Générations Skins

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La série britannique Skins sera bientôt un film. Elle sera aussi prochainement adaptée sur MTV, aux États-Unis. On en fait déjà une œuvre culte. Ceux qui la suivent depuis son lancement, il y a déjà quatre ans, ne sont pas surpris de ce succès. Skins est sans doute la meilleure série mettant en scène des ados (et non “série pour ados” — j’ai bientôt 30 ans et je la regarde sans honte) de l’histoire du petit écran. Les fans d’Angela 15 ans et de Freaks & Geeks me pardonneront. Ce n’est pas que les aventures des jeunes de Bristol soient nettement supérieures à celles de ces chefs d’oeuvres maltraités par leur époque, mais elles illustrent désormais à la perfection ce qui fait, me semble-t-il, la différence entre une grande série et une bonne série : l’audace, au risque de l’échec.

Dès ses premiers instants, Skins s’est construite sur le besoin de fraicheur, de nouveauté, d’un regard différent et d’un fonctionnement différent. Écrite en bonne partie par de jeunes scénaristes, débutants ou quasi débutants, incarnée par des acteurs alors inconnus, la première saison de la série d’E4 (chaîne de l’excellente Misfits et de quelques autres œuvres tristement ignorées chez nous dont Cast Offs) était un modèle de prise de risque. Ton hésitant, écriture oscillant entre le sublime et la grossièreté, épisodes fulgurants et chapitres imparfaits, Skins avait saisi, dans sa candeur artistique, l’essence de l’adolescence. Inutile d’avoir vécu la même jeunesse que ces héros-là, on sentait, comme jamais auparavant, qu’une part de réalisme profond, qu’une justesse rarement atteinte se manifestait dans les virées délurées de Tony, Sid et consorts.

Ses auteurs auraient alors pu s’en tenir à ce fragile équilibre, consolidé dans une seconde saison à la limite de la perfection. Mais non. Pour leur troisième saison, il virent tout le monde, ou presque, et ouvre un casting façon Nouvelle Star à travers la Grande-Bretagne. On s’interroge. On craint le pire : que Skins perde son âme. Que ce dispositif ne soit qu’une vulgaire campagne de pub. Aux premiers épisodes de la nouvelle équipe, nos craintes sont confirmées. La troisième saison est un échec. La remise à zéro des compteurs n’a pas fonctionnée. Gratuitement vulgaire, rarement drôle, réservant de trop rares moments de poésie, la troisième saison est loin, très loin derrière les deux premières. On croit au naufrage… et Skins retombe sur ses pieds. Plus mélancolique, nettement mieux écrite et interprétée, la quatrième saison (la seconde pour la nouvelle équipe) nous rassure.

Avec le recul, on ne peut qu’admirer la fidélité des créateurs de la série face à leurs principes et leurs objectifs. Une troisième génération d’acteurs est en cours de casting. Peut-être les détestera-t-on, mais Skins ne se reniera pas. Tant qu’elle fonctionnera, elle changera d’équipe tous les deux ans. Si elle parvient à s’adapter aux évolutions de la société, à se renouveler pour de bon, alors elle constituera un document artistique et humain passionnant. Du point de vue purement sériel, elle apportera aussi la preuve ultime qu’une œuvre de télévision a tout à gagner à évoluer, quitte à se prendre les pieds dans le tapis. Le film Skins et le remake américain n’auront pas autant d’intérêt que la série elle-même. Ils lui permettront en revanche sans doute de mettre un peu d’argent de côté, de perdurer à travers les générations, et de nous faire espérer qu’un jour on puisse dire : j’ai eu mon Skins, et mes enfants ont eu leur Skins à eux.

Image de Une : Skins, E4/Canal+

3 commentaires pour “Générations Skins”

  1. La saison 3 ne pas trop plu, la saison 4 (je l’ai vue jusqu’à l’épisode 6) est ennuyeuse, ils sont dans la total caricature.
    Je trouve sa vraiment triste quand on voit l’effet que m’avais fait la saison 1 et 2 🙁
    Vivement la saison 4 et un retour aux origine je l’espère !

  2. Bonjour, je partage votre avis complètement. Je pense que vous oubliez néanmoins un aspect essentiel de la réussite de cette série : elle est formellement brillante. La seconde saison (encore elle) est d’une esthétique rare à la télévision ! A tel point qu’on peut rapprocher la réalisation de certains épisodes du cinéma d’auteur !!

  3. Skins est une excellente série. Osée, intelligente, juste.

    Mais (car il y a un mais…) je ne lui trouve pas les qualités qui font (In my humble opinion, comme dirai Angela) de Freaks & geeks et de My so-called life des séries à la hauteur des meilleures HBO.

    Outre que ces séries étaient (pour leur époque, mais même encore aujourd’hui…) elles aussi très audacieuses (les personnages représentés rompaient avec le bien-pensant des autres séries pour ado), elles avaient l’avantage de choisir le point de vue de l’adolescent “moyen” : sexe, drogue et alcool étaient présents, mais à doses raisonnables pour la majeur partie des personnages, et des familles présentes, avec leurs qualités et défauts.

    Skins, en choisissant l’angle des jeunes en forte rupture (le plus souvent) m’a toujours un peu dérangé à ce niveau. Plus facile pour capter l’audience, mais moins intéressante pour la plongée dans les personnalités, forcement limitées de par leurs excès à des archétypes moins crédibles (force est de reconnaitre tout de même que malgré ces choix, les auteurs fournissent une série d’une très grande qualité, et absolument superficielle).

    Après, l’histoire a démontré que les séries qui présentent des élèves “normaux” ne font pas de cartons d’audience. On peut donc pardonner aux auteurs de Skins de n’avoir pas voulu risquer cela. Et le caractère souvent outrancier (dans le bon sens du terme) des séries anglaises se ressent aussi dans ce choix. Mieux vaut de bonnes idées même dans l’excès que de la guimauve dans du pseudo-réaliste (Dawson 😉 ).

    (n’oublions pas la cultissime Degrassi junior High, qui a su marier l’exagération des situations à la normalité des personnages, le tout dans un contexte de quasi amateurisme, pour un résultat kitsh mais aussi d’une profondeur insoupçonnée)

    Bref, je continuerai à placer Freaks & geeks et My So-called life au dessus de tout ce qui s’est fait en série sur les ados.

    Mais Skins est sur la troisième place du podium !! 🙂

    En fait, si je me suis permis de réagir, c’est que vous écrivez cela : “Ce n’est pas que les aventures des jeunes de Bristol soient nettement supérieures à celles de ces chefs d’oeuvres maltraités par leur époque, mais elles illustrent désormais à la perfection ce qui fait, me semble-t-il, la différence entre une grande série et une bonne série : l’audace, au risque de l’échec.”

    Outre que je ne pense pas que Skins soit supérieur aux séries pré-citées (mais là c’est plus une question de gout), ces deux séries ont fait preuve d’une réelle audace elles aussi (et n’oublions toujours pas Degrassi 😉 ), et cela les a à l’époque plutôt desservi. Le monde n’était pas prêt, certainement 🙂

    Maintenant, la “révolution des séries” de 1997 a heureusement permis à l’audace de payer, et donc à une série comme Skins de plaire, vivre, se renouveler et montrer sa capacité à durer. Et c’est tant mieux ! Je ne peux donc qu’appuyer votre conclusion sur l’audace.

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