
Le vent de l’unisexe semble souffler sur la mode et susciter un nouvel engouement autour d’une histoire vieille comme mes robes (Hérode). Si les attributs accentuent la séparation entre masculin et féminin chez les humains, la morphologie joue aussi un rôle, induisant une différence de taille. Mais les passerelles vestimentaires ont été nombreuses : le jean ou le tee-shirt sont parfaitement unisexes. C’est surtout à la fin du XIXe siècle qu’en Occident la femme se pare, accentue sa féminité alors que l’homme installe bourgeoisement son apparence dans un costume deux ou trois pièces.
Du féminisme aux hippies en passant par la case futur
Le choix de la masculinité a parfois été un besoin d’affirmation des féministes comme le port du pantalon (encore illégal en France jusqu’en 2013). George Sand devait demander l’autorisation du port du pantalon seulement toléré avec une bicyclette ou un cheval. En mode, Coco Chanel a simplifié le style et portait des pantalons. En 1966 Yves Saint Laurent avec le smoking pour femme bousculait à nouveau les codes. Après avoir ouvert une boutique Eve et une autre Adam, Pierre Cardin fusionna avec Cosmocorps (1968) la vision des deux genres en une combinaison unisexe aux accents futuristes. Oublié aujourd’hui, Jacques Estérel oeuvra pour l’unisexe d’abord avec un costume jupe bermuda en tergal pour les hommes. En 1970 le couturier imagine des binômes avec la même robe pour lui et pour elle avec ses Sumériennes (à voir dans Fashion Forward au Musée des Arts décoratifs).

Dans une interview télévisée, il explique le nom par le choix de la civilisation la plus ancienne qui représentait l’homme et la femme avec un même vêtement. Las, la robe ne s’est pas imposée au masculin dans la rue. Ted Lapidus proposait également une mode aux accents unisexes.
Les années 70 ont parfois gommé les différences avec les pantalons pattes d’éléphant, mais la féminisation se marquait dans les accessoires, les foulards, les colliers…
Paco Rabanne dans les années 90 imagina une nouvelle ligne et un parfum dans le registre unisexe : Paco.
En 2000 c’est Michel Harcourt qui baptise une de ses collections “Le troisième sexe” avec l’idée ” d’abolir le sens de ce qui est masculin ou féminin dans notre société ” avec des mannequins au style androgyne. Pour incarner la marièe (couture), un garçon en veste et traine de tulle. Une collection trop “osée” à l’époque.

Confusion des genres
Les mannequins aussi brouillent les codes avec leur corps parfois androgyne. Déjà le succès phénoménal de CK One pour Calvin Klein est à mettre en relation avec la photo de Steven Meisel où les membres de la tribu se différenciaient peu, filles en pantalon et garçons aux cheveux longs. Bruce Jenner en devenant Caitlyn est devenu(e) une vedette au-delà de la seule télé réalité. Posant pour Jean Paul Gaultier, Andreja Pejic ne se définissait pas homme ou femme. Bruce Weber pour Barneys (printemps-été 2014) a lui mis en scène des personnalités trans-genre. & Other Stories (H&M) en 2015 a signé une campagne entièrement transgenre, de l’équipe créative aux mannequins.

Conchita Wurst joue sur une autre forme d’ambiguïté. Les frontières sont de plus en plus floues entre les sexes. Acné Studio pour l’hiver 2015 a choisi un petit garçon, mais habillé comme une femme. Jeu des apparences pour un troisième sexe hermaphrodite ?

L’un est l’autre
Les collections où l’un est l’autre semblent se démultiplier. Plus spectaculaire du côté masculin, la métamorphose serait-elle en route ? Difficile de faire bouger les lignes en dehors des podiums, la rue demeure assez réfractaire. Jean Paul Gaultier avait déjà pas mal oeuvré pour le port du kilt. Jupes et demi-jupes sont aussi apparues chez de nombreux créateurs ainsi Comme des garçons. Mais aujourd’hui le mouvement semble prendre de l’ampleur. J. W. Anderson avec son vestiaire unisexe a remis les robes sur le dos des hommes et n’a pas hésité à utiliser des rubans et à proposer des bustiers. La marque Vêtements devenue la coqueluche de l’unisexe reprend les bonnes vieilles idées d‘un Martin Margiela qui surfait déjà sur cet esprit. Le collectif annonce un défilé mixte fusionnant les collections. Gucci décrète la fusion des deux collections dans le droit-fil des correspondances déjà en germe dans ses dernières présentations. L’homme d’Alessandro Michele porte tissus à fleurs et chemises en dentelle tandis que les tailleurs pantalons sont l’apanage des femmes. Les enseignes grand public aussi s’y mettent, Zara a imaginé Ungendered, une collection capsule, mais au final très sage, cantonnée au vestiaire masculin et sportif. Un jean ou un sweat ne sont par définition pas « genrés ». Le sport est toujours proche de l’unisexe avec des différences en taille, en coupe. Pour Nike, Riccardo Tisci a imaginé des couples qui se répondent, binôme de style à découvrir en juillet, Nike Lab X RT, des trainings portés en couple.

