La cinquième saison de How I Met Your Mother vient de démarrer chez nous (sur NT1), alors qu’une toujours solide saison 6 est en cours de diffusion aux Etats-Unis. L’occasion pour moi de ressortir une longue interview que j’avais pu réaliser des deux créateurs de la série Craig Thomas et Carter Bays, il y a tout juste deux ans, pour un dossier spécial de Générique(s) (mars-avril 2009). Une interview où les passionnants scénaristes revenaient sur la création de leur série, sur sa narration complexe, et sur son sens de l’anecdote.
How I Met Your Mother est-elle le nouveau Friends ?
Craig Thomas : Il s’agit dans les deux cas d’une bande de copains pas tout à fait trentenaires, qui traînent ensemble à New York, qui passent leurs soirées dans un pub – ou dans un café – et qui vivent en colocation. Aussi flatteuse soit la comparaison, nous avons tout fait pour nous éloigner de cette image de « nouveau Friends », dont nous avons assez peur. Plus d’un s’y sont cassé les dents !
D’où êtes-vous parti pour créer How I Met Your Mother ?
C.T : L’idée de départ, c’était de suivre la vie d’un type qui arrive sur ses trente ans (Ted), dont les meilleurs amis sont sur le point de se marier, et qui du coup se met en quête de sa future femme. Sur son épaule gauche, il y a ce couple d’amis (Lily et Marshall), de vrais anges, et sur son épaule droite un diable (Barney), qui fait tout pour le maintenir éloigné du mariage. Voilà pour l’histoire. Pour le décor, les personnages, l’humour, nous nous sommes énormément inspiré de notre propre expérience. Carter, ma femme et moi-même avons vécu jusqu’en 2002 à New York. Pour dire les choses rapidement, Lily, Marshall et Ted, ce sont nous !
La quête de Ted est-elle si importante que le titre le laisse croire ?
C.T : Honnêtement, à l’heure actuelle, dans la quatrième saison, pas tant que ça… Il en est toujours question, mais de manière marginale. Plus les saisons passent, plus il est essentiel de se concentrer sur d’autres questions. Sinon, on tourne en rond. Disons que c’est l’arc central de la série, pas son sujet. Le vrai sujet d’How I Met Your Mother, ce sont ses héros, leur personnalité, leur passé, leur futur, pas seulement celui de Ted.
Carter Bays : Ce qui est certain, c’est qu’on ne va pas pouvoir attendre dix saisons avant que Ted ne rencontre sa femme. Ça deviendrait franchement lassant, à la longue.
Craig Thomas (à gauche) et Carter Bays (à droite).
La série s’arrêtera-t-elle le jour où Ted rencontrera la mère de ses enfants ?
C.T : Pas forcément. L’histoire du début de leur vie en couple peut faire partie de la série, par exemple. En fait, personne ne sait vraiment où nous allons. How I Met Your Mother, c’est un peu le Lost des sitcoms, une série bourrée de mystères.
C.B : C’est vrai, Lost doit être la série avec laquelle nous partageons le plus de points communs, puisque nous avons ce même goût pour la déstructuration du récit, les flashbacks et l’intervention d’événements passés dans le présent.
Comme Lost, n’avez-vous pas peur, en multipliant les flashbacks, de vous y perdre ?
C.T : C’est vrai qu’il nous arrive de perdre un peu la tête… Notre chance, c’est que nous travaillons avec les mêmes scénaristes depuis le début, et qu’ils ont tous une très bonne mémoire.
C.B : La majorité des scénarios et des blagues sont écrits à l’avance, mais nous laissons un maximum de place à l’improvisation et à la déconnade, qui amène souvent d’excellentes répliques.
C.T : Du coup, il nous arrive de réécrire une réplique, parce qu’elle est contradictoire avec un événement vieux de trois ans. Hier, en travaillant sur l’épisode 16 de la saison 4, nous avons relu l’épisode 22 de la saison 2, pour être sûr de ne pas faire d’erreurs. C’est un vrai casse-tête, mais la temporalité, la narration d’How I Met Your Mother démarque vraiment cette série de Friends et des autres sitcoms.
C.B : Ce procédé est sans doute complexe, mais il a le mérite de nous pousser dans nos retranchements et de nous forcer à résoudre des problèmes posés dans les saisons passées. Par exemple, l’histoire de la chèvre. Depuis le tout début de la série, nous nous amusons à la repousser ad vitam aeternam. Et bien, Ted la raconte, enfin, dans la quatrième saison.
How I Met Your Mother regorge de private jokes. Pourquoi ce goût du détail ?
