Ce soir, SyFy lance, 24h après les États-Unis, Defiance, une série de science-fiction, dans un futur proche où humains et aliens cohabitent plus ou moins pacifiquement sur notre Terre. Une série au pilote très inégal mais pas inintéressant (dont je vous parlerai samedi ici-même), qui fait beaucoup parler d’elle par son ambition “transmédia.” Un jeu vidéo en ligne multi-players a été lancé il y a deux semaines, et suivra, de loin, l’évolution de la série. Une expérience unique en son genre, dont j’ai pu discuter avec un de ses producteurs, Kevin Murphy (Caprica, Desperate Housewives, mais aussi Hellcats, qu’il a créée).
On a déjà vu des dizaines de jeux déclinés de séries télé. Comment le vôtre prétend-il faire mieux ?
C’est la première fois que le jeu n’est pas une déclinaison de la série, mais que les deux sont égaux et sortent simultanément. Leurs mythologies ont été imaginées ensemble et conçues dans un aller-retour permanent entre jeu et série. Plutôt que de parler de deux médias séparés, je préfère y voir un seul et même monde, avec deux accès différents. La complexité de la mise en place de tout cela nous a donné le temps de bâtir une mythologie d’une rare profondeur, détaillée, dès nos premiers épisodes. Des séries comme Lost ont pu avoir cela, mais après plusieurs saisons. Avant même que le tournage ne débute, nous avions trois langues aliens complètes, imaginées par David Peterson (créateur du dothraki de Game of Thrones, ndlr), des thèmes musicaux adaptés aux personnages, écrits par Bear McReary (Battlestar Galactica)… Au final, même si le jeu est plus une histoire de combat, vous êtes dans le même monde que la série. Le scénario de la série déborde sur celui du jeu, et vice versa.
La narration du jeu vidéo a-t-elle un impact sur celle de la série, dans la manière de dire l’histoire ?
Oui, mais c’est rarement volontaire. Disons qu’elle amène de opportunités inattendues. Quand les créateurs du jeu veulent faire quelque chose de leur côté, ils nous en parlent. Nous réfléchissons à comment incorporer cet événement online à la série, d’une manière ou d’une autre. C’est une espèce de match d’improvisation permanent, où un membre de votre équipe vous dirait « bon, voilà la situation », et où vous devriez vous adapter. Cela nous force à imaginer des choses différentes, à sortir du cadre habituel et confortable d’une série. Les gens du jeu sont des geeks, des passionnés, des amoureux de science-fiction, mais ils voient les choses parfois différemment de nous… ce qui est un plus immense pour faire de Defiance une série originale.
Quel est le timing de cette collaboration ?
En gros, nous avons trois mois pour aligner le jeu et la série. Si un événement proposé par les gens du jeu est trop complexe à traduire à la télévision, nous leur disons, et ils s’adaptent. Il faut que les deux parties en tirent profit. Par exemple, dans le pilote, les extraterrestres qui attaquent Defiance, les volges, devaient être très robotiques et très cartoon, comme dans Voltron : Defender of the Universe. Nos responsables des effets spéciaux ont préféré les faire souples à l’intérieur, avec une carapace à l’extérieur. Ça a compliqué la vie des gens de Trion, mais ils ont adoré. Du coup, ils ont modifié tout le jeu, qui était déjà bien avancé, pour coller à notre design…
Ne rêvez-vous pas d’un monde où les gamers pourraient influer sur la série directement… ce qui est techniquement impossible ?
Non. J’ai bien trop d’égo pour ça ! Je pense pouvoir imaginer une histoire bien plus intéressante que celle que le gamer inventera ! Au dernier Comic Con, quelqu’un nous a posé cette question, et j’ai répondu : « Ceci n’est pas une série dont vous êtes le héros ! » C’est mon personnage, mon histoire, et vous allez aimer ça quand même ! Vous ne payez pas Ron Moore, J.J. Abrams ou Damon Lindelof pour écrire à leur place ! Il y a des pros pour ça… Laisser les manettes aux téléspectateurs/joueurs, ce serait risquer de finir comme le film Cluedo, dans les années 80, où le public pouvait choisir entre trois fins. Ça ne marchait pas. Pour un jeu vidéo, ça va de laisser le choix, mais pour une série, je veux être surpris, choqué, bouleversé, pas choisir mon scénario !
Y a-t-il un impact stylistique du jeu sur la série, dans les effets spéciaux par exemple ?
Non. Si vous ne savez pas qu’il y a un jeu vidéo et que vous n’êtes pas un gamer, vous n’êtes pas censé réaliser que Defiance, le jeu, existe. A l’origine, il y avait un script qui été parcouru de clins d’œil au monde des jeux, mais ça n’était pas bon, je n’aimais pas ça. Les effets spéciaux de la série ne sont pas fait par des spécialistes du jeu vidéo, mais par Gary Hutzel, qui a travaillé sur Battlestar Galactica et Caprica. Il dirige une équipe en interne, dotée d’un budget considérable. Alors j’espère que, visuellement, Defiance est réaliste, et ne ressemble pas au style du jeu. Chacun son terrain et ses effets.
Defiance, sur SyFy le mardi à 20h45.
Images : Defiance (SyFy) / Kevin Murphy sur le tournage (TheGate).