Dans le journalisme, il est de bon ton de s’étonner de tout. Ça donne l’air frais, et on évite de passer pour un gros prétentieux, du genre : “ben moi je l’savais.” Moi, je vais vous dire un truc : le succès du Mentalist, ça ne m’étonne pas du tout. Ne comptez pas sur moi pour vous écrire un truc du genre “l’incroyable succès” ou “le surprenant succès”, ou — bref, prenez le dico des synonymes et déclinez toute l’entrée “surprise”). Je n’aurais pas l’outrecuidance de vous dire que je savais dès l’annonce du projet que la série de CBS allait battre des records d’audience. En fait, je m’en foutais pas mal, du Mentalist. A la base. Parce qu’il suffit d’y jeter un seul coup d’œil pour piger sur le champ pourquoi Patrick Jane a dépassé la barre des 10 millions de ménag… pardon, de téléspectateurs cette semaine sur la Une (mince, je me sens vieux quand j’écris “la Une” à la place de TF1). Je vais tenter de vous prouver ça. En dix points, parce que j’aime bien les chiffres ronds.
1. TF1. En France, j’entends. Ou CBS aux Etats-Unis. Ça aide de passer sur une grosse chaîne, surtout la plus grosse. La preuve : combien d’entre ceux qui suivent Mentalist sur TF1 sont aux courant que c’est une seconde diffusion, puisque c’est TPS Star, sur le câble, qui dégaine chaque saison la première. Ne me demandez pas pourquoi Canal+ (proprio de TPS Star) n’a pas encore récupéré la poule aux œufs d’or. A mon avis, une histoire juridique. A creuser… Bref, Patrick Jane, même sur France 3, ne dépasserait pas la barre des 5 millions de fans. Avec sa force de frappe, TF1 ferait un carton en passant Loulou la Broquante. Alors Mentalist…
2. Dr House. Sans son prédécesseur sur la Une, Patrick Jane serait encore sur le câble. Non seulement House a relancé la consommation lourde de séries en France, mais il a aussi boosté le retour des antihéros sympas à la télé américaine. Jane et House ont pleins de points en commun, dont celui d’être super plus forts que tout le monde et de bien le faire comprendre. Et la solitude. Et le passé pourri. Jane est, disons, une version bonne famille bien peignée du rock’n’roll Gregory House. On préfère House, mais ça n’empêche pas le lien de parenté…
3. Robin Tunney. Avant d’incarner Theresa Lisbon, la partenaire de Jane, Tunney est apparue dans… le pilote de House. Message subliminal ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Ce qui est sûr, c’est que Tunney, exposée internationalement grâce à Prison Break, a aidé Mentalist à se faire connaître. Chez nous, pour tout vous dire, quand la série a été lancée, on m’a dit des trucs comme “C’est qui Simon Baker ? Parles-moi plutôt de sa copine, je l’ai vu se faire dégommer dans Prison Break.” En plus, Robin, pour un sidekick, c’est impec’ comme nom.
4. Bruno Heller. Le jour où j’ai réalisé que le gars qui a imaginé The Mentalist, c’est celui qui avait créé Rome, je me suis dit que : 1. Il se paye notre tronche ou quoi ? 2. Rome, c’était pas lui, c’était un type enfermé dans sa cave. 3. Heller est d’un cynisme révoltant pour pondre un polar milieu de tableau après un projet aussi ambitieux que Rome. Il s’avère que le monsieur n’est pas complètement cynique, et qu’il a pour but, je cite Robin Tunney, de “produire une série grand public qui puisse être intelligente, passer du monde du câble à celui des networks sans vendre son âme, et en apportant dans ses bagages une expérience et un ton inédit.” Allez, disons qu’Heller est une sorte de super braqueur d’audimat. Il a tout pigé, il a concocté une bombe à faire sauter Médiamétrie, et il empoche les dividendes. Un peu cynique, mais on ne peut pas trop lui en vouloir.
