« FUCK ORANGE JUICE ! FUCK THE SMITHS ! FELT, FELT, FELT ! ». Il y a six ans, Stuart Murdoch faisait figurer ce cri de guerre dans les notes de pochette de Dear Catastrophe Waitress, sixième album de Belle & Sebastian. Peut-être que dans quelques années, un groupe indie osera s'attaquer à ses glorieux aînés en balançant un « FUCK BELLE & SEBASTIAN ! » sur son disque, ou assènera en interview, comme le personnage interprété par Jack Black dans le film Haute Fidélité : « Belle & Sebastian ? It sucks aaaaaaaaaasssss ». Et, au vu des derniers disques de groupe, quand même sacré en son temps plus grand de l'histoire du rock écossais, cela sera plutôt mérité.
God Help The Girl, le dernier projet de Murdoch, censé servir de bande originale à une comédie musicale qui reste à tourner, n'est pas un disque déplaisant. Pire : c'est un disque comateux, à l'encéphalogramme presque plat. Révélateur de la dégringolade essuyée par l'Ecossais depuis une décennie, quand un album attrape-coeurs (If You're Feeling Sinister) et quelques singles enthousiasmants (« Dog On Wheels », « String Bean Jean ») l'avaient sacré nouveau Morrissey pour toute l'internationale des jeunes gens mélancoliques.
Ce grand groupe adolescent a ensuite voulu grandir, passer aux choses sérieuses, devenir adulte : transformé en gérant de sa petite PME (morceaux sous-traités à d'autres membres du groupe, signature chez Rough Trade, deals de production avec des pointures du secteur comme Trevor Horn ou Tony Hoffer…), Murdoch a semblé perdre, au fil de ses new adventures in hi-fi, ce secret magnifique qu'on retrouve encore aujourd'hui à la réécoute de If You're Feeling Sinister. Plus un spleen discret que de la tristesse, moins des mélodies plaintives qu'une alternance parfaite de temps forts et de temps faibles, de couplets en creux et refrains en plein (« Like Dylan in the Movies », « Mayfly »). Avec tambours et trompettes, ces morceaux-là devenaient limpides avec le temps, quand on en grattait doucement l'écorce.
Aujourd'hui, les compositions de Murdoch, confiées à une troupe de chanteuses et à un autre ex-grand songwriter à l'inspiration déclinante (Neil Hannon, de The Divine Comedy), se révèlent tellement sur la longueur pour ce qu'elles sont dès les premières secondes, sans surprise (du sous-Bacharach, un instrumental jazzy pour ascenseur ou encore le 1582e pompage recensé à ce jour de l'intro du « Be My Baby » des Ronettes…) qu'elles en deviennent déprimantes. God Help The Girl est, à une ou deux exceptions près (« Musicians, Please Take Heed », notamment), prévisiblement joli et joliment prévisible. Un disque de table basse, du papier peint sonore pour platine CD, bien moins enthousiasmant dans le genre revival girl-group que le Volume One de She & Him, par exemple.
Alors, bien sûr, on pourra toujours vanter les qualités démocratiques du projet, puisque deux chanteuses, Brittany Stallings et Dina Bankole, ont été recrutées après des auditions sur le Net : mais, justement, n'est-ce pas la démocratie qui a tué Belle & Sebastian, l'idée qu'a eue Murdoch de confier un quota de morceaux à ses comparses sur chaque disque ? On dira aussi que ce n'est que la bande-son d'un film dont on n'a pas encore vu les images : mais justement, pourquoi ne pas les avoir attendues pour sortir ce disque, tant on a l'impression que Belle & Sebastian ne tient plus aujourd'hui que sur son imagerie classieuse, ses belles pochettes par exemple ? Sur l'une des dernières couvertures de magazine qui lui ait été consacrées, Stuart Murdoch, clope au bec et chapeau belmondesque, au côté de sa Jean Seberg à lui, détournait d'ailleurs une autre imagerie, celle du A bout de souffle de Godard. Aujourd'hui, plus de doute : le titre du film était prémonitoire.
Ecouter des extraits de God Help The Girl.
Acheter God Help The Girl (Rough Trade). Sortie le 23 juin.
Elitisme minable.
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