Quel peut être l’atout d’un pays sans ressource naturelle significative et (trop) densément peuplé? Son peuple justement. Au début comme main d’oeuvre qualifiée, docile et bon marché, puis progressivement comme source de matière grise, d’autant que l’éducation et le savoir sont au coeur des valeurs que prône le confucianisme.
Quoi de plus normal donc, que pour sortir de la crise financière asiatique de la fin de années 90, toutes les forces vives du pays se soient concentrées sur un même objectif: les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Si hier l’objectif de cette politique était la sortie de crise, aujourd’hui il s’agit de bâtir les fondements d’une société prospère et d’une croissance économique durable. Les technologies numériques sont ainsi devenues progressivement un vivier d’innovation pour s’inventer constamment des avantages concurrentiels, notamment face aux puissants voisins chinois et japonais.
Portée par des géants du secteur numérique (Samsung, LG, mais aussi NCSoft dans les jeux videos, ou NHN dans les contenus numériques), et soutenue par des plans d’investissements d’envergure mis en place par les gouvernements successifs, la Corée est aujourd’hui le pays le plus connecté de la Planète: la vitesse moyenne de connexion à Internet y est la plus rapide au monde (14 Mbps contre 3,3 Mpbs en France d’après Akamai) tandis qu’en situation de mobilité, le Wibro, une version locale de la 4G, existe depuis déjà 5 ans. Et les plans d’investissements se succèdent: dans l’Internet très haut-débit, le prochain plan d’investissement de 25 milliards de dollars prévoit d’équiper les premiers foyers avec une connexion à 1Gbps dès l’année prochaine pour un abonnement de 20 euros par mois.
L’objectif derrière ses méga-autoroutes de l’information est simple: avoir accès partout et tout le temps à toute information nécessaire pour créer une “Ubiquitous Knowledge-based Society”, soit une société du savoir permanent. Et ici on y croit: ce que nous appelons en France “Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie”, se nomme en Corée Ministère de l’Economie du Savoir (Ministry of Knowledge Economy).
Il n’est donc pas envisageable de priver un tant soit peu les Coréens de tout ce savoir numérique. Aussi est-il inimaginable qu’un espace même infime, soit privé d’une connexion haut-débit quelle qu’elle soit, et de fait je n’ai jamais fait l’expérience à Séoul d’une zone où comme à peu près partout dans le métro parisien, le portable capte mal.
Ces zones existeraient pourtant bel et bien si l’on en croit l’expérience d’une amie récemment installée dans un complexe résidentiel et s’apercevant avec étonnement que son portable passait mal. Dans un tel cas en France, deux solutions: passer ses coups de fil en équilibre sur le rebord de sa fenêtre, ou changer d’opérateur (si l’on y arrive) en espérant que le réseau du nouvel élu sera plus performant. Mais appeler le service client pour se plaindre d’une telle situation n’effleurerait même pas l’esprit du client d’Orange, tant la crise de nerf face à l’assistance vocale automatisée et l’issue négative de l’initiative semblent évidentes.
Mais ce qui semble du domaine de l’impossible en France est parfaitement envisageable en Corée: ainsi mon amie appela le service client de son opérateur KT. On l’invita alors à télécharger une application iPhone qui lui permettrait de signaler son problème de réception et la zone en question, ce qu’elle fit immédiatement. Le lendemain, un technicien venait installer une antenne relais près de chez elle. Et de problème, il n’y eut plus.
lire le billet“En avril ne te découvre pas d’un fil”, dit-on en France pour exprimer les retours de froid hivernal alors que le printemps commençait à poindre le bout de son nez.
Les Coréens, victimes également des caprices du temps en ce début de printemps parlent d’un “froid par jalousie des fleurs”: le Temps, voyant la beauté des premières fleurs venant d’éclore, se prendrait de jalousie et leur infligerait son froid mortel.
En ce jour du 28 mars, Seoul est donc sous un mélange de pluie et de neige.
lire le billetComme les Français, les Coréens se demandent si face aux catastrophes dont les Japonais sont les victimes, ils réagiraient de manière aussi admirable.
Ils se posent cette question avec un peu plus d’intérêt dans la mesure où en Corée comme au Japon, la collectivité prime sur l’individu. Cette ressemblance est le résultat d’un héritage culturel et philosophique commun, mais également d’un pragmatisme basique car dans ces deux pays qui figurent parmi les plus densément peuplés au monde, le principe du chacun pour soi ne marcherait tout simplement pas. Les files bien ordonnées qui se forment pour attendre le métro au Japon et en Corée sont donc une expression de civilité, mais avant tout une nécessité pour arriver à l’heure au travail sans périr dans un mouvement de foule incontrôlé.
Ceci n’enlève rien au mérite des Japonais dans leur admirable réaction face aux catastrophes dont ils sont les victimes. Admiration ressentie aussi par les Coréens généralement peu enthousiastes à reconnaître les mérites de leurs puissants voisins. Ainsi peut-on voir à la télévision coréenne des reportages tournés dans des centres de réfugiés japonais mettant en valeur l’ordre impeccable et la dignité qui y règnent, notamment au cours d’un reportage où l’on voyait des réfugiés dans une salle communale manquant de de tout, mais triant quand même leurs déchets scrupuleusement.
