Déprogrammons ne vous déplaise

Chers fans français de Californication, j’ai le regret de vous annoncer que votre série est “déprogrammée.” En gros, elle est virée de l’antenne d’M6. Ou plutôt, mise au piquet trois semaines, pour mauvaises audiences. Elle reviendra fin novembre — sans doute qu’à ce moment-là, la concurrence sera moins rude, où un truc comme ça. En attendant, chers fans français de Californication, vous allez manger du NCIS. Donc, si tout se passe bien, vous aurez vu les épisodes 1 à 4 de Californication ces deux dernières semaines, puis trois semaines d’enquêtes dans la marine, puis la suite des aventures de Hank Moody. Et n’allez pas vous plaindre. Parce qu’en général, les séries “déprogrammées” ne reviennent pas.

Si on y réfléchit bien, “déprogrammer”, c’est intéressant comme verbe : il y a “dé” et “programmer” dedans. Donc, “déprogrammer”, c’est enlever de la programmation, donc ne plus prévoir de diffuser. Donc rompre une promesse. Revenir sur une décision. Que les séries déprogrammées ne viennent pas se plaindre, elles ont eut la chance d’être au programme. Bref. La déprogrammation est un art bien cruel, qui consiste généralement en une suppression de dernière minute, qui échappera au téléspectateur moyen qui, en allumant son poste, réalisera que sa série n’est plus là. Il commencera par vérifier sa montre — on est bien vendredi soir, bien en deuxième partie de soirée. Puis, nerveusement, il ouvrira son canard télé préféré, pour constater que lui aussi, il s’est fait avoir — une déprogrammation échappe en général aux magazines, qui ont déjà bouclé au moment de l’annonce. Il n’aura plus qu’à maudire la chaîne concernée — TF1 et M6 dans 80% des cas, France 2 ayant osé une affreuse feinte, celle de reporter la diffusion des épisodes de fin de saison en début de saison suivante… — et à se faire une raison.

M6 a ainsi jeté à la poubelle (ou mis au frigo), ces dernières années, Jericho (trois épisodes avant la fin), Kyle XY, Journal Intime d’Une Call Girl (deux épisodes avant la fin) ou encore la nouvelle version de Caméra Café. Rien d’immortel, me direz-vous, et vous aurez bien raison. Reste que toutes ces séries ont leurs fans, et que moi, personnellement, si on m’enlevait Rubicon ou True Blood deux épisodes avant leur conclusion, je l’aurais mal. Chez TF1, c’est Chuck, Monk, Las Vegas, Moonlight et Enquêteur malgré lui qui ont dégagé ces dernières années — ou changé de case, ce qui est moins barbare, mais un peu déroutant. Rare sont les séries de prime time à subir les foudres de la déprogrammation. On préfère en général accélérer leur diffusion (et paf, 4 épisodes d’un coup !), histoire de s’en débarrasser discrètement.

La télévision répond à des impératifs économiques. On ne peut pas laisser à l’antenne une série qui fait un bide. Mais pourquoi ne pas généraliser ce qu’avait fait TF1 avec Brothers & Sisters, déprogrammée et diffusée… en ligne ? Ça ne consolerait qu’une partie des fans (ceux qui maîtrisent un tantinet la toile), mais ce serait déjà ça. Des boulets d’audience comme Californication, déjà maltraitée en mai dernier, y seraient aussi bien. Parce que “déprogrammation”, pour le fan de série bien élevé, qui ne télécharge pas, qui ne pirate pas, ça pourrait se traduire par “on s’en fout de tes goûts, mec, ce qui compte, c’est le business.” Pas franchement une preuve de respect du téléspectateur.

Image de Une : Californication, Showtime/M6