En Corée, on ne plaisante pas avec le recyclage des déchets. Il est non seulement très détaillé, mais respecté scrupuleusement par une population sensibilisée par des successions de campagnes de communication nationales et habituée à se mobiliser pour diverses causes nationales ou d’intérêt public.
Il suffit d’observer n’importe quel gardien d’immeuble pour se rendre compte à quel point cette affaire de recyclage est prise au sérieux: on pourra parfois le surprendre assoupi au milieu de la nuit, oubliant le temps d’un court répit son devoir de vigilance 24h/24; mais essayez donc de tromper sa vigilance au moment de jeter vos ordures ménagères, par exemple en jetant votre bouteille en plastique dans la poubelle préposée aux bouteilles en verre, et vous pouvez être sûr que quel que soit l’heure et le jour, il fondra sur vous afin de vous signifier sur le ton de la réprimande que non les bouteilles en plastique sont à jeter dans l’autre poubelle. Et si par malheur le gardien n’était pas dans les parages, vous pouvez être pratiquement assuré qu’un voisin amical viendra le remplacer dans son rôle de réprimandeur.
Tous les étrangers vivant en Corée vous le diront, le tri des déchets est un véritable casse-tête et j’avoue moi-même de grands moments de solitude au moment de devoir vider les poubelles certains soirs. Ici, tout se trie: les emballages et bouteilles selon leur matière en verre, plastique, carton, papier, ou métal, mais également les piles, les ampoules, les appareils électriques. Sans oublier les déchets alimentaires qui doivent être jetés séparément et qui seront recyclés en compost ou nourriture pour élevages porcins. Et comme il est peu commode d’avoir chez soi autant de poubelles que de matières différentes, la plupart des ménages séparent juste les déchets alimentaires du reste et attendent de descendre aux poubelles pour jeter chaque déchet dans la poubelle qui lui est destinée.
Quant aux réfractaires jusqu’au boutistes, ils peuvent soit risquer de payer une amende de 100EUR environ en se brouillant au passage à vie avec leur gardien d’immeuble, soit tout jeter dans des sacs poubelles spécialement dédiés à cet effet et vendus soit en grande surface en lieu et place des sacs plastiques généreusement donnés par leurs homologues français, soit dans n’importe quel convenience store. Bref un système un peu fastidieux à respecter au quotidien, mais fondé sur un principe de bon sens, où chacun est incité à participer un maximum au recyclage, soit en triant soi-même ses déchets, soit en finançant le traitement des déchets par l’achat de sacs plastiques dédiés.
Le secteur des entreprises n’est pas en reste. Depuis 2003, le gouvernement a mis en place un système de participation des entreprises à l’effort de recyclage “Extended Producer Responsibility”. Ce système rend les industriels responsables des produits qu’ils fabriquent ou importent tout au long de leurs cycles de vie en imposant à chaque producteur ou importateur un quota de produits recyclables annuels à respecter sous peine d’amende.
Ces efforts paient: alors qu’en 1995, moins d’un quart des déchets solides étaient recyclés en milieu urbain, cette proportion dépassait les 57% 8 ans plus tard. Tandis que le programme EPR permettait de réduire les émissions de CO2 de 412 000 tonnes par an grâce à la réduction de l’activité d’enfouissement et d’incinération des déchets.
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Le TGV, ce fleuron de l’industrie française qui sauve les meubles de notre balance commerciale, mais pour combien de temps encore? Il y a 20 ans, notre TGV national remportait un contrat majeur pour équiper le territoire sud-coréen d’un réseau ferré à grande vitesse. Contrat remporté de haute lutte face à une rude concurrence allemande et japonaise et au prix d’un accord de transfert de technologies pour qu’à terme les Coréens puissent développer leur propre modèle de train à grande vitesse.
Côté Français, on pense que le jeu en vaut la chandelle: le marché coréen est important, il constitue en plus une bonne vitrine du savoir-faire technologique français sur la Chine, et les technologies transférées sont celles de la première génération de TGV, préservant ainsi à la France une avance technologique confortable. Livrer suffisamment de technologies pour vendre mais en garder suffisamment pour toujours garder un temps d’avance sur ses nouveaux adversaires : un savant dosage qui dépend notamment de l’évaluation qu’on fait de la rapidité à laquelle les clients d’un jour pourront assimiler les technologies livrées pour batir une offre concurrente.
