Corée, lieu où cohabitent modernité et croyances les plus ancestrales.
Ici, les morts doivent partir en paix avec le monde des vivants. A défaut, leurs esprits, trop lourds pour monter au ciel, errent parmi nous, mi-hommes mi-esprits, visibles de certains, et craints de tous. Bienvenu en Corée, pays des Guishin.
Affiche d'un film d'horreur local où figure une représentation classique de Guishin
Les Guishin hantent l’imaginaire des Coréens. Petits, ils grandissent en écoutant les histoires de ces esprits errants que l’imaginaire collectif représente sous les traits d’une jeune femme aux longs cheveux noirs couvrant un visage au teint diaphane. Vêtue d’un hanbok d’une blancheur immaculée, couleur du deuil en Corée, elle vous transperce d’un regard halluciné, alors que sa voix monocorde et aigue finit de vous faire basculer dans la terreur.
La croyance dans ces esprits n’est pas le monopole des petits. Mon collègue, la trentaine passée, y croit dur comme fer, tout comme l’une de mes amies. Tous deux m’affirment en avoir rencontrés plus d’une fois au cours de leur vie et me rendent compte des dernières apparitions dans leurs quartiers.
Par une nuit calme, un motard prend une jeune femme en autostop. Alors qu’ils roulent sur une avenue déserte et en ligne droite, le pilote, pourtant habitué des lieux, est surpris par une bifurcation qui provoque sa chute et celle de sa passagère. Lorsque les secours arrivent, ils trouvent le motard sonné à côté de sa moto amochée, et ne s’expliquent pas comment il a pu chuter sur une avenue aussi large et déserte. Car on ne retrouva jamais la bifurcation.
Comme on ne retrouva jamais la jeune femme.
lire le billetJour de déprime aujourd’hui à Séoul, au lendemain d’une défaite après tirs au but de la Corée, en demi-finale de la coupe d’Asie à Doha. Ca n’est pas tant le rêve déchu d’être en finale de ce tournoi qui a poussé un collègue à descendre trois bouteilles de Soju (sorte de vodka allégée nationale) jusqu’à trois heures du matin, mais l’idée de s’être incliné contre le seul adversaire contre qui la défaite est une humiliation : cette petite île au large de la Corée du nom de Japon.
Un match de foot Corée – Japon, c’est un peu plus qu’un simple match, car s’y expriment les rivalités de deux voisins trop proches pour n’avoir été qu’en bons termes au cours de l’Histoire. L’Histoire très contemporaine même, car pendant 35 ans, de 1910 à 1945, le Japon a été un occupant brutal de la Corée. Si aujourd’hui les deux pays sont des partenaires diplomatiques et économiques proches, toutes les plaies du passé ne sont pas cicatrisées. Et même si elles l’étaient, il suffit de voir la tension qui réside lors d’un match de rugby France – Angleterre pour se rendre compte que de telles rencontres sportives sont les exutoires (salutaires?) de rivalités entre peuples voisins.
Jour de déprime donc en Corée et le scénario du match n’a pas aidé non plus. Alors que le temps réglementaire s’achevait sur un score de 1-1, le Japon entamait les prolongations de la plus belle manière en transformant un penalty discutable lui permettant de prendre l’avantage. Mais perdre contre le Japon n’est tout simplement pas envisageable et les Coréens se ruèrent à l’assaut du but adverse de sorte que finalement, le miracle tant espéré se produisit: à quelques secondes de la fin des prolongations, le Coréen Hwang égalise suite à un cafouillage sur la surface de réparation.
En Corée, on imagine alors se réaliser le scénario idéal: le “fight spirit” des “Taeguk Warriors” (nom donné aux footballeurs coréens) venant à bout des Japonais trop sûrs de leur victoire.
Sauf que le but égalisateur n’a donné le droit qu’à une séance de tirs au but. Et qu’aucun des trois premiers tireurs Coréens n’a pu marquer. Trois buts manqués pour trois bouteilles de Soju donc…
lire le billetJe profite d’une escapade à Hawaii pour faire la connaissance d’oncles et tantes éloignés qui y sont nés. Car Hawaii a depuis longtemps été terre d’accueil des peuples d’Asie venus chercher là-bas ce qu’ils ne trouvaient pas chez eux: l’espoir de sortir de la misère et de vivre librement en accord avec leurs valeurs et leur foi; les mêmes motivations qui poussent sûrement les hommes de tous bords à l’exil.
Les premiers Coréens sont partis du port d’Inchon pour arriver à Hawaii en janvier 1903 : une petite centaine d’immigrants recrutés pour travailler dans les plantations de cannes à sucre, comme avant eux de nombreux Chinois et Japonais, et après eux, de nombreux Philippins. En deux ans, ils furent plus de 7000 Coréens à tenter l’aventure à Hawaii.
On imagine que les espoirs de ces aventuriers furent mis à mal tant les conditions de vie dans les plantations étaient proches de l’esclavage. D’ailleurs, le recours par les propriétaires fonciers à une main d’œuvre multiethnique n’était pas anodin : il permettait de maintenir le rapport de force en faveur des Blancs en empêchant les ouvriers agricoles d’organiser une opposition efficace.
