Le club des 20 – 50

Pour avoir entendu parler du club des 20 – 50, il faut assurément vivre en Corée car autant ce club est inconnu au bataillon partout ailleurs dans le monde, autant ce club fait les gros titres des journaux coréens ces jours-ci. Qu’est-ce donc que ce fameux club? Simplement la liste des pays qui respectent deux critères: un PIB par habitant supérieur à 20 000 dollars et une population supérieure à 50 millions d’habitants. Il seraient 7 pays dans ce cas là: Les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie et depuis le 23 juillet, date à laquelle les Coréens ont vu naître leur 50 millionième compatriote, la Corée.

Les médias coréens sont constamment à la recherche de classements ou autres gratifications à la gloire de la réussite fulgurante de leur pays. Il y eut notamment l’entrée de la Corée dans l’OCDE au milieu des années 90, dont la signification était réelle vu que cette organisation est généralement reconnue comme le club des pays industrialisés. Aujourd’hui avec ce club des 20 – 50, l’auto-congratulation paraît un peu plus tirée par les cheveux vu que ce club n’a aucune réalité si ce n’est dans l’esprit des Coréens.

Bien sûr tout ce qu’a accompli la Corée en un demi-siècle et ses performances économiques aujourd’hui sont impressionnants. Beaucoup de pays européens donneraient cher pour avoir la même croissance économique et les finances publiques que la Corée et il serait ingrat de dénigrer les réjouissances d’un pays qui a tant sacrifié pour se hisser en un temps record parmi les 7 premiers pays au monde en terme de richesse produite et de taille de sa population.

Mais ce que trop peu de journaux coréens ont tendance à relever c’est la courbe inquiétante de l’évolution de la population coréenne. Quelques articles parlent bien d’un déclin qui ferait que d’ici une trentaine d’années la population coréenne serait réduite à 40 millions, mais rares sont ceux qui s’attardent sur l’impact qu’aurait un tel déclin sur l’économie. Car avec un indice de fécondité de 1,23 en 2011, la Corée est le pays au monde qui vieillit le plus rapidement. Résultat, comme le note le Hankook ilbo, alors que les plus de 65ans ne représentaient que 6,1% de la population active en 1980, elle en représenterait 57% en 2040. On imagine l’impact sur la capacité de la Corée à continuer à créer de la richesse.

Il n’y pas pléthore de solutions pour contrecarrer cette évolution démographique inquiétante. Les Coréens devront à la fois augmenter leur productivité, faire travailler plus de non-actifs et accueillir davantage de travailleurs étranger. Je fais confiance aux Coréens pour améliorer leur productivité: entre les innovations technologiques et leur recherche progressive de l’efficacité en entreprise au détriment de la hiérarchie, le potentiel de progrès est réel. Pour faire travailler plus de non-actifs le challenge me semble plus relevé: il s’agirait de laisser plus de place aux femmes dans l’entreprise, ce qui implique un changement des mentalités. Or je suis moi-même surpris de la condescendance avec laquelle même mes jeunes collègues masculins traitent leurs collègues féminins. Surtout il faudrait une politique de la maternité permettant aux femmes d’être active et mère en même temps et sur ce chantier tout ou presque est à faire.

Enfin l’accueil plus massif d’immigrés semble lui illusoire. Certes la Corée s’est ouverte considérablement mais la quasi majorité des Coréens associent toujours à l’extrême leur identité au sang qui coulent dans leurs veines. Accueillir quelques Philippins ou Pakistanais pour travailler (au noir) dans les chantiers est donc à la limite accepté, mais il faudra attendre longtemps avant que les étrangers puissent jouer un rôle plus prépondérant dans la société coréenne. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir les manifestations de xénophobies qui se sont déversées sur Jasmine Lee, le premier député coréen d’origine étrangère, qui plus est une femme…

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L’ivresse de l’argent

C’est le titre du dernier film de Im Sang-soo, qui était en compétition officielle lors du dernier festival de Cannes. Un film ambitieux qui s’attaque à une problématique centrale en Corée: les Chaebols, ses conglomérats qui dominent tous les aspects de la société coréenne, à commencer par son économie bien sûr, mais également sa vie politique, ses médias et son pouvoir judiciaire.

