Qu’il est regrettable pour les étrangers s’intéressant à la Corée, que le principal journal anglophone du pays, le Korea Herald, soit d’un niveau encore plus médiocre que la plupart des médias en langue coréenne, dont la qualité laisse déjà à désirer.
Alors qu’on pensait avoir été abreuvé des moindres détails de l’anniversaire de Lee Keun-hee, chairman du groupe Samsung, fêté en grande pompe au Shilla hotel, propriété du groupe et dirigé par Lee Boo-jin, fille aînée du chairman, le Korea Herald n’en a visiblement pas eu assez et nous rapporte dans un article en page d’accueil de son site web des compléments d’informations précieux : le lendemain de cette fête d’anniversaire réussie et avant la fermeture temporaire de l’hôtel pour cause de travaux de rénovation, la fille du patron de ce conglomérat qui contrôle 20% du PIB coréen aurait réuni tout le personnel de l’hôtel et leur aurait offert un repas où pour une fois, les managers de l’hôtel faisaient le service pour le petit personnel.
Sans oublier de louer les talents de management de Lee Boo-jin, et de préciser que pendant les travaux, aucun personnel de l’hôtel ne sera mis à la porte, le journal rapporte que celle-ci aurait été émue jusqu’aux larmes, reconnaissante de la dévotion et des efforts de son personnel. Bref, nous ne pouvons nous empêcher d’être nous-mêmes gagnés par l’émotion devant tant de grandeur d’âme et d’humanité dont fait preuve le management de l’hôtel (donc de Samsung) et nous imaginons que c’est parce que toute la rédaction du Korea Herald fut tétanisée par l’émotion qu’il aura fallu mobiliser deux journalistes pour pondre ce qui doit être un copier-coller intégral des paroles d’un responsable de la communication de l’hôtel.
Si cet article a une vertu, c’est qu’il permet aux non coréanophones d’avoir un aperçu de la déférence avec laquelle la plupart des médias traitent les Chaebols et le groupe Samsung en particulier. Car dans un contexte de prise de conscience générale de la domination excessive des Chaebols sur l’économie coréenne, si vraiment on voulait traiter ce quasi-non-événement que constitue l’anniversaire du patron de Samsung ou des travaux que l’hotel dirigé par sa fille aînée est sur le point d’entamer, il y aurait mille et un angles beaucoup plus intéressants de le faire que celui de s’extasier devant la magnanimité des dirigeants de Samsung, à commencer par celui du coût d’une telle fête privée ou encore de l’identité de celui qui paiera l’addition.
Cet anniversaire de l’homme le plus puissant de Corée du Sud aurait pu être également l’occasion de se demander pourquoi 50% de l’économie coréenne et plus de 80% de ses exportations sont entre les mains d’une dizaine de groupes, eux-mêmes contrôlés par des familles qui se transmettent le pouvoir depuis trois générations grâce à des schémas opaques de participations croisées.
Non pas qu’il faille poser un regard inquisiteur sur tous les faits et gestes de familles, aussi puissantes soient elles, dans leurs sphères privées ou les soupçonner systématiquement d’être mal intentionnées. Mais au moins, faire preuve de vigilance et d’esprit critique lorsqu’on choisit d’en parler. Car à force de faire passer docilement tous les messages que les dynasties régnant sur l’économie sud-coréenne souhaiteraient voir diffusés pour soigner leurs images, le Sud se retrouverait rapidement avec une presse digne de celle du Nord.
la qualité est-elle pire qu’en Europe et en France, où la couleur de l’immense majorité des journalistes, et leurs positions politiques, est en contradiction avec 47% des français? la situation est pire encore dans les médias publics, qui ne sont pas supposés être des médias d’opinion, et financés par tous les citoyens…