Je suis à 500m de mon bureau lorsqu’au dernier carrefour, une dame en vague uniforme se tient au milieu de la chaussée et fait des gestes qui se veulent autoritaires mais qui respirent la panique, pour tenter d’arrêter la circulation chargée d’un jour de semaine à Séoul. Un accident? Une personne âgée en difficulté au milieu de la chaussée? Une classe de primaire de sortie? J’ignore donc le feu qui pourtant m’indique de passer, et m’arrête à quelques mètres de cette farouche ménagère pour constater que non, rien ne justifie un tel blocage de la circulation.
Le temps de baisser la radio et je constate que des sirènes hurlent au loin, un peu comme celles qui s’exercent à Paris tous les premiers mercredi du mois. Mais ici elles annoncent une menace bien plus tangible qu’en France: celle que constitue la 4ème armée au monde, dont les principales capacités sont amassées à quelques 70km d’ici et avec qui la Corée du Sud est toujours techniquement en guerre. Il faut bien ça pour que Séoul, la ville qui ne s’arrête jamais, s’arrête avec peine le temps de répéter les mesures à prendre en cas d’attaque aérienne.
Je dois dire que l’exercice n’est pas particulièrement rassurant: les dames en charge de faire respecter les consignes de l’exercice sont certes farouches (il faut un certain courage pour tenter d’arrêter la circulation de Séoul à la force de son petit fanion), mais on les imagine mal faire preuve d’autant de motivation en cas d’attaque réelle. Autour de moi, quelques conducteurs font vrombir leur moteur comme s’il s’agissait d’un départ de grand prix de formule 1, trahissant ainsi leur impatience ; certains livreurs passent outre les consignes de notre sympathique ménagère et continuent leur route; au bord de la chaussée, les piétons qui ne peuvent traverser montrent plus d’agacement pour ce temps perdu que de réel intérêt pour un exercice dont ils semblent avoir oublié la justification.
Paradoxalement cet exercice de préparation montre le degré d’impréparation de la population à l’éventualité d’une attaque. Pour les gens du Sud, la menace du Nord a toujours existé. Séoul est tellement proche de la frontière qu’une menace nucléaire en plus ne change pas grand chose à leur situation: en cas de guerre, la capitale subirait de toute façon des pertes énormes. C’est sous cette épée de Damoclès que le pays s’est reconstruit depuis un demi-siècle.
Si bien qu’aujourd’hui les gens ont développé une accoutumance à la menace du Nord: présente vaguement dans l’esprit des gens, un peu plus précisément peut-être lors d’accrochages militaires qui arrivent à fréquence régulière, mais ignorée par le plus grand nombre dans la vie de tous les jours.