Le regard de Im Sang-soo est très critique. Son film est basé sur un scénario fictif mais aucun spectateur ayant une connaissance même basique de la Corée ne pourra s’empêcher de faire un rapprochement entre la famille dépeinte par Im et celle qui règne sur le groupe Samsung et ainsi, sur 20% du PIB Coréen.

Mais revenons au film et à cette famille fictive. Celle-ci règne sur un Chaebol coréen fondé par un grand-père centenaire qui serait mort depuis longtemps sans les soins de tous les instants prodigués par une gouvernante – infirmière – cerbère dévouée. Aujourd’hui, son gendre est en théorie aux manettes en tant que CEO du groupe, avant que lui-même ne passe la main à l’un de ses deux enfants: son fils, favori au trône à l’ambition débordante, qui s’imaginerait déjà bien à la place de son père, ou sa fille aînée qui semble plus détachées des affaires. Mais très vite, on découvre que le père n’est qu’un pantin, qui plus est lassé par les compromissions et les humiliations qu’entraînent l’argent et le pouvoir. “L’argent est une insulte”, prévient-il à son fils trop ambitieux : il oblige à des choix qui insultent son éthique et sa dignité. En réalité, c’est sa femme, la fille machiavélique du fondateur, qui tient les commandes du groupe.

Je m’arrête ici dans la présentation de l’intrigue pour ceux qui seraient tentés d’aller découvrir ce film qui sort bientôt dans les salles en France. En Corée il n’a pas suscité un engouement démesuré, d’autant que la presse fut généralement négative à son sujet. Faut-il s’en étonner dans la mesure où les Chaebols doivent représenter à peu près 100% de leurs revenus publicitaires. On pourra néanmoins donner raison à certaines critiques sur le caractère un peu décousu du scénario, et sur la présence de quelques scènes un peu racoleuses qui ne font pas avancer le propos général (cela dit la plastique des protagonistes n’étant pas désagréable…)

On aura beau accuser le film de tous les maux, il vaut quand même le détour pour une scène en particulier. Vers la fin de l’histoire, le fils ambitieux, libéré sous caution suite à une affaire de corruption, retourne dans le domaine familiale dans une voiture accompagné de sa soeur et d’un partenaire américain du groupe. Au volant, le jeune secrétaire particulier de sa mère et héros du film au travers des yeux duquel on découvre les coulisses intrigues et coups bas au sein de la famille régnante. Le fils est agacé: pendant son séjour derrière les barreaux, sa soeur a pris de l’importance au sein du groupe au point qu’il sent que son accession à la tête de l’empire familial pourrait être menacé.

Pour déstabiliser sa concurrente de soeur, le frère joue sur ses sentiments: sachant l’idylle naissante entre elle et notre jeune secrétaire particulier, il dévoile que ce dernier a couché avec leur mère. Car il est vrai qu’au début de l’histoire, la mère, pour assouvir sa libido et se venger d’un mari également volage, “se tape” notre jeune héros non consentant au cours d’une des scènes les plus burlesques du film. C’est l’humiliation suprême pour notre héros qui voit dévoilé cette sordide histoire d’un soir avec la mère de la femme qu’il a commencé à aimer. Son sang ne fait qu’un tour, il arrête subitement la voiture et demande au frère calomniateur de descendre pour une explication entre hommes.

En tant que spectateur, on jubile alors à l’idée que notre héros, certes un peu naif mais physiquement très affuté, inflige une correction bien méritée à ce fils de bonne famille arrogant et sans scrupule, et par la même à toute une famille souillée par le pouvoir et l’argent. Hélas, c’est le contraire qui se produit, car ce fils de bonne famille a dû également recevoir une excellente formation en boxe anglaise. C’est lui qui flanque une rouste à notre pauvre héros, devant sa bien-aimée, le laissant gisant au sol avant de partir au volant de la voiture en criant: “c’est pour ça que les gens de ton espèce ne seront jamais de taille contre moi!”

