A force de le dire, de le répéter, de l’écrire et de le tweeter, ça va finir par se savoir. J’aime beaucoup Rectify, la première création originale 100% Sundance Channel (Top of the Lake, aussi très réussie, est une coproduction avec la BBC). Ce drame bouleversant, dont le héros, Daniel Holden (formidable Aden Young) sort du couloir de la mort après 19 ans d’enfermement pour un crime qu’il n’a peut-être pas commis, débute ce soir sur Sundance Channel France. J’ai eu la chance d’en discuter avec Ray McKinnon, son créateur, et Aden Young, pour Télérama. J’ai aussi passé un coup de fil à la remarquable Abigail Spencer (Mad Men), qui incarne Amantha, la petite sœur de Daniel, qui a toujours cru en son innocence, qui s’est battue chaque jour pour sa libération. Une actrice lumineuse, qui revient sur le rythme et le fond de la série, qui vient de décrocher une saison 2.
Avant toutes considérations humaines, Rectify part d’un fait divers comme on en voit beaucoup aux États-Unis, un homme libéré de prison après des années de captivité. Avez-vous étudié la question, et a-t-elle un impact polémique dans la série ?
J’ai lu quelques textes, je me suis renseignée, parce qu’Amantha, sans être une avocate, a passé le gros de sa vie à travailler à la libération de son frère – depuis qu’elle a 12 ans. Elle a étudié le système, je l’ai donc en un sens étudié. J’ai découvert une organisation dont le but est de faire sortir les prisonniers injustement condamnés, le Innocent Project*. Dans la série, c’est devenu le « Justice Row », et Jon Stern, l’avocat de Daniel, très proche d’Amantha, travaille pour eux. Rectify ne cherche pas à créer la polémique autour du monde pénitencier américain, elle imagine une histoire humaine dans cet univers, une histoire qui dépasse largement le cadre américain et qui peu toucher les téléspectateurs à travers le monde. C’est avant tout une histoire familiale, l’histoire d’un homme enfermé dans une boîte pendant 19 ans, sa libération, et le sens de la vie privée quand on a quasiment cessé d’exister pendant si longtemps.
Comment lisez-vous le titre de la série ?
Comment le lisez-vous ?
J’y vois un double sens : la justice va devoir « rectifier » son erreur, et Daniel va devoir se « rectifier » pour s’adapter au monde dans lequel il est jeté…
Pour moi, « Rectify » veut dire corriger quelque chose, faire justement les choses. J’y vois donc une réflexion sur la réparation des erreurs, pas seulement de l’erreur judiciaire potentielle qui a envoyée Daniel 19 ans en prison, mais aussi les erreurs que chacun d’entre nous faisons au quotidien, nos défauts, nos travers. Rectify est une histoire de chaos pour moi, de tous ces personnages dont la vie reposait en bonne partie sur l’emprisonnement de Daniel Holden, et qui doivent faire face à sa libération. Le titre ne s’applique pas qu’à Daniel.
Sous cette idée au demeurant simple d’une libération, Rectify tient un puissant moyen de réflexion sur la notion même de liberté. Quel est votre regard sur son propos ?
Je ne veux pas parler à la place de Ray McKinnon, mais je pense que la série parle plus de la liberté de l’esprit de Daniel que de celle de son corps. Daniel pourrait bien avoir été plus libre derrière ses barreaux qu’une fois « libre » de ses mouvements. Il était prêt à mourir, et il se retrouve brutalement à l’air libre, sans repères. Pire, la société le regarde comme un animal dans un zoo… Que faire de cette liberté ? Comment cet homme se sent-il ? N’y a-t-il que cette liberté ? Rectify ne propose pas de réponse à ces questions, mais elle les expose et elle les explore.
Comme beaucoup de grandes séries de ces 15 dernières années, comme Six Feet Under ou Les Soprano, Rectify est une histoire de famille dysfonctionnelle…
(Rires) J’adore vos références ! Je suis fan ! Ce sont des séries magnifiques, complexes, avec des héros profonds, dans des mondes inexplorés à la télévision. Ces séries ont une force qui, je le crois, est aussi celle de Rectify : ce sont leurs personnages qui comptent par dessus tout et, une fois qu’on est attaché à eux, la série peut aller où elle veut, ou presque, prendre des virages, nous surprendre.
Amantha semble être la sœur idéale, lumineuse, pleine d’espoir. Comment la voyez-vous ?
C’est elle qui a tenu le flambeau depuis l’emprisonnement de Daniel, elle qui n’a jamais abandonné, qui s’est battue, et qui a beaucoup sacrifié pour son frère. Elle attire beaucoup d’empathie, je pense, car elle déborde d’amour et d’affection pour Daniel et pour la justice. Elle n’est pas comme les autres habitants de la petite ville où revient Daniel. Elle a toujours voulu fuir, et s’est installée à Atlanta. C’est aussi son retour à elle que l’on observe, un retour dans une ville qu’elle déteste, retour forcée par le fait qu’elle n’a quasiment jamais rien fait d’autre dans sa vie que défendre son frère.
Rectify n’est pas une série bavarde. Elle préfère les silences aux monologues…
Le peu qui est dit est lourd de sens. Le silence est tendu vers les mots, attire notre attention. De plus, Rectify est une série cinématographique, très visuelle, où les images sont aussi importantes que les dialogues. Les choses qui ne sont pas dites… sont vues. La première saison ne se déroule que sur 7 jours. Cette temporalité très resserrée nous permet de prendre le temps, de laisser de l’espace pour les moments méditatifs. La série dit quelque chose de passionnant sur le temps et le développement émotionnel des gens qui ont vécu une catastrophe. Amantha est-elle restée coincée, d’une certaine façon, à 12 ans ? Daniel a-t-il changé ? Sont-ils bloqués dans leur passé ? Ils ont perdus leur innocence, mais ont-ils pour autant réussi à s’adapter à la vie, et réussiront-ils à évoluer vers leur nouveau quotidien ? Encore une fois, Rectify ne donne pas de réponses, mais elle invite à contempler ces questions.
On ne peut pas être certain de l’innocence de Daniel. C’est le côté thriller de la série ?
Il y a certainement une notion de danger qui plane sur Rectify dès son pilote. Nombreux sont ceux qui veulent voir Daniel en prison, voire mort. Nombreux sont ceux qui sont certains de sa culpabilité. Amantha est certaine que son frère est innocent, mais si on fait bien notre boulot, les téléspectateurs, eux, peuvent douter…
*http://www.innocenceproject.org/
Rectify, le jeudi à 21h sur Sundance Channel France
Très belle série !
Très bien!
Par contre, Top of the lake, j’ai adoré, mais la fin est vraiment hard. Mais un coup de cœur quand même.