Voilà un exemple de la manière dont les médias coréens représentent la France.
Sous le titre “Des Français prennent un bain de soleil”, le bref article explique que des Parisiens profitent du temps exceptionnellement chaud à Paris en prenant un bain de soleil aux Tuileries. Brève assez factuelle donc mais véhiculant bon nombre de clichés que les Coréens ont sur les Français, et suscitant chez eux un sentiment mêlé d’incompréhension et de fascination à notre égard.
Incompréhension inévitable pour un peuple dont les critères de beauté très standardisés imposent une peau blanche, surtout pour les femmes chez qui cet impératif pousse à sortir une ombrelle au moindre rayon de soleil ou à se baigner à la plage habillées. Incompréhension totale également devant cette exhibition de chair en public. A l’exception des jeunes femmes dont la mode impose des jupes ou shorts ultra-courts sans que cela ne choque personne (mystère de la mode), exhiber notamment la partie haute du corps est perçu comme très osé, vulgaire même, surtout chez les personnes de l’âge de nos Parisiens au premier plan de cette photo.
Et puis il y a cette incompréhension du fait de l’actualité européenne: n’est ce pas la crise là bas? Une crise grave dans un continent surendetté et rempli de chômeurs? Mais comment ces gens trouvent-ils le temps de profiter du soleil? Remarque que font également de nombreux Coréens revenant d’un voyage à Paris: “Je ne comprends pas, tous les Français disent que c’est la crise, mais ils sont tous en terrasse à profiter du beau temps entre amis.”
Je tente de leur expliquer que oui, c’est la crise mais que ça n’empêche pas les gens de continuer à “profiter”, de prendre du temps pour soi et les siens, parce que c’est important pour notre équilibre. “Les Français ont cette insouciance, cette aisance d’esprit, que nous Coréens n’avons pas encore”, me fait-on remarquer, sur le ton de la fascination et de l’envie. Car dans ce pays sorti du sous-développement il n’y a pas si longtemps et où la course au confort matériel prime, il est décidément difficile d’assumer l’idée que peut-être le bonheur est ailleurs.
lire le billetLes Coréens excellent dans l’art de faciliter les tâches de la vie courante en tirant parti de leur goût pour les gadgets et de leur souci constant du service aux clients. La preuve dans ce parking d’hypermarché du centre de Seoul.
Qui n’a pas rôdé d’allée en allée, hésitant à s’engager dans l’une d’entre elles parce qu’on pense avoir trouvé une place là-bas entre ces deux grosses voitures… pour finalement s’apercevoir qu’une Smart s’y est déjà confortablement fait son nid en attendant que son propriétaire revienne avec les courses?
A Seoul, quand ça n’est pas un escadron d’employés de l’hypermarché qui sera dédié à vous guider jusque la place disponible (ce qui explique en passant comment on peut parvenir à des taux de chômage de 3%), chaque emplacement sera équipé d’un capteur de présence de voiture. Ainsi de petits panneaux lumineux placés tous les 3 emplacements vous indiqueront le nombre de places disponibles dans la zone en questions.
Garer sa voiture en bataille plus rapidement et facilement a également été l’objet de rechercher d’améliorations à Seoul, notamment le fait de se garer sans avoir à se soucier de trop reculer et percuter le mur ou la voiture garée juste derrière. Deux petits plots équipent ainsi chaque emplacement de parking pour bloquer les roues de votre voiture à l’instant où elle est bien garée: c’est à dire suffisamment enfoncée tout en laissant la place pour une personne et son caddie d’avoir accès au coffre.
Vous avez remarqué également le marquage rose des emplacements sur la photo? Il s’agit d’emplacements réservés aux conductrices, et situés aux abords de l’entrée au magasin, juste derrière les emplacements réservés aux handicapés. L’objectif est de rassurer les clientes en leur évitant d’avoir à traverser seules un parking lugubre un soir de courses tardives. Enfin, ceci est la version officielle parce que certains Coréens vous diront qu’il s’agit en fait des places les plus faciles, parce que c’est bien connu: “les femmes coréennes ne savent pas conduire…”
lire le billetLa langue coréenne est sûrement avec le Japonais l’une des plus complexes d’un point de vue du formalisme, elle même reflet de la complexité des relations en société, voire même au sein d’une famille. L’exemple qui revient le plus souvent pour illustrer cette difficulté est l’utilisation de plusieurs niveaux de langage en fonction de son interlocuteur. Heureusement un impair en la matière vous sera aisément pardonné, surtout si votre faciès est occidental.
