La SF Japonaise en quête de reconaissance

Dans son dernier numéro, la revue spécialisée sur la science fiction Yellow Submarine s’intéresse à tout le spectre de l’imaginaire japonais, des kami – les dieux dans la religion animiste shintô – aux mecha – ces robots-géants du type Goldorak.

Il s’agit là d’une initiative salutaire. Alors que la France est, après le Japon, le premier pays consommateur de manga, peu d’études se sont penchés sur cette question. Il aura fallu attendre 2010 pour que soit publiés en France deux ouvrages de référence sur les mangas – celui de Karyn Poupée et Jean-Marie Bouissou. Le n°135 de Yellow Submarine vient compléter ce manque en s’attaquant à différentes facettes méconnues de la culture populaire japonaise.

Ainsi en est-il de la littérature SF japonaise dont Tony Sanchez retrace l’histoire dans un article passionnant et fort bien documenté. Méconnue et peu traduite en français, elle reste aussi en quête de reconnaissance au Japon, malgré l’existence d’une communauté d’auteurs importante, structurée depuis les années 1970 autour de la revue de référence dans l’archipel, SF magajin. Le fanzine aborde aussi d’autres facettes plus surprenantes, comme le kowai manga (manga d’horreur), les super-héros japonais, les kaijû et autres yôkai, ou encore le sous-genre ero guro (pour “érotique-grotesque”), mêlant érotisme et gore. Estomacs sensibles s’abstenir. Le tout est enfin accompagné d’une nouvelle inédite de YAMAMOTO Hiroshi, sur la rencontre entre un poète terrien et une civilisation extra-terrestre ayant dépassé le stade matériel pour devenir une “civilisation du langage”, vivant dans l’imaginaire:

“Notre civilisation est bien plus riche que la tienne. Nos ancêtres étaient comme vous : ils ont construit des villes de fer et de béton, ainsi que des vaisseaux pour voyager dans l’espace. Mais les ressources ne sont pas illimitées. On ne peut s’étendre éternellement, ni produire les mêmes ressources indéfiniment. Au contraire, l’espace du langage lui est illimité. Nous possédons une richesse infinie. Nous nous sustentons de récits, et nous abreuvons de chants. Nous portons nos chefs-d’œuvre comme des perles, et habitons les somptueux palaces de nos histoires. Les verbes sont des poteries manipulables à loisir, et nous pointons les larmes acérées de nos adjectifs. Nous nous engageons dans des joutes verbales de longue haleine, et faisons des signifiés nos trophées.” (traduction par Tony Sanchez)

Couvertures de SF magajin de 1971

On regrettera cependant l’absence (l’oubli?) de l’œuvre de MURAKAMI Ryû sans doute plus classique mais qui aurait mérité d’être évoqué. Le bidonville radioactif installé en plein Tôkyô, rongé par la drogue et la prostitution dans Les bébés de la consigne automatique ne relève-t-il pas – en partie – de l’imaginaire ? Et que dire de l’île hallucinée de La guerre commence au-delà de la mer où une fête orgiaque et sanglante lors du dépeçage d’un poisson géant se déroule sur fond de montée du militarisme. Sans parler du roman de politique-fiction, Quitter la Péninsule (Hantô wo deyo), malheureusement pas encore traduit en français, où un commando dissident nord-coréen s’empare de la bonne ville de Fukuoka et déclare son indépendance du reste de l’archipel. Un petit manque qui n’empêche pas ce fanzine de nous offrir un éclairage utile et passionnant sur une pan méconnu de la culture populaire du Japon.

Kami et Mecha. Imaginaire japonais, Yellow Submarine n°135, Les moutons électriques éditeur, 2011, 19 euros.

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