Certes les Coréens ont également fait preuve de courage et abnégation par le passé, notamment lors de la crise asiatique de 97, où pour renflouer les caisses de leur Banque Centrale, des milliers de contribuables firent la queue au guichet des banques pour donner leurs bijoux de famille. Mais beaucoup de Coréens reconnaissent que face à une crise de l’ampleur de celle du Japon, leur réaction ne seraient sûrement pas aussi sereine et maîtrisée. Car au-delà de certains codes culturels communs aux deux pays, il y a le caractère respectif des peuples, et en la matière, on ne peut pas faire plus différent que Coréen et Japonais.
Un Français connaissant bien les deux pays pour y avoir vécu et travaillé me résumait tout ce qui sépare les Coréens des Japonais en ces termes très pertinents: là où le Coréen privilégie le “fighting” (terme adopté par la langue coréenne exprimant un mélange de courage, tenacité et combativité) et la rapidité, le Japonais privilégierait l’harmonie et la sécurité.
Bon, pour ce qui est de la sécurité, les défaillance de l’opérateur de la centrale de Fukushima n’en est pas un parfait exemple. Toujours est-il que pour de nombreux Coréens, si un tremblement de terre d’un telle ampleur avait touché Séoul, “c’est très simple, on serait tous morts”…
lire le billetLa Corée entretient avec le Japon une relation ambivalente: tantôt un concurrent craint et méprisé pour son rôle d’occupant brutal (1910-1945), dont les blessures ne sont pas tous cicatrisés, tantôt un partenaire diplomatique, commercial et culturel, voire même modèle à suivre dans la voie de la prospérité. Bref, tout ce qui arrive chez le puissant voisin nippon ne laisse pas indifférent ici, et lorsque vendredi dernier, celui-ci fut touché par les violentes secousses puis le tsunami, les Coréens furent les premiers à s’en préoccuper. Et comme souvent, les réactions furent mitigées.
Le sentiment ultra majoritaire est la sympathie et la solidarité. Signe le plus révélateur de ce sentiment, les “netizens” qui sont généralement les premiers à défendre les intérêts coréens face au Japon ont mis de côté leurs causes militantes et se mobilisent pour aider leurs voisins. Dans sa section d’appels aux dons, le plus grand portail coréen Naver a ainsi mis en place une campagne pour les victimes du tremblement de terre et du tsunami. Le site a recueilli 180 000 euros en deux jours.
Les “People” coréens s’y mettent aussi et annoncent des dons privés pour aider leurs voisins, car de nombreux chanteurs ou acteurs coréens connaissent une grand succès auprès des Japonais. Le gouvernement coréen s’active également. La Corée a été l’un des premiers pays à dépêcher une équipe de secouristes tandis qu’à partir de fin mars, une partie de son approvisionnement en gaz naturel sera redirigé vers le Japon. Cet élan de générosité n’est pas complètement innocent: le Japon est un partenaire commercial majeur pour la Corée, notamment pour ses approvisionnement en composants stratégiques pour ses industries électroniques ou automobiles, et un ralentissement significatif de l’économie japonaise aurait une incidence directe sur l’économie coréenne. Toujours est-il que cette volonté d’aider un peuple voisin avec qui les relations passées furent souvent brutales est un signe encourageant des relations bilatérales à venir.
Mais cette manifestation de sympathie n’a pas été unanime. A l’instar de quelques farfelus Américains qui voient dans cette catastrophe naturelle une punition divine suite à Pearl Harbour, certaines réactions coréennes osent avancer des absurdités de même nature, liant ce qui arrive aujourd’hui aux crimes passés du Japon Impérial. Mais la plus énorme ânerie fut certainement l’oeuvre du chef de la congrégation Pentecôtiste “Sunbogeum”, la plus grande congrégation protestante au monde, pour qui ce qui arrive est une punition divine contre un Japon pas assez chrétien. J’eus d’ailleurs le plaisir d’avoir la visite chez moi de l’un des membres de cette Eglise m’invitant à me convertir avant le Jugement Dernier. “Parce qu’il arrive déjà au Japon, vous le savez?”
lire le billetPour les Français, je suis Français. Rien de plus logique lorsqu’on est né à Paris, éduqué à l’école de la République et nourri aux sandwichs rillettes-cornichons. Parfois je tente de faire valoir ma particularité coréenne. Mon entourage français l’acceptera bien volontiers, mais ponctuera mes revendications coréennes par un : “oui, mais tu restes quand même Français, regarde comment tu descends ton verre de Morgon…” en me resservant un verre de Morgon.
Pour les Coréens, je suis Coréen. Rien de plus logique lorsqu’on a des parents coréens et que par conséquent, du “sang coréen” coule dans mes veines. Parfois je tente de faire valoir ma particularité française. Mon entourage coréen l’acceptera bien volontiers, mais ponctuera mes revendications françaises par un : “oui, mais tu restes quand même un Coréen car ton sang est coréen que tu le veuilles ou non…” en me resservant un verre de Soju.