Plus que toute autre scène du film, c’est à mon avis dans celle-ci qu’Im Sang-soo a capté ses sentiments et ceux de beaucoup de Coréens face aux Chaebols. Un sentiment de révolte de devoir subir les excès liés à leur domination sans limite, mêlée à une frustration énorme de n’y rien pouvoir faire, si ce n’est de l’accepter et au final, se résigner à essayer de tirer soi-même profit d’un tel système. Quel Coréen, à un moment donné de son existence, n’a-t-il pas été habité par ces sentiments mêlés de colère, de frustration, puis de résignation face aux Chaebols.

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Le Gaming en Corée

Lorsqu’on pense aux jeux vidéos en Corée du Sud, on pense avant tout à quelques faits divers sordides de gamers tellement accros qu’ils en meurent d’épuisement ou qu’ils laissent mourir leurs enfants pour continuer leur partie. Il ne faut pas généraliser ces quelques cas extrêmes, mais il ne faut pas nier non plus que les Coréens sont très (trop?) gourmands de jeux vidéos. Il suffit d’observer le nombre d’usagers du métro aux heures de pointe, tous âges, sexes et catégories socio-professionnelles confondus, englués à leurs écrans de smartphones pour une partie de baseball, de course de voiture, ou de décoration de leurs îles enchantées.

En Corée un passionné de jeux vidéos pourra en vivre s’il excelle dans cette discipline. Car si en France les jeux vidéos sont souvent perçus comme un passe-temps peu recommandable, ils peuvent en Corée devenir un véritable débouché professionnel pour qui sera suffisamment performant à Starcraft pour attirer l’attention d’équipes de gamers professionnels, sponsorisés par les Chaebols et s’affrontant dans le cadre de championnats dont la popularité n’a rien à envier à celle de la plupart des sports professionnels. Rien d’étonnant dans ce contexte que l’organisateur du plus grand tournoi de jeux électroniques, les World Cyber Games, soit une société coréenne, et que le tournoi lui-même soit sponsorisé par Samsung.

Dernière illustration de cette passion coréenne: l’engouement que suscite ici le lancement de Diablo 3, troisième volet d’un jeu de rôle longtemps attendu par les gamers du monde entier, mais particulièrement par ceux de la Corée: 5h30 après l’ouverture des serveurs de Blizzard, l’éditeur du jeu, un Coréen finissait déjà le jeu, tandis que tous les jours, ils sont environ 400 000 Coréens à se connecter simultanément, beaucoup n’hésitant pas à se connecter sur les serveurs d’autres continents provoquant la colère de leurs confrères étrangers.

Malgré ces excès, l’impact des jeux vidéos sur la Corée est sans aucun doute positif. D’un point de vue sociétal, l’addiction aux jeux vidéos pose bien sûr des problèmes sociaux, mais les jeux vidéos présentent également certaines vertus. Ils offrent à une jeunesse confinée par manque de temps et d’espace dans leurs salles de cours ou dans leur chambre, un espace de liberté, d’expression et de socialisation. Un espace certes virtuel mais aux effets bien réels: on s’y retrouve entre copains ou copines de classe par avatars interposés pour jouer, chatter, flirter… Autant de liberté que la société coréenne “in real life” n’offre que parcimonieusement à sa jeunesse.

D’un point de vue économique, le bilan est également positif. Et si la Corée dispose avec Samsung et LG de deux champions du hardware, elle dispose d’un formidable atout dans les contenus numériques grâce au secteur des jeux vidéos et son vivier de start ups, de talents, et ses millions de gamers. A l’origine de ce succès, un facteur favorable a joué un rôle majeur : la généralisation rapide du haut débit au début des années 2000, d’abord au travers d’Internet Cafés (“PC Bang”), puis dans tous les foyers, offrant ainsi un marché de millions Coréens avides de jeux à des start ups qui n’en demandaient pas tant. Les start ups d’hier sont devenus l’un des moteurs de la croissance économique coréenne d’aujourd’hui:  les trois plus belles réussites du secteur NHN, NCsoft et Nexon ont tous vu le jour dans les années 90, et emploient aujourd’hui des dizaines de milliers de salariés.

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