C.T : Notre but, c’est que les téléspectateurs aient l’impression de partager le quotidien de nos personnages, de les connaître, de faire partie de leur bande. Avec Carter, nous travaillons ensemble depuis que nous avons 19 ans, c’est dire si nous avons eu le temps de créer des private jokes entre nous. Ce sont ces blagues que nous ressortons dans la série, tout simplement. Plus vous regarderez How I Met Your Mother, plus vous comprendrez les plaisanteries et les discussions à double sens, plus vous vous sentirez « intégré » à cette bande de copains.
Vous n’allez pas me faire croire que le « Naked Man », c’est du vécu…
C.T : En fait, si. Un de nos scénaristes l’a essayé. Il prétendait avoir couché avec la fille cinq fois sur six. Personne ne voulait le croire. Du coup, nous nous sommes dit que c’était une histoire si stupide et improbable qu’elle ferait un super épisode. La plupart des bonnes blagues d’How I Met Your Mother sont le résultat d’un souvenir de beuverie d’un des scénaristes !
Cherchez-vous délibérément à faire d’How I Met Your Mother une série culte ?
C.B : En un sens oui, mais pas pour être cool et tendance. Les cinq personnages de la série se connaissent par cœur. Du coup, leur univers est fait de clins d’œil et de souvenirs uniques, qui font sans doute ce côté culte. Notre but, c’est de faire rentrer le plus de téléspectateurs dans cette famille d’amis, en les initiant à ces private jokes que sont le Bro Code, le Slap Bet ou le Naked Man.
Celui qui prendrait la série en cours, à force de private jokes, n’aurait-il pas du mal à s’y retrouver ?
C.T : Nous essayons de trouver un équilibre entre les épisodes bourrés de références et les « stand alone. » Nous faisons le maximum pour prendre du recul et ne pas aller trop loin dans la private joke. Les nouveaux venus ne vont pas tout comprendre du premier coup, mais nous espérons qu’ils en saisissent assez pour poursuivre… ou faire le retard en achetant les DVD !
La principale attraction de la série s’appelle Barney Stinson. Qui est-il ?
C.T : Comme les autres personnages, il vient directement de nos souvenirs. Il est né de la « fusion » de deux de nos amis New Yorkais. Le premier était notre mentor durant les cinq années que nous avons passé sur le David Letterman Show, un type « larger than life », gros fumeur, gros buveur, gros mangeur, qui n’arrêtait pas de nous dire « boy, I’m gonna teach you how to live » (« je vais vous apprendre à vivre », ndlr). Si nous avions suivi ses « leçons », nous serions six pieds sous terre depuis belle lurette ! Il nous conseillait de boire beaucoup, de toujours porter des costards cravate et de ne jamais prendre le métro ! En gros, c’était un type qui vivait une vie parfaitement dingue, malsaine, mais qui était convaincu de détenir le secret d’une vie réussie. Notre seconde source d’inspiration était un fêtard comme on en voit rarement, qui voulait aller en boîte tous les soirs, qui nous appelait en prétendant avoir huit soirées différentes le même jour ! Techniquement, c’était un abruti, mais il était tout le temps motivé, tout le temps disponible.
Aviez-vous conscience que Barney allait voler la vedette aux autres personnages ?
C.T : C’est le personnage le plus extrême, le moins réaliste, et c’est pour ça qu’il est si drôle. Nous pouvons lui faire faire tout et n’importe quoi. Il n’est pas là pour qu’on s’identifie à lui, comme les autres héros. Néanmoins, dans la troisième et la quatrième saison, il gagne en intensité, en épaisseur, traverse quelques mauvaises passes. Du coup, il devient plus humain.
Les décors de How I Met Your Mother sont on ne peut plus classiques : l’appartement, le bar, etc…
C.B : Au départ, c’était une nécessité. Il faut limiter le nombre de décors, nous nous sommes donc concentré sur la colocation et le pub. Le plus important, c’est de faire vivre ces décors différemment, de leur donner une âme. Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est qu’How I Met Your Mother est un enchaînement de souvenirs. Tout ce que nous voyons n’est pas réel, c’est une réalité passée au prisme de la mémoire de Ted. Par exemple, je vous mets au défi de louer pour un prix raisonnable un appartement de la taille de celui de la série dans l’Upper West Side ! En « vérité », il devait être plus petit.
Les héros de Friends buvaient du café au Central Perk. Ceux de How I Met Your Mother tournent à la bière et au whisky !
C.B : Exactement, ça fait toute la différence ! Franchement, il ne vous arrive pas exactement les mêmes galères quand vous sifflez un café latte ou une bière ! Le McLaren’s est un mélange des différents bars où nous trainions quand nous vivions à New York. Il occupe une place centrale dans la nostalgie que draine la série, qui est en fait notre nostalgie. En plus, comme c’est un décor permanent, nous organisons de vraies soirées dedans, le vendredi, en fin de tournage…
Copyright Générique(s), 2009.
Image de Une : How I Met Your Mother, CBS.
à lire!!!