Alors que le gouvernement sud-coréen tente de trouver le bon ton face à la mort de Kim Jong-il – il a finalement présenté ses condoléances au peuple nord-coréen, puis envoyé une délégation privée aux obsèques du tyran – on sent l’opinion publique également quelque peu hésitante face au bilan du défunt.
Pour la frange ultra conservatrice de la population et ce qui reste des générations ayant connu la guerre de Corée, Kim restera toujours l’ennemi juré, l’héritier de celui par qui la guerre de Corée et ses 3 millions de morts et ses milliers de familles séparées est arrivée. Mais pour d’autres, en particulier la jeune génération qui n’a rien connu des drames de la guerre et de la misère, le regard est quelque peu différent. Bien sûr, personne ne nie que Kim Jong-il ait été l’un des despotes les plus sanguinaires et la plus grande menace pour la stabilité et la prospérité du Sud. Mais les Coréens du Sud vivent avec cette menace depuis toujours, si bien qu’elle n’est plus ressentie concrètement dans leurs quotidiens.
Quelque part, le personnage de Kim Jong-il fascine même: non pas qu’il attire de la sympathie, mais les jeunes Sud-coréens lui reconnaissent au moins le mérite d’avoir su tenir tête à la Chine, au Japon, à la Russie et surtout aux Etats-Unis, les quatre puissances dont les rivalités historiques ont toujours fait de la Corée une victime. Ce sentiment n’est pas exclusif aux jeunes d’ailleurs, mon voisin de table chirurgien esthétique, la cinquantaine et amateur de bon vin me faisait remarquer avec une pointe d’admiration que la Corée du Nord avait réussi à cacher au monde entier la mort de Kim pendant deux journée entière, alors que partout ailleurs, les “US sont capables de surveiller les mouvements de la moindre fourmi”.
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La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre à Séoul où les gens vivent avec un smartphone greffé à la main. Kim Jong-Il est donc mort, lui qui était considéré comme l’ennemi juré par le gouvernement de Seoul; lui qui tyrannisait la moitié de cette péninsule, et qui il y a un an encore, bombardait une île sud-coréenne faisant des victimes civiles.
Et pourtant personne ou presque ne se réjouit ici de la disparition de ce tyran. La nouvelle a été plutôt reçue avec stupeur et inquiétude par une population pourtant habituée aux coups d’éclats de son voisin du Nord. C’est que généralement, ces coups d’éclats sont prémédités par le Nord, alors que cette fois-ci, l’événement touche avant tout à la stabilité du régime de Pyongyang. Or c’est ce que redoutent le plus les Sud-coréens: une remise en cause de la stabilité précaire qui règne tant bien que mal sur la péninsule depuis plus d’un demi siècle, et qui a permis au Sud de se concentrer sur son obsession: sortir de la pauvreté. Cette année encore le pays devrait connaître une croissance économique supérieure à 4%, renforçant un peu plus cette société de l’affluence chèrement acquise à la sueur de générations entières de travailleurs acharnés.
Si bien que lorsqu’on interroge les Sud-coréens, nombreux sont ceux qui en arrivent à espérer que la transition du pouvoir dynastique réussisse. “Kim Jong-un, est si jeune et il n’a eu qu’un an de préparation au pouvoir, alors que son père y avait été préparé pendant 20 ans…” entend-on dire ici et là sur le ton de l’inquiétude. De la bouche de la ménagère de 50ans, le ton est presque maternel, avec un sous-entendu que personne n’ose vraiment expliciter: “Espérons qu’il sera à la hauteur et que le régime tiendra!”
Pour le moment donc, point de réjouissance face à l’hypothétique chute du frère ennemi, voire à une réunification. Le pragmatisme l’emporte et l’on craint la chute du régime. On craint également un dérapage irréversible d’un côté comme de l’autre car à ce niveau de tension, un coup de feu est si vite parti. Pour le Coréen du Sud, la menace du Nord n’est pas liée qu’à l’évolution réelle ou supposée d’un programme nucléaire. Séoul et sa conurbation, qui concentrent la moitié de la population de la Corée du Sud, ne sont situées qu’à 70 kilomètres de la frontière, où s’amasse la quasi-totalité de la puissance de feu de la Corée du Nord: un simple tir d’artillerie lourde et c’est l’assurance de dégâts considérables pour Séoul.
