Chaque année, grâce à Séries Mania et à deux ou trois autres festivals auxquels je participe, notamment Série Series à Fontainebleau et Tous Écrans à Genève, je suis amené à découvrir des séries moins “visibles” que les américaines, des œuvres ambitieuses, différentes, qui, peut-être, n’arriveront jamais en France — ou tardivement. Des séries européennes pour la plupart, mais aussi israéliennes ou australiennes. Ce lundi, je voulais vous dire un mot d’une d’entre elles, Redfern Now, dont j’ai pu voir quelques épisodes, et que j’espère voir débarquer chez nous un jour…
Écrite, réalisée, produite et interprétée par des aborigènes, Redfern Now porte le nom du quartier de Redfern, une banlieue populaire de Sydney. Elle raconte en six histoires indépendantes la vie des habitants d’un même pâté de maisons, qui parfois se croisent – certains personnages apparaissent dans plusieurs épisodes. A chaque fois, un événement plus ou moins grave vient secouer leur quotidien. J’ai pu voir deux épisodes, le 4 et le 6 – ce n’est pas forcément l’idéal, mais pas gravissime dans le cas d’une anthologie. Stand Up raconte comment un jeune lycéen aborigène, accepté dans un établissement réputé (donc essentiellement blanc) refuse de se lever et de chanter l’hymne national – un hymne qui ignore sa communauté. Le second, Pretty Boy Blue, raconte les suites d’une bavure policière.
Ces deux volets offrent deux tonalités très différentes, et représentent sans doute la diversité de Redfern Now. Stand Up use volontiers l’humour, lève le point haut, défend avec une passion agréablement candide, optimiste et in fine communicative, la cause des aborigènes. Pretty Boy Blue est en revanche d’une noirceur absolue, tragique, bouleversante, avec son héros flic qui voit sa vie basculer après une décision malheureuse. Dans les deux cas, ces épisodes sont si denses, si riches dans leur narration et leur capacité à bâtir des personnages complexes, qu’ils pourraient servir de pilote à une saison entière. C’est d’ailleurs ce que j’ai cru en regardant Pretty Boy Blue, que j’ai vu en premier, sans savoir que Redfern Now était une anthologie, et que ce volet était son dernier…
Comme pour The Slap, un énorme coup de cœur pour moi l’an passé, elle aussi diffusée sur ABC1 en Australie, la force de Redfern now vient d’une capacité à exprimer humainement, sans lourdeurs, sans renier certains stéréotypes et certaines réactions prévisibles – et donc justes – la réalité du quotidien d’une communauté. Comme pour The Slap, il y a ces événements déclencheurs. Comme pour The Slap, la réalisation est exemplaire, les acteurs remarquables, la production au poil. Comme pour The Slap, chaque épisode se concentre sur un personnage d’un même microcosme – la seule importante différence étant que The Slap était une minisérie avec un seul élément déclencheur, contre une multiplicité ici. Comme pour The Slap, enfin, la force principale de Redfern Now est dans la simplicité touchante, brute, brillamment saisie, des dialogues et des relations humaines. Bien sûr, Redfern Now existe au-delà de ma comparaison systématique avec The Slap !
Le brio de ce projet, c’est de ne pas avoir fait un portrait complaisant ou misérabiliste de la communauté aborigène. On veut avant tout nous raconter des histoires intimes, qui disent en sous-texte, plus ou moins fortement, une réalité sociale. Les quelques chiffres qu’on trouve en ligne sur cette communauté sont effrayants. Leur espérance de vie serait de 17 ans inférieure à celle des autres Australiens, il représenteraient 22% des prisonniers, leur revenu moyen serait de 40% inférieur à celui du reste de la population… Leur passé, fait de massacres et de maltraitances, est abominable – comparable au traitement que les Américains ont réservé à leurs Indien. Pourtant, Redfern Now, sans nier la misère sociale de certains, sans ignorer la violence qui entoure ce quartier, se concentre avant tout sur ses personnages. Elle ne fait pas un téléthon sériel, elle fait une vraie belle suite de drames et de comédies dramatiques, varie les tons et les couleurs, semble bien loin de toute caricature.
Je n’ai vu que deux épisodes, je serai curieux d’en voir plus. Ces deux chapitres ne suffisent pas à faire une critique globale de Redfern Now, mais ils me suffisent pour vous conseiller d’y jeter un coup d’œil, et pour espérer que la télé française considérera une diffusion chez nous. France Ô aurait, disait-on durant Séries Mania, montré son intérêt.
Images : Redfern Now (ABC1)