Je ne suis pas un fan d’Esprits Criminels. Loin de là. Mais puisque TF1 attaque le 5 mai prochain la cinquième saison de la série, j’ai du m’y plonger. J’ai retrouvé tout ce que je n’aime pas dans ce carton de CBS : des intrigues cousues de fils blancs, des méchants bien tordus comme il faut (et qui ne donnent pas envie de déménager aux Etats-Unis), des gentils… bien tordus aussi (le CV des héros de la série est effrayant : viol, suicide, mort des parents, etc.), et du profiling réglé en moins de 12 heures chrono, plus vite que la Redoute. J’ai aussi retrouvé dans Esprits Criminels ce qui fait toute sa puissance comique : son goût pour les citations. Grâce à elles, on s’amuse, et la série devient une balade morbide vaguement fascinante dans les esprits de chouettes psychopathes, et dans ceux de ceux qui les traquent. Or, ce goût de la citation n’est pas la propriété privée d’Esprits Criminels.
Ça fait toujours super classe, dans une série, de citer. Chez les profilers de Quantico, on y cite ne vous déplaise à chaque début et chaque fin d’épisode, rien que ça. Tout le monde y a eu droit un jour : Joseph Conrad, Nietzsche (plusieurs fois) et Churchill en un seul épisode, Faulkner, Einstein, Euripide, Jung, etc. Même Yoda y est passé (preuve que la série sait avoir le sens de l’humour). Évidemment, au bout de 111 épisodes (à l’heure où nous écrivons ces lignes), et donc pas loin de 250 citations, le dico des citations et google fatiguent. Une fois sur deux, on ne voit pas le rapport, mais on s’en fout, ça fait trop cool. Si on faisait claquer une phrase d’Aristote au début de chaque épisode des Experts Miami, Horatio Caine aurait l’air moins con.
Preuve que citer, ça fait intellectuel, l’autre roi de la citation des séries télé est un post ado aux aspirations littéraires, Lucas Scott, un des Frères Scott. Lui se limite à une remarque, toujours en voix off (comme dans Esprits Criminels) à la fin de certains épisodes de la série seulement. Forcément, puisqu’on est du côté littéraire, Lucas préfère les romanciers américains: E.E. Cummings, John Steinbeck, Oliver Wendell Holmes, Tennessee William, etc. On peut se moquer (et on le fait volontiers), mais cette manie de la citation (censée donner ici une épaisseur romantique au héros, qui sinon pourrait être confondu avec un simple bellâtre roi du basket) pourrait, sait-on jamais, faire découvrir certaines belles plumes aux jeunes téléspectateurs.
D’ici à ce qu’on entende à la machine à café des “Moi, depuis que je regarde Esprits Criminels, je lis Aristote et Sophocle tous les soirs” ou dans les cours de récré des “J’ai lu tout Steinbeck, comme Lucas Scott“, il faudra prendre l’art de la citation pour ce qu’elle est : un effet de style gentiment inutile et sympathiquement pompeux. David Simon avait su au temps de The Wire retourner l’effet à son avantage, en citant ses propres personnages, dans des insertions pas toujours très poétiques, souvent incompréhensibles hors contexte, mais concentrés de l’âme de la série. Florilège : “De la came sur cette putain de table”, “Tu ne peux pas perdre si tu ne joue pas”, “Les dieux ne peuvent rien pour toi”, “Je me réveille Blanc, dans une ville qui ne l’ai pas…”, “N’essayez pas de faire ça à la maison.” Comme disaient McNulty et Bunk dans l’épisode 4 de la saison 1 de The Wire : “Fuck.”
Image de Une : Esprits Criminels, CBS, TF1.