Sauf à offrir un sachet d'ecstas ou un pantalon baggy vintage, je ne vois pas comment ils pourront faire mieux la prochaine fois. La réédition à paraître cet été du premier album éponyme des Stone Roses mérite largement son surnom de «Collector's» : deux CD de singles et de démos, trois vinyles, une clé USB, des gravures, un livre… Et le disque originel, devenu au final le bonus de l'ensemble. Vingt ans après sa sortie, en juillet 1989, cette Bastille du rock anglais est-elle toujours bonne à prendre? The Stone Roses est-il un disque éternel ou une grosse baudruche à classements en tous genres? Une de ces vaches sacrées dont on fait les meilleurs hamburgers, comme disait Mark Twain?
Cette guerre des Roses fait rage depuis vingt ans, jusque dans les plus hautes sphères du rock anglais. Pour Alan McGee, l'ex-patron du label Creation, «leur son est sans âge, leur album aurait pu sortir en n'importe quelle année après 1966, il serait toujours irrésistible». Le regretté Tony Wilson, patron de Factory, aurait lui lâché (selon la légende): «Donnez des guitares et des partitions de Jimi Hendrix à mille chimpanzés, ils finiront par sonner comme les Stone Roses». Du côté des musiciens, Noel Gallagher, qui n'a cessé avec Oasis de vouloir refaire les Stone Roses, mais avec des semelles de plomb, payait ses dettes dès le début de sa carrière dans une interview aux Inrockuptibles: «Pour moi, l'exemple à suivre, c'est les Stone Roses, un groupe qui file à son rythme et se fout complètement des autres». Eddie Argos, le chanteur du groupe Art Brut, avait lui choisi l'exemple des Mancuniens à l'occasion d'une enquête sur les albums les plus surestimés: «Quand je suis bourré en boîte, je finis généralement par me disputer avec le DJ qui les passe. C'était un groupe horrible, vraiment horrible».
Du côté des procureurs, la liste des arguments est longue: le son envapé et la production datée de John Leckie, les tee-shirts XXXL, les clips sur fond de ciels oranges et montagnes violettes, les slogans vieillis (“I Wanna Be Adored”, “I am the Resurrection”) sur fond de grand messes pour le temps passé (le concert géant de Spike Island)… Un disque accouché sous extase et qui aurait subi une adolescence ingrate. Un groupe sans durée — la faute à un deuxième album, The Second Coming, moins mauvais que ne le veut sa réputation mais mille coudées en dessous du premier — et sans véritable postérité. Pas de reformation, comme une manière implicite de dire que tout cela n'a pas résisté à l'usure du temps. Si vous n'y étiez pas, vous ne comprendrez pas.
Madchester, fin des années 80, terminus.
Madchester, but not united, alors. Disqualifier le premier album des Stone Roses comme un disque de témoignage, comme on dit de certaines candidatures vouées à l'échec, c'est jeter le bébé avec l'eau aujourd'hui un peu saumâtre des Happy Mondays ou Primal Scream, eux signés à l'époque chez des labels vraiment hype (Factory et Creation), pas chez les méconnus Silvertone. Ce serait oublier à quel point ce disque était dès le départ bâti pour durer, avec ses deux moitiés élégamment séparées par une relecture des textes saints, ce “Elizabeth My Dear” esquissé depuis le “Scarborough Fair” de Simon & Garfunkel. Ecarter ses simples et solides qualités musicales: l'influence omniprésente du plus grand groupe sous-estimé des sixties (les Byrds), ce non-chanteur enchanteur (Ian Brown), ce Hendrix de l'indie-pop britannique (John Squire) et la section rythmique la plus funky du Nord (Mani et Reni). Négliger l'attitude de ce groupe qui, loin du one-hit-wonder, a pu mûrir son coup pendant cinq ans avant de jeter pratiquement tout ses forces dans ces quarante minutes. Comme en leur temps le Forever Changes de Love (versant psychédélique) ou le Marquee Moon de Television (version punk new-yorkais), The Stone Roses est un disque marqué par son époque mais qui la transcende par une folle ferveur, celle d'une profession de foi ou d'une nouveauté déjà testamentaire : “I'll live until I die”, chute de la face B “Going Down”, et tautologie qui semble tranquillement narguer les déclinologues.
C'est souvent sur ces faces B, d'ailleurs, qu'on trouve les messages codés qui résument le mieux un groupe ou un disque. Le même mois que The Stone Roses, les Mancuniens sortaient «Mersey Paradise», sublime appendice du single «She Bangs The Drums», et peut-être ce qu'ils ont enregistré de plus beau. «Rivers cools where I belong, in my Mersey paradise»: la Mersey, c'est cette source miraculeuse du rock anglais (le Merseybeat des Beatles des débuts ou des plus anecdotiques Hollies ou Herman's Hermits), qui part de la région de Manchester, la cité industrielle des sons arrogants du futur, pour se jeter dans la baie de Liverpool, le port de la pop anglaise éternelle et du songwriting canonique. En vingt ans, The Stone Roses a remonté cette rivière, de la sensation de la semaine au classique inusable. Et au milieu coule un chef-d'œuvre.
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Acheter The Stone Roses, édition Special, Legacy ou Collector's (Sony Music). Sortie le 10 août.