5. Simon Baker. Je serais curieux de savoir combien de ménag… pardon, de téléspectatrices regardent Mentalist pour les beaux yeux — de cocker — de l’acteur australien. Ce garçon a du charme, il faut le reconnaître, et même si on lui filerait volontiers une bonne paire de baffes, ça colle à merveille à son personnage. Il faut s’incliner devant la classe de son brushing et devant son style garçon de café, qui passe étonnement bien à l’image. Surtout, Baker possède la meilleure des armes : l’anonymat. Enfin, avant. Pour moi, Tim Roth ne sera jamais complètement se gros cabotin de Cal Lightman (Lie to Me). Baker, lui, EST littéralement Patrick Jane. Et le restera. C’est con pour lui.
6. Polar. On rentre ici dans le cœur de l’équation. “Polar”, c’est un peu le “x” de base. Comme dirait la Bible si elle avait un passage sur l’audience, “si tu veux faire un carton, fais un polar.” Bruno Heller, qui n’est pas né de la dernière pluie (voir ci-dessus), a donc fait un polar. Je ne vous ferais pas l’insulte de vous expliquer les raisons de l’immortel succès des polars (quoi qu’un peu, si) : héros intrépides, suspens, méchants au kilo, reflet de la société à travers ses crimes et ses souffrances, pathos… et j’en passe. Il n’y a que le médical pour tenir la comparaison. Le gros malin de l’histoire, c’est House, qui cumule.
7. Héros décalé. “Décalé”, c’est comme “jubilatoire”, ça ne veut pas dire grand-chose, mais ça parle à tout le monde. Un “héros décalé”, c’est un héros pas comme les autres. Qui ça “les autres” ? Ceux d’avant. Bref, disons que Patrick Jane, ce n’est pas le bon vieux flic droit dans ses baskets. Il triche, il dérape, il se paye la tronche de tout le monde (y compris la notre), et tout ça en souriant. Du coup, c’est un tantinet rafraîchissant. Ça revient à parler de House, et d’autres. Le chevalier blanc n’a plus franchement la cote dans les séries. Aussi lisse soit-il extérieurement, Jane est un sacré foutoir à l’intérieur, et gère un énorme égo (comme House, comme Lightman, etc.). Ce genre de sale type sympathique est tendance.
8. Empathie. Restons sur le personnage. Dès les premiers instants de la série, Bruno Heller a mis le paquet pour qu’on se prenne d’affection pour son héros, au-delà de son caractère de cochon — mais de gentil cochon. Comment voulez-vous ne pas vous ranger aux côtés d’un mec qui a découvert le cadavre de sa femme et de sa fillette ? Autre jolie idée de Heller, avoir inversé le rapport homme-femme habituel des couples policiers. Ici, c’est Lisbon qui materne Jane… et du coup toutes les téléspectatrices qui sont invitées à en faire de même. Jane, c’est un grand gamin, au fond.
9. Épisodes bouclés. C’est la triste réalité du moment. Le feuilletonnant, ça ne marche plus. Regardez où a fini Lost. Le truc, c’est l’épisode bouclé. Une histoire. Un crime. Basta. Ou pas. Les chaînes françaises n’ont pas encore compris (en fait, elles font semblant de pas avoir compris, les malignes) que l’épisode 2 est prévu avant le 7. Avec une série à épisodes bouclés, on peut mettre les plus vendeurs en premiers. Et gonfler l’audimat. C’est très moche, mais c’est ainsi (notons que TF1 s’est un peu calmé, mais dérape encore au plaisir). Les téléspectateurs ont l’air de s’en foutre. Et tant pis pour l’évolution du personnage, qui n’est pas bien violente ici il est vrai. Avec le “bouclé”, c’est scientifique. Tu rate un épisode du Mentalist, t’es pas largué. Et tu reviens quand tu veux.
