Victoire aux poings

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Les séries télé américaines sont comme ces truites qui chaque année remontent péniblement les ruisseaux. Ou comme ces tortues qui, sortant de leurs œufs se trainent jusqu’à la mer. Toutes voudraient vivres, mais peu atteignent leur but. On fait souvent les comptes de tous ces projets dont une poignée deviendront pilotes, puis de ces pilotes dont une pincée deviendront séries. Et dans ces séries, seules quelques-unes survivront plus d’un an. Un dernier facteur, intime, subjectif, entre en compte : de celles qui survivront, seule deux ou trois nous accrocheront pour de bon. Cette mi-saison, j’ai jeté mon dévolu sur Episodes, de Showtime, et sur Lights Out, de FX. J’aimerais prendre un moment pour vous parler de cette dernière.

Lors de mes prévisions, au début de l’année, j’avais placé Lights Out quatrième de mon top 5, juste derrière Episodes, et deux séries dont j’ai vu trop peu d’épisodes pour le moment, Mr Sunshine (à raison, me disent mes collègues affligés) et The Chicago Code (que j’aime beaucoup, et que je compte bien reprendre un de ces jours). Il faut dire que cette histoire de boxeur sur le retour avait de quoi me plaire : d’abord, sa chaîne, FX. J’aime beaucoup HBO, je garde un œil bienveillant sur Showtime, mais FX a frappé très fort l’an passé avec les excellentes Justified et Louie. J’attendais donc une confirmation. Ensuite, il y avait l’absence de vedettes au casting (Stacy Keach et Catherine McCormack ne sont pas des stars) comme à la production (Justin Zackham, le créateur de la série, n’a de faits d’armes que le scénario de Sans plus attendre, un mélo papy de Rob Reiner avec Jack Nicholson et Morgan Freeman). Enfin, le monde mis en scène, celui de la boxe, genre à part entière au cinéma, promettait une histoire violente, rugueuse, passionnée, dramatiquement pesante. Bref, captivante.

Le pilote de la série m’a surpris par sa modestie, sa lenteur, son refus de nous mettre la tête dans l’action et la tension d’entrée de jeu. On y passe le gros du temps à constater la vie monotone d’un ancien champion du monde des poids lourds rangé des rings pour plaire à son épouse, désormais père au foyer et entraineur dans le club familial. Passé la première scène, fantastique (le héros, visage tuméfié, se remet – mal – d’un combat), ce pilote se tenait loin des crochets et des uppercuts, pour poser le personnage de Patrick « Lights » Leary, gros chat placide, doucement mis K.O par sa propre vie, le regard paisible mais vaguement assommé, sans étincelle. Pas de trace du « comeback » promis par la bande annonce. On l’attendra un bon moment – l’épisode 5, intitulé… The Comeback. Pari très risqué, mais payant. Quand Leary remet ses gants, on a eu le temps de s’attacher à lui et à sa famille. Le temps de craindre pour sa santé. Le temps d’espérer sa victoire.

Il ne se passe pas grand-chose dans ces cinq premiers épisodes, mais les scénaristes construisent, patiemment, les enjeux dramatiques de leur série. Fauché, malade (des lésions cérébrales), « Lights » doit remonter sur le ring. Une défaite, et ce serait la faillite pour sa famille. Une victoire, et il pourrait quand même y laisser sa peau. Les combats, remarquablement mis en scène, sont d’autant plus tendus qu’ils sont rares, d’autant plus dramatiques qu’ils ne sont pas un simple spectacle, mais l’expression brute des souffrances de l’ensemble des personnages — métaphore classique de la vie comme un combat efficacement utilisée ici.

Située dans le New Jersey des Soprano, Lights Out ajoute aux angoisses de ses héros les pressions du « milieu » de la boxe, des mafieux en puissance, un poil caricaturaux, mais qui permettent un contraste saisissant avec le camp de « Lights », des personnages humains, fragiles, mais certainement pas dénués de défauts. Leary, impulsif, apparaît d’ailleurs dans un premier temps comme un type violent, presque un homme de main de la mafia locale, avant d’entamer sa rédemption, et du coup de devenir plus attachant. Ces aspérités, et celle de ses proches – son père et entraineur, ombrageux, son frère, joueur, menteur et coucheur, sa femme, qui après s’être longtemps sacrifiée dans son “coin” du ring, peut faire preuve d’un certain égoïsme, etc. Le casting, impeccable, sert sobrement ces personnages, de Holt McCallany, on ne peut plus crédible sur et hors du ring à Stacy Keach, gueule idéalement cassée, en passant par les seconds rôles, tous très bien.

