58 pages pour vivre ?

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Le 5 novembre dernier, le CSA a publié une étude intitulée “Pour une relance de la fiction française” réalisée par la Société d’Études Stratégiques pour le Cinéma et l’audiovisuel (SESCA). Un rapport de 58 pages censé donner les clefs à chacun (à commencer par le Ministère de la Culture, qui s’inquiète de l’écrasante domination des séries US sur nos séries hexagonales) pour comprendre la triste situation dans laquelle se trouve notre fiction, et proposer des solutions. Si vous êtes patient, vous pouvez le lire dans son intégralité. Si vous n’avez pas le temps, en voici la conclusion, que je me suis permis de commenter (en gras).

“La fiction télévisuelle française est bien en crise. Celle-ci se manifeste par le fait que cette fiction n’est pas le programme qui, globalement, réalise les plus fortes audiences alors qu’il est le programme le plus cher, mis à part les grands événements sportifs. Ces mauvaises performances sont soulignées par le succès de la fiction américaine qui est le programme le plus populaire de notre télévision alors que dans tous les autres grands pays d’Europe et du monde la fiction nationale domine largement la fiction américaine. Et nos fictions s’exportent très peu, à la différence de notre animation. C’est il est vrai un gros souci, que les producteurs français comptent régler, en partie, en faisant des œuvres en anglais. On peut aussi expliquer la domination des séries US chez nous par… la médiocrité de la majorité des programmes hexagonaux ou… le bon goût des téléspectateurs (les Allemandes plébiscitent Tatort, eux…)

Cette crise est due à la faiblesse de la fiction française de « rendez-vous » qui partout ailleurs est « le » programme phare de la télévision. Cette faiblesse a pour conséquence que notre fiction est peu diversifiée et globalement plus chère qu’ailleurs, parce quelle ne bénéficie pas des économies d’échelle que permet la fiction de rendez-vous. Cette fiction de rendez-vous est plus facile à promouvoir auprès des médias et susceptible de créer une véritable addiction qui, au bout d’un certain temps, fait monter mécaniquement l’audience. De fait, notre volume de fiction originale est très inférieur à ce qu’il est chez nos principaux voisins et notre fiction nationale est moins présente sur nos écrans que ne l’est la fiction nationale chez nos voisins. C’est en partie vrai. Plus belle la vie est un excellent exemple de rendez-vous réussi avec l’audience. S’il est évident que la production doit s’accélérer, il ne faudrait pas confondre vitesse et précipitation. Du moins peut-on espérer que nous atteindrons prochainement le niveau de production des anglais, soit une saison de 6 à 8 épisodes par an. Quand c’est bon, ça suffit à rendre accro.

Cette situation a de graves conséquences. Ainsi, notre fiction nationale ne joue pas le rôle de référence, de mémoire collective, qu’elle devrait jouer dans notre société et notre culture, laissant ce rôle à la fiction américaine. C’est une menace importante pour notre identité nationale. Par ailleurs, notre industrie de la fiction reste essentiellement artisanale au lieu d’être une véritable industrie. Je regarde essentiellement des œuvres américaines, je lis des romans américains et j’écoute de la musique américaine, mais ça ne m’empêche pas de consommer aussi de la culture française et de me sentir part d’une “identité nationale culturelle” française (même si, selon moi, une identité est le résultat du mélange de plusieurs autres identités, et tant mieux si on s’inspire un peu de nos cousins d’Amérique — sans les copier). Pour le reste, ce serait bien que notre fiction reste un peu artisanale quand elle sera dans une “véritable industrie.” Comme notre fromage.

Cette situation a une cause majeure : le processus de développement et d’écriture de notre fiction qui constitue un obstacle aux fictions longues (séries de plus de 12 x52’ par an, feuilletons quotidiens, sitcoms, etc.). Cet obstacle ne pourra être levé que par un changement radical des modalités de rémunération des auteurs : non seulement les budgets de développement d’écriture des fictions de rendez-vous doivent être augmentés pour être proportionnellement au moins aussi importante que pour les 90’, mais la répartition de ces paiements doit être aménagée au profit des premières étapes. Et la rémunération doit être due à la remise par l’auteur, non à l’acceptation par la chaîne. Si la chaîne n’obtient pas les modifications qu’elle souhaite elle a toujours le pouvoir de ne pas passer à la phase suivante. En contrepartie le ou les auteurs doivent s’engager à une exclusivité sur la fiction qu’on leur a commandée et à des délais de remise précis, qui doivent être globalement réduits par rapport aux normes actuelles. Plus d’argent pour les auteurs. Personne (sauf peut-être les chaînes) ne s’en plaindra. Le fait que les chaînes auraient “le pouvoir de ne pas passer à la phase suivante” semble proposer, à mi-mots, un système de pilotes, ou tout du moins des mesures pour aider les forces de propositions, donner des moyens aux auteurs de faire leurs preuves. Ça ne règlerait pas tout (on voit comment les séries sont sabordées de plus en plus tôt aux Etats-Unis) mais ce serait un mieux.