Mais pas grand chose de nouveau sous le soleil du sport où des marques proches de cet univers (Gap, Uniqlo…. ) jouent très souvent les correspondances avec des modèles qui se différencient par les tailles et la gamme de couleurs. Selfridges a imaginé un espace de propositions sans genre. Baptisé agender (avec un alpha privatif), le lieu n’a pas de genre défini : « moving between genders or with a fluctuating gender identity (gender fluid, third gender ou other gendered), includes those who do not place a name in their gender ». Un espace « maison » conçu par Faye Toogood qui crée aussi des vêtements unisexes sous son nom. Sur une affiche, les He et She sont barrés au profit d’un nouveau Me.

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Parmi les vêtements proposés : des créations de Rad Hourani, Yang Li, Hood By Air, Jean Paul Gaultier, Comme des garçons, Anne Demeulemeester… Une démarche intéressante, mais proposée seulement de façon éphémère…
Les tenants de l’unisexe
Mais l’esprit unisexe n’est pas nouveau ; pour quelques créateurs, c’est un choix, une constance. Désirée Heiss et Inès Kaag ont créé Bless en 1997 ; le duo a toujours tissé des passerelles entre les modèles lors de leurs défilés happenings et dans leurs collections.

Le Canadien Rad Hourani, dans un esprit couture, compose des collections toujours définies unisexes.

Trublion de la mode, Naco a bâti son histoire depuis plus de dix ans autour de l’unisexe. Il ne s’agit pas pour lui d’un simple gimmick, pas un effet de mode, mais la construction de silhouettes parfaitement interchangeables avec humour et fantaisie. Le jeu entre masculin et féminin s’exprime aussi chez lui dans sa vie où il se transorme parfois en un autre personnage, fantasque et ambigu baptisé Madame Paris. Dans ses collections, ses duos sont particulièrement révélateurs d’une apparence où l’un est l’autre. Et si la mode est pour lui rébellion, résistance, avec cette nouvelle vague autour de l’unisexe, son heure est peut-être enfin venue.



Air du temps.
L’unisexe vogue vers un troisième sexe indéfini, mutant. (R)évolution ? En mode, le concept n’est pas réellement révolutionnaire et se joue volontiers en binôme. À défaut d’avoir des nouveautés en matière de création, de style, la nouvelle voie serait-elle de surfer sur l’air du temps en choisissant de gommer les différences entre les genres ? Dans la société la (con)fusion des genres s’affirme notamment chez les jeunes de moins en moins nombreux à se définir exclusivement hétérosexuels. Un réel phénomène de société où l’on parle de modernité liquide (Zygmunt Bauman après analyse des relations amoureuses) trouve ainsi un écho mercantile dans la mode (d’un point de vue très pratique, la fusion des deux collections diminue les coûts et anticipe les délais de vente pour la femme). Alors oui l’unisexe en mode, est le reflet d’une société qui mêle les genres, qui en change au gré d’une terminologie qui ne cesse de croître avec le troisième genre, l’unisexe et en anglais : gender neutral, gender fluid,… Un air du temps que tendanceurs et marketeurs de tout poil observent et traduisent avec jubilation en « produits » ; les créateurs ajoutent leur couplet à défaut de vision. L’un e(s)t l’autre dans une mode unique en son genre.
Sur les Sumériennes
http://www.ina.fr/video/I06117463/
Sur le port du pantalon
Quand la femme pourra-t-elle enfin porter la culotte en France ?
-Naco. Photo : Blondie. models : Marie Douchet & Quentin Favrié
Hair/ Make-up : Karine Marsac.
-Sumériennes dans Fashion Forward.
-Campagne Agender. Photo Matt Writtle 2014 © Matt Writtle 2014
-Naco. Photos Natydred.