C’est pas Jo Jo…

Avec Jo, qui débute demain soir, TF1 tend l’autre joue. Ce n’est pas très cathodique, mais je ne vais pas me retenir de lui en coller une. On va m’accuser de tirer sur une ambulance. Tant pis. Je n’ai rien, personnellement, contre TF1. Loin de là. Sa stratégie est limpide, elle l’assume crânement et, jusqu’à preuve du contraire, elle marche. Au moins, c’est honnête. Artistiquement nul, mais honnête. Je serai même le premier à m’enthousiasmer quand elle fera de bonnes séries. En attendant, ce n’est pas avec Jo, nouvel exemple édifiant de formatage, que mon amour pour Camping Paradis (qui reste ma série française favorite) et consorts va être bouleversé…

Si j’étais méchant, je dirais que Jo est risible. Pas aussi risible que le génial Transporteur, summum de réflexion métaphysique, mais suffisamment grotesque pour froisser une cote ou deux. Jean Reno, fatigué du cinéma d’auteur – voire fatigué tout court – y incarne un flic parisien, Jo Saint-Clair, qui mène l’enquête d’un pas flegmatique et ramasse les cadavres devant Notre-Dame, place de la Concorde, à l’Opéra, etc., pour vendre la série à ces cons d’étrangers qui pensent encore que Paris est une carte postale. Jo est un mec torturé, dépressif, alcolo, seul, incapable de recoller les morceaux avec sa fille. Bref, Jo est une grosse caricature. Jo débarque sur les scènes de crimes en disant « bon, qu’est-ce qu’on a ? », c’est dire.

Gros budget (plus de 2 millions d’euros par épisode !), star au casting et têtes connues des séries au second plan (Orla Brady, vue dans Fringe, Jill Hennessy de Preuve à l’appui, récemment vue dans Luck), showrunner made in USA (made in Canada, en fait), Rene Balcer (Law & Order), Jo promettait d’envoyer du lourd. Elle n’envoie que du carton, et semble toute entière destinée à séduire des marchés internationaux assez aveugles pour ne pas voir l’arnaque. Tournée en anglais, puis doublée, elle ressemble exactement à ce qu’on craignait, à la vision d’un touriste ricain sur la ville lumière et ses flics, qui se comportent comme des héros de série ricaine, les pin-pons exotiques en plus.

S’il n’y avait que ça… Le pilote enquête sur le meurtre d’un organiste vedette. Avec des fans, des vrais, genre gothiques qui kiffent mortel sa reprise du Te Deum de Charpentier et pogotent sur son Requiem de Mozart. C’est dire si les scénaristes sont inspirés. Rien à dire sur le déroulé de l’enquête. Enfin, je veux dire, rien à dire parce que j’ai oublié. Preuve que c’est un sommet de suspense, avec des rebondissements pas possibles et tout et tout. Tellement bien foutu que les indices tombent un par un, juste pour qu’à la fin des 45 minutes on trouve le truc qu’on aurait pu trouver dès le début et qui décoince la situation. Fort.

Pendant ce temps-là, Jo va mal. Jo doute. Jo lutte contre la bouteille. Jo est un mec violent, la nuit. Jo casse la gueule des dealers – surtout s’ils draguent sa fille – Jo s’en veut à mort pour sa fille, qui file un coton qui ressemble un peu au sien. Jo va voir Karyn (pauvre Jill Hennessy), une sœur qui bosse dans un centre d’aide aux prostituées – une sainte, dont Jo va tomber amoureux, je te parie combien ? On est super triste pour lui, et pour les scénaristes, qui ont du prendre un apéro avec Olivier Marchal – mais y’avait plus d’olive, alors ils sont pas resté. Pour citer mes collègue de Télérama, qui ont bien dit les choses, « Jean Reno fait ce qu’il peut (c’est à dire pas grand-chose). » Le reste du casting est admirable – j’ai un faible pour Tom Austen, au jeu de sourcils bouleversant — et soutenu par une VF grandiose.

140 chaînes du monde entier auraient achetées Jo. Preuve que je suis un emmerdeur, qui n’a rien compris à ce que demande le peuple – preuve qui sera doublée quand tomberont les audiences, qui risquent d’être bonnes. Reste que si l’image de la fiction française ressemble à ça au dehors de nos frontières, la prochaine fois que je vais en vacances, j’éviterai de dire que je suis spécialiste des séries. Je dirai que je suis proctologue, ça vaudra mieux.

Jo, jeudi 25 avril à 20h50 sur TF1.

Image de Une : Jo (TF1)