En terme de rapidité, les Coréens se débrouillent: après quelques débuts difficiles dans la construction du réseau ferré (la Corée est un territoire à 70% montagneux) les premières lignes à grande vitesse sont mises en service en 2004. Les premiers KTX (Korea Train Express) ravissent des passagers bluffés de pouvoir faire dans la journée un aller-retour entre entre Seoul et Busan, la grande ville portuaire au sud-est de la péninsule. Mais pour les habitués d’un Paris – Lyon en TGV, rien de très excitant car mis à part la couleur, les logos et quelques écrans plats équippant les wagons, il s’agit exactement du même train que celui qui sillonne la France à 250km/h depuis le début des années 80.
La SNCF et Alstom peuvent-ils rester sereins? Ils ont vendu une version antérieure de leur joyau, dont par ailleurs il n’ont pas livré tous les secrets vu que les Coréens doivent continuer à importer certaines pièces de France. Sauf que dès 1996, la Corée lance son programme de développement d’un train à grande vitesse 100% indigène. Ils repartent des plans livrés par la France et mettent au point un KTX deuxième génération (KTX-Sancheon) capable de transporter 360 personnes à une vitesse commerciale de 305km/h, dont les premiers modèles furent mis en service en 2010. Cette mise en service en un temps record engendra d’ailleurs son lot de couacs et défaillances techniques forçant annulations et retards de trains.
Mais ces ratés s’effacent au fur et à mesure que la technologie coréenne des trains à grande vitesse avance. Début mai, le HEMU 430X, prototype de dernière génération fait ses premiers pas en parcourant une trentaine de kilomètres au sud de la péninsule. Doté de la technologie de traction distribuée comme l’AGV, le dernier né d’Alstom, il atteindrait la vitesse maximale de 430km/h et une vitesse commerciale de 370 km/h. Des performances pures peut-être encore en deça de l’offre française, mais si l’on prend en compte la capacité des Coréens à proposer des délais et des tarifs imbattables, on ne peut nier qu’en 20 ans, la Corée est passée du statut de client à choyer à celui de concurrent à redouter.
lire le billetLes élections présidentielles françaises ne sont pas passées inaperçues en Corée. Et si la majorité des Français serait bien incapable de nommer le Président sud-coréen (Lee Myung-bak), à l’inverse une majorité de Coréens connait au moins Sarkozy de nom, la plupart pouvant même citer l’un des faits marquants de sa présidence: son mariage avec Carla Bruni. A l’heure où son successeur entre à l’Elysée, voici un panorama de la couverture de l’élection présidentielle par la presse coréenne.
Le JoongAng Ilbo, quotidien conservateur, a bien du mal à cacher sa peine de voir “les socialistes pour la première fois au pouvoir depuis 17 ans“, oubliant au passage les 5 ans de gouvernement Jospin (mais il est vrai qu’en Corée, le Premier Ministre n’est qu’un directeur de cabinet du Président). Le quotidien qui titre “Le choc Hollande sur l’économie mondiale” affirme que “le changement pour Hollande c’est renverser toutes les mesures mises en place par Sarkozy.” Si Hollande a remporté les élections, c’est parce que son discours aurait su séduire “tous ceux qui ont dû se serrer la ceinture suite à la crise” en promettant notamment la création de 60 000 postes dans l’Education Nationale et le retour de la retraite à 60 ans.
Mais le quotidien ajoute que Hollande n’a pas précisé comment il financerait ses mesures. “Tout juste a-t-il parlé d’imposer les très riches à 75% et les hauts revenus à 45% au lieu de 41%.” Le JoongAng Ilbo en est persuadé: “beaucoup craignent la logique des socialistes: augmentation des impôts -> augmentation des dépenses publiques -> remise à flot de l’économie -> croissance économique -> création d’emplois“. Et de conclure en citant un électeur d’un quartier huppé parisien: “Si Hollande passe, je m’exile.”
Le Chosun Ilbo, premier quotidien du pays et également conservateur, n’est pas non plus étouffé par la joie et titre également “Le choc Hollande sur l’économie mondiale”. Il offre un panorama plus complet de l’impact de l’élection de Hollande: une remise en cause des choix du couple Merkel Sarkozy au profit de la croissance et au détriment de la rigueur budgétaire, et le retrait prématuré des troupes françaises d’Afghanistan. Le quotidien rappelle également la situation médiocre dans laquelle Sarkozy laisse la France: “10% de chômeurs, le plus haut niveau depuis 13 ans, 1,6% de croissance économique et l’humiliation d’avoir perdu son triple A.”
Face à cette situation le quotidien rappelle les choix du nouveau Président de “taxer la finance, et supprimer les avantages fiscaux pour les très grandes entreprises.” Une politique contraire à celle de Sarkozy qui prônait “la valorisation du travail et le développement de l’activité par les réductions d’impôt.” En somme pour le quotidien, Hollande met l’accent sur la lutte contre les inégalités de la société française, plutôt que sur l’efficacité économique, choix qui expose au risque de voir les capitaux fuir la France. le Chosun Ilbo cite en exemple l’entreprise de biotechnologie Eurofins Scientific qui aurait choisi de déménager son siège au Luxembourg, et les “riches Français qui affluent sur le marché immobilier anglais.”