Plus délicat est le choix du titre pour s’adresser à une personne car dans ce domaine, tout impair peut être très vite pris personnellement. Surtout qu’il faut presque toujours appeler quelqu’un par un titre car dans la plupart des cas, appeler une personne qui s’appellerait Kim Mincheol comme on le ferait en France: “Monsieur Kim” pour être poli, ou “Mincheol” pour créer une proximité, n’est pas acceptable.
Evacuons tout d’abord le contexte professionnel en vous renvoyant à l’un de mes posts précédents qui aborde ce sujet et attardons-nous aux situations amicales. Quoi de plus simple et informel qu’une relation entre de bons amis? Mais ce Kim Mincheol a beau être un ami proche, vous ne l’appellerez “Mincheol” que si vous avez moins d’un an d’écart ou que vous êtes le plus âgé. Dans tous les autres cas, il faudra rajouter un “grand-frère” pour ne pas paraître vouloir le rabaisser. Et avant de l’interpeller d’un “grand-frère Mincheol”, il vous faudra savoir que la traduction de “grand-frère” en Coréen n’est pas directe, il est fonction du sexe de la personne qui parle: si cette personne est un homme, alors elle emploiera le terme “hyung”; si c’est une femme, ça sera “oppa”. Bien sûr la même règle s’applique s’il s’agit d’une “grande soeur”.
Voilà donc pour le cas le plus simple. Plus le contexte est formel, plus les titres à employer en fonction de la personne sont compliqués. Cas extrême, la famille: là où un simple “oncle” suffirait pour un Français, le Coréen doit d’abord se poser une série de questions avant de déterminer quel terme employer. Est-ce un oncle du côté du père ou de la mère? Si c’est un frère du père, est-ce un grand-frère ou un petit frère? Est-ce un oncle par alliance? Car c’est en fonction de chacune de ces données que le terme adéquat sera choisi pour appeler cet oncle. Bien entendu, le procédé est le même pour la tante.
Ce dernier exemple est l’un des plus simples, car des plus courants et les Coréens n’ont bien entendu aucune hésitation avant de trouver le terme adéquat pour appeler leurs oncles ou tantes. Mais pour certains cas les moins usuels, il arrive que même les Coréens se retrouvent quelque peu embêtés. Ainsi cet ami à qui je demandais comment il devait appeler la femme de son beau-frère. Il a hésité quelques secondes, tenté quelques réponses pour finalement m’avouer qu’il n’était pas sûr du terme juste. Mais comment fait-il pour appeler la femme de son beau-frère alors? Lui demandai-je. “Je ne l’appelle pas. Si je dois lui adresser la parole, j’attends le moment propice où nos regards se croisent pour lui parler.”
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On commence à le savoir maintenant, Jean-Vincent Placé est né à Séoul, puis adopté par des parents normands, ce qui lui a valu l’attribut de “Coréen National” par le député Alain Marleix. Les adoptés d’origine coréenne sont près de 200 000 dans le monde, et plus de 11 000 en France selon le ministère de la santé coréen. Ceci fait de la France le deuxième pays d’accueil d’adoptés d’origine coréenne en nombre absolu, les pays scandinaves étant devant en pourcentage de la population.
Cette vague d’adoption commence au milieu des années 50, où la guerre de Corée déverse dans les ruelles boueuses d’un pays exsangue des milliers de bébés abandonnés, aux premiers rangs desquels des métisses issus de liaison entre GI ou casques bleus occidentaux et coréennes. Ces bébés métisses attirent tout autant la compassion du public américain qu’ils suscitent le rejet par une société coréenne qui ne saurait accepter de voir sa race souillée par du sang blanc ou pire noir.
