Les années Park

6 jours après la célébration de l’anniversaire de l’accession de Mitterrand au pouvoir, les Coréens célébraient à leur tour le 50ème anniversaire de l’accession de l’un de leurs Présidents au pouvoir, Park Chung-hee, le 16 mai 1961, mais par un moyen autrement plus radical que celui de Mitterrand: un coup d’Etat.

A gauche avec les lunettes de soleil

D’ailleurs les similitudes entre ces deux Présidents s’arrêtent à la proximité des dates d’anniversaires car pour le reste, peu de choses les rapprochent, à part peut-être les clivages qu’ils suscitent. Et si en France le bilan des années Mitterrand divise l’opinion publique, on peut dire que le débat est encore plus vif en Corée au sujet de l’héritage de Park Chung-hee et de son règne de 18ans.

Règne qui commença en 1961, alors que la Corée du Sud est un pays aussi sous-développé que les pays les moins avancés de l’Afrique sub-saharienne, auquel tous les économistes prédisaient un avenir sombre: un pays épuisé par 40 ans d’occupation japonaise, dévasté économiquement 8ans après la fin de la guerre de Corée et que les dirigeants politiques se montraient incapables de redresser. Au régime corrompu du dictateur vieillissant Syngman Rhee, premier président de la Corée du Sud poussé vers la sortie en avril 1960 par une révolte étudiante, succédait une tentative de démocratie parlementaire d’une année pendant laquelle s’installa surtout un désordre politique faute d’entente entre leaders de cette alternance démocratique.

Dans un tel contexte, le coup d’Etat de Park, un général de l’armée jusqu’alors peu connu, ne rencontre qu’une résistance modeste: la population est fatiguée du chaos politique et aspire avant tout à de meilleures conditions de vie, tandis que pour les Etats-Unis, mieux vaut un régime autoritaire stable qu’une démocratie fragile. C’est exactement ce que fut le régime de Park: stable et autoritaire, avec notamment la création de la toute puissante KCIA, un Etat dans l’Etat pouvant sommairement arrêter et torturer tout opposant au régime. Comme pour toute dictature digne de ce nom, la presse est également muselée et avec elle toute forme de vie démocratique.

Mais Park se révèle être également un dictateur éclairé en matière économique et  répond bientôt aux aspirations de prospérité de ses concitoyens. S’entourant d’économistes qualifiés, c’est lui qui jette les bases du capitalisme coréen, fondé sur un Etat planificateur et interventionniste, favorisant quelques conglomérats qui peuvent profiter d’un marché intérieur protégé et d’une main d’oeuvre docile pour grandir et progressivement exporter leurs produits de plus en plus élaborés vers les pays riches.

La suite est connue de tous: les fers de lance du capitalisme coréen, Samsung, LG ou Hyundai, trouvent leurs genèses dans cette période. Et en 1979, lorsque Park meurt assassiné par le chef de la KCIA pour des motifs obscurs, la Corée du Sud a vu son revenu moyen par tête multiplié par 10 par rapport à 1961.

Une Corée qui s’est donc sortie de la pauvreté mais qui reste privée des libertés fondamentales: où tout signe d’opposition peut être taxé de communiste et donc de sympathie avec l’ennemi nord-coréen pour se terminer par une arrestation arbitraire puis la torture; où l’un des opposants à Park, Kim Dae-jung, plus tard élu Président de la République puis lauréat du Prix Nobel de la paix, est kidnappé et emmené sur un bateau pour y être jeté par dessus bord avant que le grand-frère américain n’intervienne in extremis pour s’y opposer. Il faut attendre 8 années après la mort de Park pour que la Corée s’ouvre finalement à la démocratie, poussée par une génération d’étudiants mangeant à leurs faims mais assoiffés de plus de liberté.

Voilà pourquoi Park divise encore aujourd’hui les Coréens: parce que son bilan économique aura été aussi positif que son régime aura été brutal. Et parce que son bilan s’inscrit dans l’éternel débat sur la possibilité de sortir du sous-développement dans le cadre d’un régime démocratique: impossible répondront les pro-Park et peut-être avec eux les dirigeants chinois actuels. Bien sûr que si répondront les anti-Park et avec aux les militants pro-démocratie de tous bords.

Et les Coréens de s’interroger 32 ans après sa mort: Park était-il un dictateur ou le père  fondateur de la prospérité coréenne ? Leur miracle économique aurait-il été possible sous un régime démocratique ? Un débat d’autant plus vif qu’un courant du parti conservateur au pouvoir (Grand National Party, GNP) est l’héritier direct de Park Chung-hee, puisqu’il est porté par sa fille aînée Park Geun-hye. Celle-ci perdit les primaires pour la candidature du GNP à la présidence de la république lors des élections de 2007 contre le Président actuel Lee Myung-bak, mais elle se trouve parmi les favorites pour les prochaines élections présidentielles de 2012.

2 commentaires pour “Les années Park”

  1. Oui, le général Park était un dictateur. Mais un dictateur patriote qui a tout fait pour redresser le pays économiquement sans chercher à s’enrichir comme Ben Ali ou Moubarak. Une fois le niveau de vie atteint à une certaine hauteur, une fois la classe moyenne s’étoffe, la démocratie vient tout seul sans la manifestation. Tous les pays sous-développé ou en voie de développement ont besoin un dictateur comme général Park.

  2. Tu rigoles ! “la démocratie vient […] sans manifestation”?

    Et l’armée qui a tiré dans la foule lors du soulèvement de Gwanju en 1980 sur ordre du dictateur en place Chon Tu-Hwan?

    Il a aussi fallu des manifestations en Corée avant que la démocratie se mette en place. Des gens ont aussi payé de leur vie la démocratisation de ce pays.

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