Mais il n’est pas sûr qu’Hollande puisse mettre en oeuvre sa politique car pour le quotidien l’écart du second tour est moins élevé que prévu et les élections législatives sont incertaines. Hollande devra donc ménager le centre pour qui la rigueur budgétaire est un enjeu primordial.
Le Donga Ilbo, troisième grand quotidien national et lui aussi conservateur, est sans surprise sur la même ligne que ses deux confrères, affirmant qu’avec la prise de pouvoir des socialistes pour la première fois depuis 17 ans en France (décidément!), conjuguée à l’issue des élections en Grèce, c’est la politique d’austérité qui monte à l’échafaud, “replongeant l’Europe dans la tourmente.” Le quotidien consacre également un article à Valérie Trierweiler, première Première Dame de France non mariée et working mom.
Il faut ouvrir les pages du quotidien de gauche Hankyoreh pour entendre un son de cloche différent. Pour le Hankyoreh, l’élection de Hollande ouvre la voie à une autre sortie de la crise par une politique de la croissance et de la prospérité, car pour le nouveau Président, “l’austérité ne doit pas être une fatalité.” L’Europe est-elle à un tournant? Pas si sûr pour le quotidien, et surtout trop tôt pour le dire car les élections déterminantes pour l’Europe auront lieu en septembre prochain en Allemagne, et l’avenir de l’Europe dépendra du score que réaliseront les sociaux-démocrates allemands et leurs alliés écologistes.
lire le billetDiscussion nocturne avec le père d’une fille de 15 ans, passionnée de chant et perfusée aux émissions de télé-réalité. Est-ce l’ivresse du Saint-Emilion dont nous venons de déguster quelques-uns des meilleurs ambassadeurs qui l’incite à partager quelques histoires personnelles avec moi? Ce Monsieur Park, la cinquantaine et cadre supérieur dans un grand groupe coréen me raconte que sa fille est persuadée d’avoir trouvé sa vocation: chanteuse. Rien de très étonnant lorsqu’on a 15 ans et que l’on vit dans un pays saturé de girls band. Cette fille aurait pris son courage à deux mains pour avouer sa vocation à son père en l’implorant dans la foulée de lui laisser poursuivre son rêve de carrière musicale.
Chaque parent est différent, mais face à une situation somme toute banale d’une gamine en pleine crise d’adolescence, les réactions les plus attendues seraient des variantes plus ou moins conciliantes de : “tu passes ton bac d’abord, et on verra après.” La réaction du père en question fut plus radicale: il se saisit d’un cintre (en métal me précisa-t-il) pour frapper sa fille. “Elle ne m’a plus jamais reparlé de cette histoire de chanteuse”, conclua-t-il.
Alors qu’en France il n’aurait pas été anormal que j’aille signaler M. Park à la brigade des mineurs, cet épisode n’a rien de très choquant en Corée. Les punitions corporelles bien qu’en diminution, font toujours partie intégrante de la panoplie dont disposent les parents et professeurs pour éduquer leurs enfants. Car beaucoup de gens le pensent ici: frapper, c’est éduquer. Il n’y a pas si longtemps il n’était pas rare que les parents d’élèves demandent aux professeurs de ne surtout pas hésiter à frapper leurs rejetons. Cette pratique est maintenant interdite, mais elle subsiste comme le montrent nombre de videos amateurs.
Frapper pour éduquer est une tradition ancestrale: déjà au Royaume de Joseon les lettrés frappaient les mollets de leurs disciples avec un bâton en bois ou en bambou lorsqu’ils apprenaient mal leurs caractères chinois. Puis, à partir des années 60 la société toute entière fut imprégnée de culture militaire du fait de la succession des régime autoritaires à la tête du pays (le premier Président de la République issu du monde civil a été élu en 1993), et du fait d’un service militaire obligatoire de 2 ans et demi dont sortent profondément marqués les hommes qui occupent pratiquement tous les postes de décision de la société coréenne.
D’autres raisons plus pragmatiques expliquent également que les punitions corporelles aient la vie dure en Corée. En effet comment punir un enfant qu’on ne peut pas priver de sortie, tout simplement parce qu’il ne sort jamais à part à ses cours privés? Le priver de dessert? Inenvisageable dans un pays qui a souffert de la faim jusqu’au début des années 80. Le priver de télé? Mais il la regarderait sur son mobile ou par Internet. Le priver d’Internet? Mais il en a besoin pour faire ses devoirs et communiquer avec ses profs…
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