Cette conception de la nationalité est la même au Japon, dont le Ministre des Affaires étrangères Maehara vient de démissionner pour endosser la responsabilité du financement illégal d’une de ses campagnes électorales. En cause, un financement étranger (interdit par la législation japonaise) d’un montant de 500 euros. Ce don étranger proviendrait d’une connaissance d’enfance du Ministre de nationalité coréenne. Jusque là rien d’anormal même si l’on pourrait penser que vu le montant, ce financement étranger n’a pas dû jouer un rôle majeur dans le déroulement d’élection en question.
Cette “connaissance coréenne” du Ministre est en fait l’un des 670 000 coréens résidant au Japon, et qui représentent aujourd’hui sa plus importante minorité ethnique. Ces Coréens sont ce qui reste des quelques 5,4 millions de Coréens ayant immigré au Japon ou y ayant été enrôlé dans le cadre de travaux forcés, lorsque la Corée était sous occupation japonaise entre 1910 et 1945.
Théoriquement, ces Coréens étaient donc des (sous-)Japonais, qui lors de l’indépendance de la Corée sont subitement devenus des étrangers. Toujours est-il que la plupart ont vécu au Japon une grande partie de leur vie, voire y sont nés pour les générations récentes. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ne parlent même plus la langue coréenne et viennent en Corée pour prendre des cours de langue durant les vacances d’été. Bref la plupart sont aussi Japonais que moi-même je me considère Français, et pourtant ils ne peuvent pas participer normalement à la vie politique du pays où ils résident.
Bien sûr, les Coréens vivant au Japon dénoncent leur situation de citoyens de seconde classe et revendiquent les mêmes droits civiques que les Japonais. Il faut également noter que l’assimilation de cette communauté coréenne à la société japonaise s’accélère, notamment au travers de mariages mixtes. Mais ici, cette récente affaire et le fait que le financement ait été “étranger” ne fait que peu de controverse. Car pour être Japonais ou Coréen il faut que ses ancêtres le soient.
lire le billetGangnam : l’une des artères les plus animées de Seoul que j’emprunte tous les soirs, lorsque l’affluence dans les magasins et bars grandit au fur et à mesure que les bureaux à proximité se vident. Ce quartier est l’une des vitrines technologiques de Seoul: écrans TV géants illuminant les passants de clips publicitaires, pôles numériques géants jonchant les trottoirs là où d’autres rues n’offriraient que de simples arbres, enseignes colorées de marques de prêt à porter faisant des coudes avec les devantures de bars ou coffee shops afin d’attirer le Séoulite branché… Pourtant à cette heure de pointe, l’endroit le plus animé ne se situe pas pour là-bas mais au pied de quelques immeubles high-tech où se trouvent de modestes tentes de fortune devant lesquelles se forment de longues files d’attente composées pour la plupart de jeunes femmes apprêtées.
Il m’a fallu du temps pour découvrir ce qu’elles attendaient et réaliser que ces tentes n’étaient pas des étales de bijoux et accessoires ou buvettes ambulantes comme l’on peut en voir souvent dans les rues de Séoul. Ces personnes ne patientent pas pour acheter quelques bricoles ou manger un morceau en attendant la prochaine séance de cinéma, mais tout simplement pour savoir de quoi leur futur sera fait.
Est-ce qu’il ou elle est fait(e) pour moi? Dois-je signer ce contrat d’affaires? Dois-je acheter ce nouvel appartement? Autant de questions pour lesquelles les Coréens consultent leur voyant lorsque d’autres consulteraient leurs avocats, amis, parents ou encore psy. Qu’il s’agisse de liseurs de cartes de tarot dont les tentes jonchent les rues de Seoul et que de nombreux jeunes consultent à bon prix à la fois pour se divertir et pour se faire conseiller, ou qu’il s’agisse de voyants plus “sérieux”, nombre de Coréens en sont persuadés: il est possible d’avoir un aperçu de ce que l’avenir nous réserve et ainsi influer sur son propre destin.
La forme la plus respectée de voyance est sûrement celle qui suit les principe du “Saju”, hérité de l’astrologie chinoise. Ce principe veut que la destinée de chacun est déterminée par les “quatre piliers” (saju) que sont l’année, le mois, le jour et l’heure de sa naissance. Car nous serions définis par l’énergie de la terre, du soleil, de la lune et des étoiles à l’instant précis de notre naissance. Ne vous étonnez donc pas si vous votre fiancé(e) coréen(ne) vous demande votre date de naissance à l’heure près avant d’accepter votre demande en mariage.
Bien entendu, les Coréens ne suivent pas aveuglément les ordres de leurs voyants, qui de toute façon n’apporteront pas de réponses faciles à vos interrogations. Il ne s’agit pas de déléguer à autrui son pouvoir de décision sur un sujet majeur, mais d’obtenir un éclairage particulier, ou tout simplement de confier à une oreille bienveillante le détails de ses problèmes dans une société qui n’offre ni le temps ni beaucoup de lieux pour les atermoiements et lamentations.
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