, on se dit “mais que fait Ulysse?” et à la fin du 3e épisode, on finit par se demander quand il va arriver, on est un peu désespéré et ça devient un gimmick “Ulysse revient !”
    le souci, c’est que ce qui se déroule à Ithaque manque cruellement d’attrait.
    On retrouve le problème du jeu des acteurs français, en effet. Niels Schneider est très beau, mais manque d’épaisseur, Seuls Carlo Brandt et Joseph Malerba m’ont vraiment convaincue.

    Ce qui est quand même dommage c’est qu’on aurait gagné du temps dans la thématique Télémaque/Ulysse en introduisant le personnage d’Ulysse en fin de premier épisode, à la rigueur en fin du second. Il n’y a pas besoin de 5 épisodes pour faire comprendre la problématique posée à Ithaque par son absence ou pour saisir à quel point son fils vit dans l’image idéalisée du père. Sentiment qui est parfaitement résumé en une scène, quand il prend soin de l’armure de son père.

    Je serai quand même au rdv ce soir. Car j’applaudis toute intiative française sérielle…
    Heureusement que vous avez dit qu’Ulysse arrive au 5e épisode, car je crois que j’aurais lâché rapidement sinon…

  8. J’ai commencé le deuxième épisode et j’ai arrêté. Télémaque qui tue un prétendant… ça m’a tuée. Je reprendrai avec le retour d’Ulysse.

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