Dans un élan de générosité et d’humanité – il est vrai fortement soutenu par la doctrine américaine du containment et de l’atmosphère du baby boom – les premiers coréens furent donc adoptés par l’Amérique. Figure emblématique de cet élan, le couple Holt, Harry et Bertha, américains et chrétiens évangélistes qui émus du sort des orphelins coréens suite à un reportage, s’envolèrent en Corée pour adopter huit enfants en 1955. Dans la foulée, ils créèrent la Holt International Children’s Services, agence d’adoption internationale dont l’activité en Corée a été centrale jusqu’à nos jours.
Mais l’histoire des adoptés d’origine coréenne ne se limite pas aux bonnes oeuvres chrétiennes pour sortir quelques misérables de la pauvreté, car le flux d’adoptés se serait alors tari au fur et à mesure que la Corée sortait de cette pauvreté. Or la Corée a été le premier pourvoyeur d’enfants à l’adoption internationale jusque la fin des années 80, époque où son niveau de vie avoisinait déjà celui des pays d’Europe du Sud. Si l’offre de Coréens à l’adoption n’a pas diminué avec la courbe de la pauvreté c’est que rapidement, les difficultés matérielles, bien qu’il ne faille pas les sous-estimer, ne furent pas les raisons principales aboutissant à l’abandon, puis le départ d’enfants coréens vers l’étranger.
En réalité, deux raisons majeures expliquent pourquoi la Corée a été jusqu’à une époque toute récente le plus grand pourvoyeur d’enfants à l’adoption. D’abord parce que ce pays a longtemps poussé le conservatisme confucéen jusqu’au bord de l’archaïsme. Aujourd’hui encore, la virginité de la femme est un critère placé haut dans la liste des conditions requises pour le mariage, surtout entre gens de bonne famille. Bien sûr dans la réalité les rapports sexuels avant mariage sont fréquents, mais même aujourd’hui il faut sauver les apparences, et il est extrêmement rare qu’un couple même fiancé, emménage ensemble avant le mariage. Dans ce contexte, le destin de la plupart des enfants nés hors mariage semble scellé.
D’autant plus scellé que l’adoption à l’international de ses ressortissants bébés a été depuis le début soutenu par le gouvernement de Seoul. Car quoi de plus efficace que les liens biologiques pour s’attirer les aides et faveurs de pays occidentaux? Encourager l’adoption internationale vers des pays “amis” a très vite été perçu par le gouvernement comme un moyen de renforcer les liens diplomatiques avec les pays soutiens indispensables, grâce aux liens affectifs véhiculés par des centaines de millers de ressortissants de pays occidentaux certes, mais dont les origines sont coréennes.
L’adoption internationale avait un autre avantage non négligeable: celui d’économiser les coûts liés au financement de ces orphelins qu’il fallait bien nourrir, loger, puis éduquer. L’adoption à l’international fut donc une économie de charges sociales, un transfert d’Etat providence en quelque sorte, qui expliquent peut-être pourquoi la France et les pays scandinaves furent les principaux pays d’accueil des adoptés d’origine coréenne, aux côtés des Etats-Unis, l’allié historique. De fait les autorités sud-coréennes mettaient un grand soin à sélectionner les familles d’accueil en fonction du revenu, mais également du statut social afin que leurs futurs ex-ressortissants bénéficient du meilleurs cadre possible pour s’épanouir.
Dès les années 60 c’est donc un véritable dispositif national de recrutement d’enfants à l’adoption qui fut mis en place. Les femmes enceintes isolées étaient accueillies dans quelques centres de maternité et d’adoption, leurs accouchements pris en charge et l’adoption présentée comme la meilleure solution à leurs problèmes. Et dès la fin des années 60, chaque vol en provenance de Corée atterrissant dans un aéroport américain ou d’Europe de l’Ouest, dont Orly puis Roissy, comprenait son lot d’enfants coréens faisant leurs premiers pas sur leur nouvelle patrie et sur le point de rencontrer leurs parents adoptifs.