10. No surprises… ou presque. Donc, Mentalist est une série “à l’ancienne”, carrée, solide, qui reprend les codes du polar, s’inscrit dans une tendance forte du moment (le héros décalé caractériel et “unique”, à l’inverse des séries chorales), et se repose sur le charme de son interprète. Au fond, quand on a vu un épisode, on les a tous vu. C’est ce que demande le peuple, qui déteste les surprises, et aime qu’on soit fidèle à ses attentes. Heureusement, Heller n’est pas un cynique absolu, et soigne son produit (on peut parler ici de produit). D’artiste sur Rome, il est devenu artisan. Ce n’est pas une insulte. On se réjouit donc volontiers de voir Mentalist, qui se laisse regarder sans déplaisir, faire de gros scores . Ça vaudra toujours mieux que Joséphine.
Image de Une : Mentalist, CBS/TF1
Vous oubliez de parler des personnages à l’éthique irréprochable (Rigsby, Grace, Kimball, Lisbone … enfin presque tous quoi), qui permettent aux spectateurs de se sentir du côté des bons, des gentils.
On a souvent droit à de longues tirades sur comment les méchants sont de gros méchants et comment l’innocence et la gentillesse c’est cool. Et ça c’est bien gonflant.
C’est là la principale différence avec House, peu de personnages arborent de pareil élan de moraline (à la limite au début de la série, mais face au succès de celle-ci, les scénaristes ne se sont pas privés de rendre les autres personnages aussi cynique que House).
Pourquoi est-ce que c’est la chaîne du temps de cerveau disponible qui offre aux privilégiés du câble et du satellite les séries en VO sous-titrées et pas le service public? Défense de la francophonie?
En fait, la VM (Version Multilingue) est disponible sur TF1, si vous avez la TNT. Donc pas que pour “les privilégiés du câble et du satellite”. En revanche, c’est vrai que France Télé n’est pas au top de ce système…
J’ajouterais un 11ème point si tu me le permets (désolé pour l’arrondissement :p): il y a aussi de quoi satisafaire les fans qui suivent inconditionnellement la série: le fil rouge de la série, ce qui donne un vrai sens à l’oeuvre totale: le méchant qui revient et revient encore. En essayant de ne pas trop en révéler, ça me fait un peu penser à Murdock dans Mac Gyver… et je pense que ça, c’est la différence qui permets de cartonner auprès de TOUT LE MONDE.
Qu’en penses-tu?
L’article est intéressant même si je pense que le polar mérite une étude plus approfondie (mais ces études existent). On pourrait simplement dire que l’intrigue du polar est très facile à mettre, car le détective qui cherche à décrypter une situation c’est déjà un spectateur qui suit une trame. Bref.
Je souhaite surtout réagir sur la fin et quelque chose qui n’a rien à voir avec Mentalist, mais qui me semble d’une importance primordiale: votre opposition entre artiste et artisan. Peut-on vraiment parler du statut d’artiste alors que c’est en totale opposition avec la notion d’art ? Je ne vais pas faire une thèse et aller tout de suite à une conclusion: il faudrait parler de l’opposition artisan vs. ouvrier. L’artisan est à l’origine d’artefacts alors que le produit n’a pas de signification particulière pour l’ouvrier. Quant à l’art il est de l’autre côté de l’artefact.
Bon article, on comprend bien que vous n’aimez pas trop mentalist.
Normal un homme ça ne va pas tomber sous le charme de Simon baker, sauf exceptions evidemment.
Et puis comme vous dites, la série change de l’ordinaire des experts,ncis et autres série policière.
D’accord avec cette analyse irreprochable.
“Regardez où a fini Lost.”
Lost a fini tres bien, le final etait meme excellent. Et juge comme tel par la plupart des spectateurs. Seule une minorite vocale parmi les fans n’a pas aime, surtout en France d’ailleurs, pays particulierement reticent a tout ce qui touche de pres ou de loin au spirituel et au religieux.
Mais, desole, Lost a tenu (presque) toutes ses promesses.
@Zpat. Je suis assez d’accord. Il faudrait ajouter ça non pas en 11e point, mais dans le “épisodes bouclés”, car c’est au contraire un élément feuilletonnant, qui donne une cohérence à l’ensemble.
