Sex & the Abu Dhabi

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Je n’ai pas compté, mais le second volet cinématographique de Sex & the City, qui sort aujourd’hui dans nos salles, doit contenir, au bas mot, une cinquantaine de fois le mot “Abu Dhabi “ (on peut aussi dire Abou Dabi ou Abou Dhabi, mais nous garderons ici l’orthographe anglaise, celle du film). Pour tout critique ayant le sens du mauvais jeu de mot, c’est un régal : qu’une bande de copines accro au shopping s’exile dans un pays dont le nom sonne, chez nous, “à bout d’habits”, mérite bien un post. Malheureusement, la bonne humeur que ce genre de trait d’humour ras le parquet (ou plutôt ici ras la moquette) réveille, ne résiste pas longtemps à l’indigence du projet cinématographique et au sens autrement plus commercial que revêt le son “Abu Dhabi” dans Sex & the City 2.

Replaçons le décor. Dans cette seconde déclinaison cinématographique de la série de Darren Star, après une ouverture évidemment new-yorkaise, Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda s’envolent pour Abu Dhabi. Samantha est l’invitée d’un riche cheik, prétexte scénaristique sans intérêt autre que d’envoyer nos quatre héroïnes sous de nouvelles latitudes. En l’occurrence, donc, Abu Dhabi, “le nouveau moyen-orient”, summum du luxe, vendu ici comme une excroissance exotique et ensoleillée de la 5e avenue. “Dubaï, c’est fini”, nous jure le cheik. Les touristes Américains sont donc chaleureusement invités à visiter Abu Dhabi. Le film a été tourné au Maroc, mais c’est bien de l’émirat qu’il s’agit. De ses palais, de ses suites luxueuses, de sa mer translucide, de ses balades à dos de chameau, de ses milliards de dollars, de ses souks, etc. Une bonne partie de la population américaine peinant à placer l’Irak sur une carte, soyons certain que nombreux étaient ceux à n’avoir jamais entendu parler d’Abu Dhabi. C’est chose faite grâce à Sex & the City 2. Et pas loin d’une fois par minute.

Sommet de kitcherie orientalisante, Sex & the City 2 collectionne les clichés (le vendeur d’épices à longue barbe, les bédouins, les majordomes dociles, les limousines blanches, et au moins une bonne cinquantaine d’autres exemples) et s’offre — littéralement — le luxe d’une interminable visite des appartements de ses quatre héroïnes, magnifique pub pour hôtellerie locale. Le film aurait donc tout d’une honteuse pub pour Abu Dhabi, si les choses ne se compliquaient nettement en fin de course, suite au comportement “outrageux” de Samantha, habituée des préliminaires en plein air. A Abu Dhabi, nous dit alors en somme Sex & the City 2, la vie est un rêve, si on est pudique et qu’on se tait (quand on est une femme). Une fin en queue de poisson, qui révèle la “vraie polémique” qu’a soulevé le film, l’image qu’il donne de la société moyen-orientale, et en général des sociétés islamiques.

Maladroitement, Sex & the City 2 tente d’exprimer de la sympathie pour les femmes d’Abu Dhabi, coincées sous leurs burqas, mais ne fait qu’empiler les clichés sans épaisseur : oui, il faut respecter ces femmes, oui il faut les plaindre, et oui elles ont aussi le droit d’aimer la haute couture. Et ? Et c’est tout. Coincées chez elles, elles subissent le joug d’hommes grimaçants engoncés dans leurs costumes traditionnels, capables de porter plainte contre Samantha pour un “simple baiser”, clairement intéressés par les portefeuilles des héroïnes, mais pas par leurs libertés. Une dénonciation facile, plus condescendante qu’intelligemment critique, et qui a poussée certains commentateurs à parler d’un film anti-musulman.

En vérité, Sex & the City n’est sans doute pas anti-musulman, mais juste superficiel. Ce second opus vaut presque uniquement pour ses scènes de déjeuners entre fille, marque de fabrique de la série. Envoyer Carrie & Co à Abu Dhabi aura certainement fait entrer des sous dans la caisse des producteurs, mais c’est une grossière erreur. Premièrement, parce que cela ne sert ici qu’à jouer la carte Club Med de luxe. Deuxièmement parce qu’on parle moins de sex dans un pays qui n’aime ça (ce qui est dommage quand on s’appelle Sex & the city), et surtout, troisièmement, parce que ses scénaristes n’ont pas réfléchi aux conséquences sociétales et politiques du déplacement d’une série symbole de la liberté sexuelle des femmes (ne parlons plus de révolution des moeurs, dans la mesure où seule Samantha a échappée aux sirènes traditionnelles du mariage) dans un pays où elles sont encore opprimées. Vous me direz, ce n’est pas le but de Sex & the City. Dans ce cas là, il fallait rester à New York. Ça nous aurait évité d’affreuses affiches dans le métro, et un bon 2/3 de film gâché.

Image de Une : Sex & the City 2, Time Warner.

5 commentaires pour “Sex & the Abu Dhabi”

  1. D’accord, je pense que l’ignorance plus que le dessein politique est à privilégier. Mais où est le “City” du titre quand on quitte ce décor, si ce n’est pour payer à tout le monde des vacances au Maroc?

  2. Deja sex and the city hors la city ca la fout mal. En outre, vu que ce film est un spot publicitaire de l’office du tourisme d’Abu Dhabi ( inclus la compagnie aerienne locale ) oeuvrant pour bien emmerder la voisine Dubai, pourquoi ont-ils tourne le film a Marrakech? Ne me dites pas que c’est parce que le tournage a Abu Dhabi aurait enfreint trop de lois….le comble.

  3. Lisez cet article, en anglais, ça explique à peu près le bazar que ça a été. Au début, ça devait être Dubai, puis Abu Dhabi…
    http://abcnews.go.com/Entertainment/sex-city-sexy-arab-world/story?id=10375879

  4. “les femmes d’Abu Dhabi, coincées sous leurs burqas”

    Ah ah ah !!! J’ai vécu 3 ans aux Émirats, et il faudrait vous renseigner un peu avant d’écrire de telles âneries !

  5. Cher JPP, ce sont les femmes du film dont je parle. Pas celles que j’aurais vu si j’avais mis les pieds à Abu Dhabi. Vous devriez réfléchir un peu avant d’être aussi agressif 🙂

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