Inquiétude donc et impuissance également, tant les Sud-coréens sont persuadés que face à ce frère ennemi, ni leur puissance économique, ni leur diplomatie, encore moins leurs capacités militaires n’a de pouvoir. On s’interroge d’ailleurs sur les compétences de la NIS, les services secrets locaux, apparemment pris de court et découvrant la nouvelle avec le grand public lors de l’annonce officielle du Nord: le 17 décembre, jour du décès de Kim, le Président Sud-coréen Lee Myung-bak était en visite officielle au Japon, puis est rentré tranquillement en Corée le 18 pour ne rien changer à son emploi du temps officiel. Aujourd’hui, il aurait été sur le point de fêter son anniversaire en petit comité quand il aurait appris la nouvelle. Lorsque je demande à mon collègue si vraiment la NIS pouvait ne pas être au courant, celui-ci me répondit: “Bien sûr, ce sont tous des incapables au pouvoir, les seuls en Corée du Sud susceptibles d’avoir été au courant c’est l’état major de Samsung…”
Comme toujours, les Coréens du Sud sentent que les clés du problème nord-coréens sont détenus par leurs puissants voisins: les Etats-Unis bien sûr, dont la présence militaire sur le sol sud-coréen sont une dissuasion de taille contre toute initiatives du Nord, mais de plus en plus les regards se tournent vers la Chine, le grand-frère historique et protecteur qui peu à peu retrouve ce rôle dans la région. Au 7ème siècle, le Royaume de Shilla s’allia avec la Chine pour envahir les deux royaumes de Goguryeo et Baekche et unifier la péninsule coréenne. La blague du moment raconte que Kim Jong-nam, le fils aîné de feu-Kim Jong-il exilé à Macao et sous protection chinoise (Kim Jong-un voyant en lui un concurrent lui chercherait des crosses), pourrait prendre le pouvoir à Pyongyang avec l’aide des Chinois pour réunifier la Corée, comme au bon vieux temps.
lire le billetCet euphémisme pudique cache un épisode sombres de la Seconde Guerre Mondiale : l’exploitation par l’armée impériale japonaise d’environ 200 000 femmes, en majorité chinoises et coréennes, comme esclaves sexuelles dans des bordels militaires répartis dans les zones occupées.
En Corée, ce drame fut longtemps passé sous silence, d’autant qu’en 1965 fut signé un accord bilatéral avec le Japon soldant tous dédommagements auxquels la Corée prétendait pour les quelques 40 ans d’occupation. Puis au début des années 90, avec la démocratisation du pays et une certaines libération des moeurs, ces “femmes de réconfort” commencent à se manifester au grand jour et demander des comptes à leurs anciens tortionnaires.
Car le gouvernement Japonais a depuis le début une attitude ambigue face à cet épisode, tantôt minimisant l’échelle de cette traite d’esclaves du sexe, tantôt la mettant sur le compte d’initiatives locales. En 1995, le gouvernement japonais présente publiquement ses excuses, mais dans des termes savamment choisis qui n’engagent pas la responsabilité de l’Etat japonais. Il propose également une offre d’indemnisation d’un milliard de dollars constitués de dons privés. Cette offre sera refusée par les femmes de réconfort qui cherchent avant tout la reconnaissance par le gouvernement japonais de ses crimes et le jugement de leurs auteurs.
Récemment, le combat pour la reconnaissance des femmes de réconfort semble même reculer au Japon. En 2007, le gouvernement conservateur d’Abe ira même jusqu’à nier l’enrôlement de force des femmes de réconfort. Dans la foulée, un autre ultra-conservateur du PLD osera prétendre publiquement que ces femmes de réconfort devraient être fier de leur rôle dans la guerre, pour avoir atténué la brutalité du quotidien des soldats de l’Empereur sur les champs de bataille. Ce courant révisionniste réussira à ôter les passages concernant ces crimes de certains manuels scolaires japonais.
Le chemin vers la reconnaissance par le Japon de sa responsabilité dans ces crimes est donc encore long pour les femmes de réconfort. Depuis 1992, elles se rassemblent une fois par semaine devant l’ambassade du Japon à Seoul pour protester. Cette semaine marquait leur 1000ème rassemblement, à l’occasion duquel une statue de la paix a été inaugurée représentant une jeune coréenne vêtue d’un hanbok traditionnel fixant avec dignité et détermination la représentation japonaise à deux pas de là. Car pour les femmes de réconfort, seule la reconnaissance par le Japon de ses crimes peut conduire au pardon, puis à la paix. Et le Japon a beau qualifier cet acte d'”extrêmement regrettable”, quelques jours avant la rencontre au sommet entre les dirigeants des deux pays, ces protestations n’entameront pas la détermination des femmes de réconfort pour obtenir justice. Du moins pour celle d’entre elles qui seront toujours vivantes car elles étaient près de 250 au début de leur combat, mais vingt ans ont passé et elles ne sont plus que 63.
