Le pinku eiga, entre SM de série b et brûlot politique

Quand l’embryon part braconner (1966), de WAKAMATSU Kôji

Diffusion de Le femme scorpion et Tokyo X Erotika sur Arte cet été, nuit roman porno au Forum des images en juin, rétrospective de l’œuvre de WAKAMATSU Kôji à la Cinémathèque française l’année dernière : la France n’en finit pas de découvrir un cinéma de genre japonais très particulier, mêlant érotisme et violence: le pinku eiga.

Comment définir le pinku eiga, signifiant littéralement “cinéma pink” en japonais ? Apparus dans les années 60, les pinku eiga sont des films à petits budgets, souvent tournés en quelques semaines, et qui permirent à quelques studios – comme la Tôei et Nikkatsu  de sortir la tête de l’eau et d’éviter la faillite. Mais surtout, naît en plein mouvement étudiant, ils sont pour certains dotés d’une réelle charge subversive contre l’Etat japonais.

L’œuvre de WAKAMATSU Kôji, l’un des réalisateurs de films pink les plus connus au Japon, est emblématique de ce genre mêlant sexe, violence et politique. Un de ses premiers films, Quand l’embryon part braconner, est considéré comme un classique du pinku eiga. L’action se déroule dans un appartement et met en scène un patron et son employée qu’il enferme, violente, tourmente et humilie dans de longues scènes dérangeantes. Mais au cours du film, de manière progressive, le spectateur prend conscience que le rôle de dominant et de dominé peuvent s’inverser. L’homme, sûr de lui, apparaît comme quelqu’un de fragile psychologiquement, et la femme soumise comme étant capable de se révolter.

Wakamatsu n’est pas seulement un réalisateur prolixe, mais fut aussi un militant actif de l’Armée rouge japonaise, une organisation clandestine connue entre autres pour ses détournements d’avion et son attentat à l’aéroport de Lod en 1972. Il réalisa d’ailleurs en 1971, Armée rouge – FPLP : Déclaration de guerre mondiale, un documentaire mettant en scène les entraînements des deux groupes de lutte armée. En 2009, avec United Red Army, il tenta, maladroitement, de tirer un bilan de ces “années de plomb” japonaises,  en portant sur les écrans la sauvage autodestruction d’un des groupes de l’Armée rouge japonaise.

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Son dernier film, le soldat dieu (Caterpillar) sorti l’année dernière, montre qu’à 74 ans Wakamatsu n’a rien perdu de sa rage contestataire. L’histoire, comme toujours, est glauque à souhait – un soldat revient vivant dans son village, mais sans bras et sans jambes, le visage à moitié brûlé. Sa femme, horrifiée, se voit forcée par la pression sociale de s’en occuper et de se soumettre aux désirs du héros national. La suite du film laisse comprendre que les circonstances dans lesquels il a été blessé son en réalité peu glorieuses. Une violente charge contre le militarisme japonais et l’absurdité de la guerre, à une période où les tentations de réécrire l’histoire de la Seconde guerre mondiale au Japon sont nombreuses.

L’œuvre de Wakamatsu a évolué avec le temps, pour peu à peu se détacher du genre pinku eiga. Un genre qui lui a plutôt mal évolué, abandonnant peu à peu son aspect subversif. Développé au départ par des studios indépendants, il a été récupéré dans les années 1970 par de grands studios comme la Tôei et Nikkatsu, avant d’être concurrencé et contaminé dans les années 1980 par les films pornographiques en vidéos. On préfèrera ainsi regarder le pinku eiga au passé, comme un genre unique propre au cinéma japonais.

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