Cette exportation humaine à des fins diplomatiques et économiques est-elle discutable? Elle est en tout cas culpabilisante si l’on en croit la réaction récente des Coréens eux-mêmes: c’est à la fin des années 90 que le gouvernement de Séoul se sensibilise au sujet des adoptés d’origine coréenne, notamment sous l’impulsion du président Kim Dae-jung qui en 1998 accueillit des représentants d’adoptés et leur exprima ses excuses pour l’incapacité de son pays à les avoir élevés. Lors d’une visite officielle en France en 2006, son successeur Roh Moo-hyun poursuivit cet effort de reconnaissance officielle des adoptés lorsqu’au cours d’une rencontre avec la communauté coréenne basée en France, il invita la Présidente de l’association Racines Coréennes, regroupant les Français adoptés d’origine coréenne, à venir s’exprimer à ses côtés à la tribune.
Mais les motivations ne sont pas uniquement de nature rédemptrice: à l’heure de la mondialisation, un réseau de quelques centaines de milliers adoptés d’origine coréenne répartis dans quelques unes des premières puissances économiques mondiales est vu avec beaucoup d’intérêt par le gouvernement coréen qui constate avec envie les bénéfices que son voisin chinois tire de sa diaspora internationale.
Au sein de l’opinion publique également le regard sur ces adoptés d’origine coréenne change. Longtemps occultée, la réalité des adoptés d’origine coréenne est redécouverte par les médias depuis les années 90, à coup d’émissions de type “Perdu de vue” et appels à témoins pour aider les adoptés revenus dans leur patrie d’origine à retrouver leurs parents biologiques. A coup de fictions-romances également mettant en lumière le destin d’adoptés “égarés” retrouvant finalement leurs racines en Corée.
Les Coréens ont donc certes un regard plus compassionnel envers les adoptés, mais n’en font pas pour autant des Coréens. Notamment parce que pour de nombreux Coréens, être Coréen c’est avant tout d’avoir des racines coréennes, une lignée d’ancêtres identifiables, reconnue comme de sang coréen et dont on peut revendiquer avec fierté l’appartenance. Demandez donc à un Coréen si les adoptés sont de “vrais Coréens”, beaucoup vous répondront par la négative: “parce qu’ils n’ont plus de racine”.
Décidément, il n’y a guère plus que Marleix pour penser que Placé est Coréen.
lire le billetNon, ceci n’est pas le panneau de contrôle d’une climatisation ou de je ne sais quel appareil électroménager. Il s’agit juste de la manette de chasse d’eau des toilettes au RdC d’un immeuble de Seoul. Comme en plus, celle-ci n’était pas placée à l’endroit habituel, au niveau du dossier de la cuvette, mais sur le mur latéral au dessus du porte papier toilette, et comme la commandes “chasse d’eau” était perdue au milieu de multiples autres commandes relatives à la fonction “bidet” de cette cuvette 2.0, je dois avouer que j’ai mis un certains temps avant d’actionner la chasse d’eau.
L’évolution des toilettes en Corée est à l’image de son développement. Au milieu des années 80, la grande probabilité lorsqu’on se rendait au petit coin, était de tomber sur un cousin germain des toilettes turques qui équipent encore certains des cafés des centres touristiques parisiens, avec un niveau de propreté aussi douteux.
20 ans plus tard, la disponibilité et la propreté des toilettes publiques est devenue une obsession: chaque station de métro propose ses toilettes d’une propreté qui si elle n’est pas impeccable, ferait néanmoins pâlir d’envie n’importe quelle toilette publique parisienne. D’ailleurs chaque toilette publique a son responsable de la propreté, dont le portrait et le numéro de téléphone est affiché à la sortie afin que chaque usager puisse le contacter en cas de réclamation.
Et apparemment les autorités municipales font une revue des toilettes de leur district pour les évaluer. Un peu comme si les mairies d’arrondissement faisaient le tour des toilettes disponibles pour en vérifier la qualité et décerner fièrement le titre de meilleur toilette de leurs arrondissements.
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