Petite sœur sérielle de Rocky, Lights Out réussit son pari : au bout de cette poignée d’épisodes, on se prend au jeu. On devient le spectateur du quotidien de cette famille cabossée, et on attend impatiemment le prochain combat de « Lights » – attente bien servie par des dialogues intelligents et quelques belles scènes musicales. Si les scénaristes tiennent la cadence jusqu’au dernier round de cette saison 1 – le 13e, un de plus que dans les règles du Noble Art – on pourrait bien finir dans les cordes…

Image de Une : Lights Out, FX

5 commentaires pour “Victoire aux poings”

  1. Je suis aussi d’accord avec vous. C’est une excellente série du câble comme je les aime. Fx nous donne des séries avec une âme, de la violence, de l’émotion et surtout humaine.
    Mais, j’ai une question à vous poser.
    Pourquoi ça ne marche pas côté audiences? Pareil, je ne comprends pas avec Terriers de Fx, pourquoi les spectateur ne suivent pas, mais suivent des séries sans grand interêt comme Bones ou House ou surtout Ncis.
    Certes, ce sont des séries décalés, mais je suis un peu désépéré de voir tellement de bonnes choses sans 2nd saison.
    Mauvaise nouvelle, j’ai lu que EastandBound n’aura pas de 4e saison. Je sais que vous êtes fan et moi aussi.

  2. @Walter Malheureusement, les séries du câble feront toujours moins d’audience que celles des networks. C’est mathématiquement implacable. L’essentiel, c’est qu’elles en fasse assez pour avoir droit de vivre plus d’une saison. Les oeuvres du câble repose sur la prise de risque, l’originalité, le “segmentant”, comme on dit chez les communicants. Or, si vous ne trouvez pas votre public, vous mourrez. Une série magnifique comme Rubicon ne tiendra ainsi pas plus d’une saison… Il faut accepter cette fatalité, voire même l’embrasser. Les oeuvres “maudites” ont leur charme, et meurent dans la fleur de l’âge. Je ne souhaite pas que cela arrive à Lights Out, mais c’est la vie… Quant à E&D, le Hollywood Reporter pense que ce n’est pas foutu : http://www.hollywoodreporter.com/live-feed/hbos-eastbound-down-could-continue-166949

  3. Merci pour votre reponse rapide, ça fait plaisir que M.Pierre Langlais vous répond.
    En effet, Rubicon, j’ai adoré. Mais, il faut avouer que c’était géniale mais face à Walking Dead et ses 6 millions de téléspectateur, il n’y avait aucune chance de 2nd saison. Pourtant, je pense que l’histoire de la première saison était trop forte qu’une 2e saison pouvait être décevante car niveau complot c’était trop top dans la 1e saison de Rubicon.
    Là, je dois avouer que AMC m’a déçu.

    Merci Pierre et je suis un vrai fan de vos articles, de vos reportages séries sur canal plus et surtout je suis accro de http://twitter.com/#!/MrSeries.

  4. Salut Pierre,
    Désolé, mais je ne vais pas être d’accord sur un point. Lights Out est bien des choses mais sûrement pas la version sérielle de Rocky (je parle uniquement du premier, pas des suivants), qui est une vision bien romantique de la question.

    Ce qui fait de Lights Out une série incroyable (outre le fait que les séries ne se sont jamais intéressées à ce sport magique qu’est la boxe) est qu’elle ne stylise pas la boxe. Elle essaie de la montrer comme elle est, sans l’embarquer dans une métaphore.

    La série tente et réussit une chose: parler de la boxe en dehors des combats. D’ailleurs pour l’instant les scènes de ring sont inexistantes, moins de cinq minutes en tout depuis le début de la saison.

    Lights Out dit deux choses fondamentales (je laisse de côté le caractère irlandais qui nous entraînerait dans une étude historique qu’il faudrait faire malgré tout): 1) la boxe est un sport qui est en train de mourir, 2) la boxe est un sport qui n’a jamais eu d’équivalent, un peu comme la tauromachie.

    Et les réactions qu’elle provoquent sont immédiatement du niveau de la vie ou de la mort. C’est comme ça, et c’est pour ça que ce sport m’électrise.

    Si je peux me permettre un conseil, lis la biographie de Sonny Liston faite par Nick Tosches (auquel on doit un bouquin génial sur Dean Martin), avec ce qu’il s’est passé avant le combat contre Mohamed Ali à Las Vegas. C’est génial.

    Cordialement
    Pierre

  5. @Pierre pour Rocky, je dis “cousine” (du dernier volet, en fait), juste parce que c’est l’histoire d’un comeback d’un boxeur retraité. Je n’ai pas pensé la question au-delà de ça 🙂 Pour le reste, bien vu. Je connais très peu la boxe, du coup je prend ce côté-là de la série comme il vient, sans la complexité très juste de ton analyse. Merci.

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