Mais les chaînes doivent également respecter des délais établis à l’avance et revoir radicalement leur process de décision. Enfin les auteurs doivent travailler beaucoup plus régulièrement en atelier et, s’ils n’en ont pas l’habitude, pouvoir bénéficier d’une formation permanente pour apprendre à le faire. Et cet enseignement doit être effectué par des professionnels qui ont une large expérience de ces méthodes, ce qui suppose de recourir à des étrangers, puisque très peu de professionnels français ont l’expérience du travail en atelier et qu’ils ne sont pas tous disponibles pour l’enseignement. La plupart des scénaristes ne demandent que ça : travailler en groupe, comme dans les “writer’s rooms” américaines. Si avec ça on les aide à se former et on fait appel au savoir-faire anglophone, ça serait une révolution. Mais il va effectivement falloir beaucoup plus d’argent.

Pour faire sauter ces goulots d’étranglement deux mesures principales sont proposées. Tout d’abord, l’affectation de 25% du compte de soutien au paiement des auteurs et la possibilité de ne l’utiliser que si les nouvelles méthodes de rémunérations sont mises en œuvre. Le détail des ces méthodes doit être négocié entre les auteurs, les chaînes et les producteurs. Ces trois-là vont de toute façon devoir finir par s’entendre. Sans ça, on avancera jamais.

En second lieu, l’instauration du mécanisme de tax shelter, inspiré du système belge, au profit des fictions de rendez-vous pour baisser le point mort de ces fictions et inciter les chaînes à sauter le pas en prenant le risque de moins bons résultats au départ comme France 3 l’avait fait avec Plus Belle La Vie. Certes, les niches fiscales n’ont pas le vent en poupe. Sauf quand on peut démontrer leur efficacité rapide. Or, le développement des fictions de rendez-vous permettrait à la fiction française de passer de l’artisanat à l’industrie. Avec toutes les conséquences qui en découlent pour l’audience des chaînes, l’emploi, la diversité des programmes et les exportations. Et le développement de l’industrie française est une des priorités économiques de notre pays. Ce qu’il faut retenir ici, au-delà des détails financiers, c’est la notion de “laisser le temps”, malheureusement pas tendance en ce moment. Par définition, une série a besoin d’un peu de temps pour trouver son public. D’autant plus si c’est une œuvre exigeante — les meilleures.

Par ailleurs cet avantage fiscal serait très ciblé – uniquement la fiction de rendez-vous – et limité dans le temps, soit 5 ans. Si la fiction de rendez-vous française trouve ses marques, la fiction sera devenue un programme rentable pour les chaînes. Un cercle vertueux aura été enclenché et l’avantage fiscal ne sera plus nécessaire ou pourra être réduit. Dans le cas contraire, le système ayant été inefficace, il ne sera plus nécessaire d’en poursuivre la mise en œuvre. A mon avis un poil utopique. Rien n’est jamais acquis à la télévision, a fortiori en matière de séries. Ce n’est pas parce que les audiences globales augmentent que le ciel va d’un coup se dégager et l’avenir des séries françaises devenir radieux. 5 ans, ce sera néanmoins déjà ça de pris.

Les mesures, et notamment les incitations financières proposées pour résoudre ces problèmes devraient donc permettre de transformer ce qui apparaît comme un cercle vicieux en spirale ascendante.

2 OBJECTIFS PRIORITAIRES

1. Refaire de la fiction française le programme le plus populaire de la télévision française. Utopique. Habitué à la qualité des séries US, qualité grand public ou plus pointue, les téléspectateurs ne la délaisseront qu’en cas de changement drastique de direction de la fiction hexagonale. Or, les grandes chaînes comme TF1 et M6 ne sont pas prêtes à cesser de flatter la fameuse ménagère, et de tendre vers “le programme le plus populaire” au mauvais sens du terme. Autrement dit, le plus populo et le plus insipide.
2. Donner la priorité au développement de la fiction de rendez-vous c’est à dire les séries de 26 et 52’ d’au moins 20 épisodes par an et les feuilletons quotidiens qui permettent de réduire les coûts et de fidéliser le public. Comme dit plus haut, ça ne sert à rien de faire 20 épisodes par ans. 6 ou 8 pour les drames de 52′ et 13 ou 15 pour les comédies de 26′ ferait déjà bien l’affaire. Mais avec plus de séries différentes, sur des tons plus variés. Regardons de plus près ce que font les Britanniques.