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La cuisine coréenne, c’est la cuisine paysanne par excellence. N’y voyez surtout pas de connotation péjorative, car c’est comme ça que je conçois la cuisine plaisir: simple, accessible, faite de bons produits, de portions généreuses et de convivialité. Un plaisir comparable à celui que procurent ces plats canailles qu’on partage avec des amis dans un bistrot de quartier.
Au coeur de la gastronomie coréenne figure le Kimchi. Il serait trop long d’en faire une explication exhaustive mais retenons qu’il s’agit la plupart du temps de choux chinois saumurés assaisonnés de beaucoup de piments et d’ail, puis fermenté. Le Kimchi est le plat d’accompagnement de tout repas. Il serait aussi étrange d’en manquer lors d’un repas coréen, qu’il le serait de manquer de pain lors d’un repas français.
Comme tout plat fermenté, le Kimchi évolue avec le temps: au début on l’aime pour sa fraicheur et son croquant, un peu comme on apprécierait une salade, tandis qu’à un stade évolué de fermentation, on l’apprécie pour son acidité, un peu comme on apprécierait une bonne choucroute. Lorsqu’il vieillit d’avantage encore, le Kimchi est cuisiné dans du bouillon de porc en “Kimchi chiggae”, ou ragoût de Kimchi, qui pour moi représente l’essence de la cuisine coréenne. Et bien que ce plat figure au menu de nombreux restaurants coréens, il est malheureusement rare de pouvoir en goûter d’authentiquement bons, ce qui explique pourquoi lorsqu’on demande à un Coréen une bonne adresse pour manger un Kimchi Chiggae, la réponse soit souvent: “chez ma mère”.
Chez sa mère donc ou dans quelques rares endroits comme à la maison, qui ne figurent dans aucun guide touristique, mais dont l’adresse circule via le bouche à oreille entre Coréens avertis. Parmi ces bonnes adresses figure “la maison de Gwanghwamun (광화문집)”, située comme son nom l’indique à Gwanghwanum, dans une petite ruelle à côté du Sejong Center.
Surtout ne vous laissez pas dissuader par la devanture ressemblant plus à celui d’un atelier textile clandestin de China Town et tirez la porte en taule pour vous engouffrer dans ce temple de la gastronomie coréenne. Il vous faudra encore surmonter le décor spartiate et la promiscuité des lieux; il vous faudra également vous armer de patience avant qu’une place se libère pour vous y installer.
Ici point de serveur pour venir vous débarrasser, vous conduire à votre table et vous présenter le menu. En guise d’accueil et de menu, l’une des trois patronnes vous interpellera tout en continuant à s’affairer aux fourneaux pour vous demander si vous prendrez une portion de “Gaeran mari (계란말이)”, version coréenne de notre omelette, qui est la seule variante proposée par ce restaurant au menu unique: le Kimchi Chiggae, qui d’ailleurs mijote déjà sur votre table.
Pour 5000 wons (3 euros), le “Gaeran Mari” est vivement conseillé. Il vous aidera à réaliser que le concept d’omelette aux herbes baveuse n’est pas unique à la France, tout en préparant votre estomac à recevoir la suite épicée du programme que vous entendez mijoter depuis tout à l’heure.
Le Kimchi Chiggae connait des variantes en fonction des régions: au sud de la Corée, il est préféré austère et pur, c’est à dire avec peu d’autres ingrédients que le Kimchi: quelques morceaux de tofu frais, un peu de navets et poireaux coréens, pour donner un bouillon clair et subtil mettant en valeur les saveurs du Kimchi fermenté. A Séoul il est préparé avec une portion abondante de viande de porc afin de donner de la consistance au bouillon où se marient l’acidulé du Kimchi et l'”umami” de la viande. C’est ainsi qu’il est préparé à la Maison de Gwanghwamun.
Beaucoup de Coréens vous diront que pour connaître l’âme des Coréens, il faut apprécier sa nourriture. Faire l’expérience d’un bon Kimchi Chiggae, c’est effectivement pénétrer le caractère coréen: en savourant ce ragoût épicé et bouillonnant; en appréciant ce goût particulier fait de choux fermentés, d’épices et d’ail; en transpirant, soufflant et reniflant sans gêne aux côtés de convives qui en font de même, on a l’impression que c’est la Corée qui entre par tous ses ports le temps d’un repas qui aura coûté 12 000 wons, soit 8 euros.
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