Alors que les “Brave blossoms” s’apprêtent à affronter le XV de France samedi en Nouvelle-Zélande, le moral des Japonais semble être descendu au plus bas. Les choses se sont pourtant plutôt bien déroulées jusqu’alors pour l’équipe nippone. Vainqueur à la Pacific Nations Cup cet été, le Japon a également remporté tous les Tournois des cinq nations asiatiques depuis sa création en 2008. Sans compter une victoire contre les Etats-Unis 20-14, en match de préparation de la Coupe du monde fin août.
Mais voilà, l’équipe de France fait peur aux joueurs japonais, sélectionnés par leur entraîneur Néo-Zélandais John Kirwan. Cet ancien joueur des All Blacks, en proie aux doutes à la veille du premier match, a d’ailleurs procédé à 11 changements pour l’équipe qui affrontera la France samedi. Le deuxième ligne Luke Thompson, le troisième ligne Takashi Kikutani, l’ailier Hirotoki Onozawa, et le centre Ryan Nicholas sont les seuls à conserver leur place après le match victorieux contre les États-Unis.
Des chances de gagner « pas très grandes »
Lors de la Coupe du monde de 2003, la France avait gagné 51-29. Pour le demi de mêlée Fumiaki Tanaka, les chances de gagner «ne sont pas très grandes». Une victoire contre les bleus serait évidemment considérée comme « historique » par les Japonais. Il est vrai que la France, classé 4ème au classement de l’International Rugby Board, est loin devant le Japon, 13e. Et depuis sa première participation à une coupe du monde, le Japon n’a jamais réussi à dépasser la phase de poule.
Deux autres évènements sont venus jeter un froid sur l’équipe nippone. En premier lieu, les joueurs nippons ont subi un choc des températures en Nouvelle-Zélande : alors que le Japon a connu un été très chaud, avec des températures dépassant facilement les 30 degrés, les fragiles «fleurs de cerisiers» ont dû s’adapter à l’«hiver néo-zélandais » et ces 10 degrés. Mais un autre événement est venu toucher plus profondément le moral de l’équipe.
Polémique sur l’origine des joueurs
C’est surtout la polémique autour de l’origine des joueurs de son équipe de rugby qui a éclipsé le reste. En effet, sur les 30 joueurs sélectionnés, 10 joueurs sont d’origines étrangères – des Tonga ou de Nouvelle-Zélande – ce qui n’est pas du goût de tout le monde au Japon.
Cela n’a pourtant rien d’exceptionnel dans le monde du rugby. L’Angleterre compte 8 joueurs d’origine étrangère dans sa formation, l’Australie 7 et les îles Tonga 9. Mais au Japon plus qu’ailleurs, les demandes pour avoir une équipe nationale composé uniquement de joueurs nés au Japon sont plus présentes, preuve d’une certaine crispation identitaire chez une partie des Japonais.
Cette polémique n’a pas été sans heurter le moral des joueurs dit «étrangers», alors même que la plupart vivent depuis de nombreuses années au Japon. Le troisième ligne Michael Leitch, par exemple, bien que né en Nouvelle-Zélande, vit au Japon depuis le lycée, tandis que le troisième ligne centre Ryu Koliniasi Holani, né dans les îles Tonga, vit ici depuis l’âge de 15 ans. Afin de briser la polémique, certains joueurs ont été obligés de rappeler leur attachement au Japon par voie de presse, comme Ryan Nicholas déclarant à l’agence de presse Jiji, «Ma maison, c’est le Japon». Sur les 10 joueurs en question, 5 ont d’ailleurs adopté la nationalité japonaise, une décision de taille puisque la double nationalité est interdite. Les 5 autres évoluent depuis plus de trois ans dans le championnat local, ce qui leur donne le droit d’intégrer l’équipe nationale.
Une polémique qui ne devrait cependant pas entamer le goût des Japonais pour ce sport. Avec 126.000 licenciés, le rugby est considéré dans l’Archipel comme un sport national, au côté du base-ball, du sumo ou du football. Et l’équipe nationale ne cesse de progresser d’année en année, grâce notamment à l’apport de ces joueurs d’origine étrangère. Après la surprise de la victoire des «Nadeshiko Japan» à la Coupe du monde de football féminin en juillet, le Japon pourrait bien donner quelque peu du fil à retordre à la France.
lire le billetL’équipe japonaise de football féminin vient de remporter son ticket pour la finale de la Coupe du monde qui se déroulera dimanche à Francfort, et où elle sera opposée aux États-Unis. C’est la première fois que le pays atteint ce stade de la compétition, après avoir battu en quart de final l’Allemagne, pays hôte et réputé favoris, puis la Suède 3-1 en demi-finale mercredi soir. Les victoires successives de cette équipe ont suscité un engouement inédit au Japon, au point de détrôner les traditionnels matchs de baseball ou les compétitions de sumo dans les unes de presse. Et les joueuses japonaise sont devenus en ces temps difficiles pour l’archipel, de véritables stars nationales.
Mais arrêtons-nous un instant sur un élément surprenant. Les joueuses de football féminin sont surnommées au Japon, les Nadeshiko Japan (« les Œillets »), terme qui désigne aussi l’idéal féminin de la société patriarcale et traditionnelle des temps anciens, dît du Yamato. Les kanji utilisés – 撫子 – signifient d’ailleurs « enfant (ou femme) que l’on caresse », soulignant que la femme idéale est soumise, passive, ravalée au rang d’objet. Un objet d’une beauté éblouissante certes, mais un objet quand même. Ce terme est par ailleurs extrêmement connoté au Japon, puisqu’il fut utilisé pendant la seconde guerre mondiale par le régime militariste, à des fins de propagande.
Que ce terme ait été choisi pour désigner les joueuses de l’équipe nationale ne relève sans doute pas du hasard. Bien loin de faire progresser l’égalité entre hommes et femmes – que seule la mixité dans le sport pourrait rendre possible – le succès du football féminin s’est accompagné de nombreux commentaires renvoyant les joueuses à leur genre, de manière parfois outrancier.
Les droits des femmes au Japon restent encore extrêmement précaires. Ce pays conserve ainsi une inégalité salariale hommes-femmes parmi les plus fortes des pays développés – environ 40% d’écart salarial. Par ailleurs, malgré une baisse inquiétante de la population active, peu de mesures sont prises pour aider les femmes à travailler. On se souvient d’ailleurs du mot d’un ministre de la santé, définissant en 2007 les femmes comme des « machines à accoucher » (umu kikai), se devant de respecter leur mission. Ces mots lui avait valu sa démission. Il n’empêche que cela donne une idée du conservatisme et du sexisme existant dans la classe politique japonaise.
Sans doute, cette compétition permettra de faire progresser l’idée que les femmes peuvent pratiquer n’importe quelle activité réputée masculine. Mais dans un pays où le mouvement féministe est exsangue, il en faudra bien plus pour faire naître une égalité réelle entre hommes et femmes.
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