@Benj. Quand je dis “regardez où Lost a fini”, je sous-entend “sur TF1 à 23h30”, en fait. Par ailleurs, je n’ai pas aimé la fin de Lost, mais là n’était pas mon problème ici…
Ah ok, desole, je n’ai jamais regarde Lost sur TF1 avec son horrible VF donc je ne risquais pas de comprendre la reference.
Bonjour,
Je pense que tu as oublié une donnée importante sur le Mentaliste. C’est très inspiré de Columbo appliqué aux années 2000-2010.
Je m’explique en trois points:
1) Columbo avait une intuition incroyable, presque un sixième sens, qu’il attribuait à sa femme…”Ah ma femme me disait…” racontait Peter Falk. Patrick Jane a fait abstraction de la femme, mais gardé l’intuition de Columbo. L’intuition de Patrick Jane , c’est la femme de Columbo.
2) Columbo était toujours habillé pareil avec son vieil imperméable, Jane pareil avec son costume trois pièce Gilet-Veston…
3) La vieille voiture française de Jane, une DS, est un copié-collé de la 504 de Columbo.
4) Un coupable qui apparait dans les 10 premiers plans, au bout de 5 minutes, un spectateur attentif connait le nom du criminel.
5) Des fausses pistes, grosses comme des ficelles de scénariste hollywoodien.
je suis qu’il y a encore plein de points communs…mais pas trop le temps de pousser la réflexion.
La principale différence est la place des seconds rôles, omniprésents chez le Mentaliste, inexistants chez Columbo.
Sinon Jane c’est Columbo.
Cordialement
@Alex. Tout à fait, vous avez bien raison. Un oubli de ma part. Ça n’explique pas le succès de la série, mais c’est un parallèle évident. Merci pour votre rappel.
bonjour, il y a quelques points intéressants dans votre article, mais il est dix fois trop bavard. Vous brassez plein de choses mais parlez si peu de la série ! C’est dommage, j’aurais lu avec plaisir une analyse plus approfondie de Mentalist.
Les gens qui promènent un regard condescendant sur le monde finissent par être fatigants. Le cynisme, c’est usant à la fin… et conventionnel. D’accord vous n’aimez pas TF1 mais les gens qui regardent une série sur TF1 ne sont pas tous idiots (ou des “ménag…”).
Pourquoi ne pas admirer le beau Simon et juste passer un bon moment ? Franchement ça vaut bien la plupart des téléfilms des chaînes publiques… Cordialement, Elise
Chère Élise, ceci est un blog, pas un article. Il s’agit d’un espace de liberté où il est question de s’amuser un peu, d’écrire de manière décalée, d’analyser parfois sérieusement, parfois de moins… Je n’ai absolument rien contre le Mentalist, avez-vous lu ma chute ? Il faut avoir un peu d’humour et d’autodérision. Je suis le premier à me payer ma propre tête, si vous me lisez plus régulièrement… Enfin, je ne suis pas cynique, au contraire, je suis un enthousiaste des séries, que je défend à longueur de posts. Le but même de ce post-là est de dire que je trouve normal le succès du Mentalist… même si, je vous l’accorde, on ne me fera pas dire que Mentalist est meilleure que Rubicon ou Louie, inconnues chez nous
CBS et TF1 ne vont pas nous faire une série “thought-provoking”, c’est évident. Mais on passe un bon moment loin du gore des experts, des histoire qui ne tiennent que sur des rebondissements scientifiques. Je pense que le facteur humain est ce qui fait la clé du “mentalist”. Tout est dans le titre. C’est lui et uniquement lui qui arrive à ses fins. Il y a effectivement beaucoup de Columbo comme le disait Alex.
(PS: et pour Lost, ce n’est pas une minorité qui a exprimé le sentiment de s’être fait avoir par des scénaristes qui ne faisaient leurs épisodes qu’au coup pour par coup. Cette série portait très bien son nom)
petit rajout: dans la lignée des (vrais) mentalistes: Sherlock en trois parties, réécriture du personnage à notre époque par le super Steven Moffat. Jubilatoire.