12 PRINCIPALES MESURES PROPOSÉES

1. Aligner la rémunération des auteurs de 52’ et 26’ sur celle des auteurs de 90’ et développer le rôle du showrunner, véritable manager créatif d’une série.
2. Augmenter la rémunération des auteurs de toutes les fictions (y compris les 90’) dans les premières étapes de l’écriture d’un scénario, en tout cas dès le premier accord de développement entre le producteur et la chaîne.
3. Subordonner le paiement des auteurs à la livraison du texte, pas à son acceptation. Minimiser les intermédiaires et les versions contractuellement : toute réunion devra être préparée, les versions ne seront modifiées qu’avec les notes fusionnées de la chaîne et de la production, de façon à éviter la déperdition d’énergie et de version inutiles. Dans la mesure où la période d’écriture est payée, comme les “avances” en littérature, je suppose que les scénaristes seront tout à fait d’accord (après, je ne suis pas scénariste…).
4. Établir dès le premier accord avec la chaîne des délais précis de remise des textes et de leur acceptation ainsi que de la période de diffusion. Le process entier de décision et de responsabilisation des conseillers de programmes doit être revu : notes détaillées et signées (aucune modification sans compte-rendu écrit).
5. Réserver 25% du compte de soutien automatique au paiement des auteurs. Ces sommes ne peuvent être utilisées qu’à condition de respecter les règles fixées ci-dessus.
6. Instaurer le système de tax shelter au profit des fictions de rendez-vous avec une commande ferme d’un minimum d’épisodes annuel : pour les 52’ et les 26’hebdomadaires, 12 épisodes la première année, 16 la seconde, 20 la troisième. Pour les 26’quotidiens, 120 épisodes.
7. Assouplir le crédit d’impôt en instaurant une certaine proportionnalité entre son montant et le les dépenses réalisées en France. Cette mesure aurait pour but de permettre de développer les coproductions internationales. Les coproductions internationales qui sont une des voies d’avenir pour les séries. On en reparle bientôt sur Slate.fr
8. Supprimer la taxe de compensation d’arrêt de la publicité de France Télévisions sur les grandes chaînes historiques.
9. Inciter les grandes régions à créer un budget de soutien précis aux décors récurrents des fictions de flux.
10. Développer la formation initiale en écriture de fiction, notamment en faisant appel à de véritables expertises étrangères pour les fictions de rendez-vous. Cette formation doit être financée par les producteurs, les chaînes et les auteurs. Dégager les crédits à cet effet au ministère de la culture pour la formation initiale. Idéalement, une grande Université de la Télévision » regroupant tous les futurs acteurs du secteurs (techniciens, auteurs, réalisateurs, producteurs, diffuseurs/programmateurs/chargés de programme) serait souhaitable afin que tous ces futurs professionnels se connaissent et parlent le même langage.
11. Mettre en place un régime de financement de la formation permanente des auteurs.
12. Créer des aides régionales aux fictions de rendez-vous dans les budgets régionaux inscrites dans les dépenses économiques et non dans les dépenses culturelles.”

Image de Une : Confusedvision

3 commentaires pour “58 pages pour vivre ?”

  1. La menace de notre culture par l’invasion américaine?

    Commençons d’abord par ne plus trouver des mots anglais dans toutes les pubs car la vraie invasion c’est surtout celle du langage anglais qui s’infiltre dans le français, comme si la langue de Molière manquait de mot. Les Smoothies et autres baby dry premium sont quelques exemples.. Mais je digresse (un peu..)
    Ensuite, après avoir traité par le mépris la télévision pendant des années comme étant des sous oeuvres, la fiction française en a payé le prix. Le formatage des séries US est passé par là et ils vont devoir faire du chemin pour retourner la tendance. Pour ma part, s’ils ne veulent pas de confrontation frontale avec les séries US, il faut puiser dans notre patrimoine, je veux dire par là aller dans l’historique. Adapter des oeuvres que les américains ne peuvent pas avoir. Bien sur celà coute cher mais en tant qu’amateur de séries, nous ne nous dirons pas: “tiens ils ont pris ça ici ou là”

  2. Bonjour.
    Il faut aussi augmenter le rythme :
    Toutes les 12 mins, le public des USA est interrompu par une page de pub.
    En 12 mins, on a donc une réponse, une nouvelle question et un nouvel élément.
    En France, on a hérité des règles théâtrales des 3 unités :
    En un unique film (de 90 mins) ou un épisode (de 45 mins) :
    Unité de temps, de lieu et d’action.
    Il faut passer à une réponse, une nouvelle question et un nouvel élément en 6 mins, pour doubler le rythme étasunien.
    Avec cela, on pourra même exporter chez eux !

  3. Bon si on résume les solutions proposées sont :
    * Donner plus tôt plus d’argent aux scénaristes : pourquoi pas.
    * Faire financer par l’état ou les collectivités tout un tas de trucs : un peu facile et mal parti.
    * Faire en sorte que les projets soient mieux organisés : no comment.

    Bref des solutions peu convaincantes, peut être à cause d’une analyse peu convaincante aussi.

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