Parmi ces premiers Coréens figurait donc l’un de mes arrières grands oncles. Impossible de connaître les raisons précises de son départ vers l’inconnu : sûrement un mélange entre le refus d’une vie de misère et la rencontre avec quelques missionnaires chrétiens américains. Ce qui est certain, c’est qu’il aura passé sa nouvelle vie d’immigré à tenter d’accomplir le rêve américain à la sueur de son front.
Un siècle a passé et je me retrouve attablé avec ses deux filles (92 et 89 ans) et trois de ses petits-enfants pour constater que mon arrière grand oncle a bel et bien accompli le rêve américain. Car si mes hôtes se définissent comme « second and third generation Korean Americans », et disent avoir parfois souffert de discriminations, ils sont avant tout des citoyens américains modèles parfaitement intégrés dans la classe moyenne supérieure. Symbole de cette réussite, l’un des petits enfants a exercé deux mandats en tant que « Chief of Justice » de la Cour Suprême de l’Etat de Hawaii. L’ascenseur social américain a bien marché pour eux, comme pour des milliers de foyers « Korean American » qui peuplent la bourgade de Wahiawa à une cinquantaine de kilomètres de Waikiki.
La soirée se passe agréablement, à comparer les approches américaine et française de l’immigration ou du système de santé (pour eux, le système de santé Français est “socialized”, je crois que c’était une formule diplomatique pour dire communiste, et j’ai en vain tenté de leur expliquer que oui, les Français pouvaient également choisir leurs médecins), à comparer les modes de vie hawaiien, parisien et séoulite. Surtout, à échanger sur le fait d’être Français ou Américain, mais d’avoir la Corée comme terre de nos ancêtres.
lire le billetCa n’est pas un hasard si dans le métro de Seoul, les publicités sur la chirurgie esthétique cotoient celles de n’importe quelle marque de lessive comme si de rien n’était: ici, une femme sur trois est passée sous le bistouri.
Mais avant de fustiger les Coréennes pour leur culte de la superficialité il faut comprendre leurs motivations à vouloir être plus belle. Car ici on ne modifie pas son corps pour le simple plaisir des yeux mais pour être plus compétitive. D’ailleurs, il ne s’agit pas de beauté, mais avant tout de répondre aux canons de la beauté tels que définis par une société coréenne hyper conformiste: paupières plissées et nez rehaussés pour ressembler aux occidentales sont ainsi les interventions les plus courantes. Il est bien vu également que le contour du visage soit de forme la plus ovale possible: on peut pour cela se faire limer le menton. Sans oublier les procédés pour rester jeune et il n’est pas rare que les injections de botox se pratiquent dès la vingtaine.
La récompense de tous ces efforts et investissements sont multiples car dans cette société hyper compétitive, être belle devient un véritable avantage concurrentiel, y compris pour sa carrière. Les Coréennes espèrent ainsi pouvoir décrocher le job de leurs rêves aux dépens de concurrentes moins avenantes et dans la mesure où la plupart des postes clés des entreprises coréennes sont détenus par des hommes, le raisonnement n’est pas farfelu.
Mais bien sûr, l’objectif majeur est de décrocher le mari de ses rêves, consécration ultime dans un pays où la morale confucéenne omni-présente veut que la réussite de la femme passe par celui de son mari. Bien sûr, les mentalités changent rapidement et nombreuses sont les femmes actives menant avec succès leur carrière professionnelle. Mais la majorité d’entre elles restent tournées vers un autre objectif: accéder à la richesse et au prestige par un mariage.
Et les cliniques de chirurgie esthétiques ne sont pas dupes, qui s’affichent dans les stations de métro avec des messages on ne peut plus explicites.
Petite surprise en découvrant la lecture de mon voisin de métro: l’Histoire de France, en Français dans le texte s’il vous plaît. J’étais donc assis à côté d’un étudiant en langue et civilisation française ; une espèce en voie de disparition.
Jusque dans les années 70, le concours d’entrée à la prestigieuse Université Nationale de Séoul comportait une épreuve obligatoire de langue vivante 2, à choisir entre le Français et l’Allemand. Aussi était-il courant de choisir le Français au lycée comme deuxième langue vivante et aujourd’hui, il n’est pas rare de rencontrer des Coréens adultes qui, passée la barrière de la timidité, vous montreront fièrement qu’ils savent compter jusqu’à vingt en Français. Il faut dire que lors de ces années de gloire pour la langue de Molière, la Chine n’était qu’un miséreux pays communiste, tandis que le Japon était l’ancien occupant, ennemi historique sur lequel était imposé un embargo culturel.
Aujourd’hui, le Mandarin et le Japonais en supplanté de loin notre langue nationale dans l’esprit et les centres d’intérêt des Coréens. Au point qu’un nombre croissant d’universités coréennes ont purement supprimé leurs départements de langue française pour regrouper les quelques étudiants qui persistent dans leurs goûts pour notre langue au sein d’un département de langue et civilisations “européennes”. Vu d’ici, la nécessité de l’intégration européenne parait d’une telle évidence…
Sinon, la Monarchie de Juillet n’a pas eu l’air de passionner notre étudiant…